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Région Parisienne : ce que les cartes ne disent pas

samedi 12 janvier 2019 par Francis Arzalier

Les éditions La Découverte viennent de publier un très bel Atlas historique des "Environs de Paris", qui raconte admirablement l’histoire de cette région capitale de la France, en une centaine de cartes de cette partie du pays. Après celles fabriquées au dix-septième siècle ( la plus ancienne est de 1647 ), celles très nombreuses et très fidèles dressées au dix-huitième siècle à l’initiative d’un État royal de plus en plus fort ( notamment dites Cassini ), et celles "d’état major" faites pour l’armée d’une République bourgeoise et nationaliste au XIXeme siècle ( " la géographie sert à faire la guerre ", disait on ).

Ce flot de représentations modernes et contemporaines permettent de suivre le bourgeonnement de Paris, ville close entourée en 1789 d’immenses espaces agricoles parsemés de villages et de châteaux, qui essaime depuis deux cent ans des banlieues disparates de plus en plus énormes, jusqu’à former actuellement les neuf dixièmes de ce qu’on dit aujourd’hui " le Grand Paris ".

Au delà de leurs qualités esthétiques, et de leur valeur scientifique toujours plus grande, ces cartes sont le miroir fidèle de la plus grande agglomération française, de son extension continue au détriment de ce que les géographes nommaient autrefois " le désert français ". Elles sont accompagnées de commentaires la plupart du temps pertinents, par les auteurs, historiens et urbanistes.

Paris et le désert français

Mais si l’on veut retracer et comprendre l’histoire et les problèmes de ces dix millions de femmes et d’hommes qui vivent en Ile de France, il faut savoir aussi ce que la cartographie ne dit pas : depuis des siècles, cette histoire à été conditionnée par un système économique qui se nomme le Capitalisme : les mutations démographiques, sociales de la vie quotidienne y sont déterminées par son mode de fonctionnement, ce qu’idéologues et politiciens à son service nomment " lois du Marché". Un Marché qui ne génère de profits que si l’on possède des Capitaux investis, au détriment d’une majorité de salariés qui n’a que son travail pour vivre, et subit ces lois plutôt qu’elle ne les choisit.

Avant la Révolution de 1789, alors que les paysans d’Ile de France supportaient encore les exactions seigneuriales (droits de chasse, dîmes, etc), ils étaient insérés déjà dans tout un réseau de relations marchandes : les petits propriétaires vignerons du "Parisis", d’Argenteuil ou Asnières, vendaient leur vin aux gargotiers de la capitale, et voyaient déjà les cossus bourgeois parisiens, financiers et juristes, accaparer une part des terres de culture, pour y construire de luxueuses demeures entourées de parcs.

La Révolution s’étant achevée en donnant un pouvoir sans partage à cette bourgeoisie, elle put démarrer après 1830 un développement industriel à son profit. La règle majeure du Capitalisme veut que l’on investisse en des lieux où les possibilités de profit sont majeures, parce qu’y sont concentrées la main d’œuvre, la clientèle, et les matières à transformer : c’est ainsi que Paris vit fleurir ses premières usines, peuplées d’ouvriers issus d’abord des villages alentour. Chemins de fer et canaux permettaient d’amener avec facilité les matières premières, houille du Nord ou fer de Lorraine.

C’est sur ce schéma la que grandit tout au long des deux siècles suivants la région parisienne : concentration d’industries à Paris et ensuite dans les bourgs proches au nord et à l’est, concentration d’ouvriers venus bientôt des régions délaissées de la France rurale, condamnées, elles, au sous développement économique et à l’émigration.

Avant même 1914, Saint Denis, au nord de Paris, devint une cité ouvrière, peuplée massivement de familles venues de leur Bretagne miséreuse. Et Argenteuil aussi, dont le prolétariat était en 1936 majoritairement fait d’immigrés auvergnats, normands, picards...ou italiens, rejoints plus tard par ceux du Maghreb colonial.

Une histoire ordonnée par le Capital, et les conflits de classe qu’il génère : une extension de Paris, dispersant peu à peu ses industries et ses populations ouvrières en banlieues pauvres au nord et à l’est, l’Ouest réservant ses espaces moins densément peuplés aux plus aisés. Versailles sera ainsi le contrepoint des " banlieues rouges " de l’Est parisien dés l’entre deux guerres. C’était déjà vrai en 1930, quand les parcelles vigneronnes et maraîchères de la vallée de Montmorency, d’Argenteuil à Montreuil et Sannois, se transformaient en zones pavillonnaires. Ce le sera encore plus vers 1960, quand se bâtiront les grands ensembles HLM de Sarcelles a Montfermeil, où seront relogés dignement les familles immigrées croupissant jusque là dans d’infects bidonvilles.

Le volontarisme urbanistique gaulliste

Quand le soulèvement militaire de 1958 à Alger aboutit à donner le pouvoir au Général De Gaulle, l’énorme agglomération parisienne a proliféré sur des kilomètres carrés autour de la capitale, de façon " anarchique", dit on. L’un des auteurs de l’Atlas dit ainsi : " quand la croissance est exponentielle, arrive un moment où elle n’est plus compréhensible".
En fait, la concentration de la main d’œuvre industrielle en Région parisienne, par la ponction des régions rurales de France (et du Maghreb colonise), est la conséquence directe du Capitalisme, à la recherche d’un taux de profit élevé des investissements.

Le nouveau chef de l’État, survolant l’Ile de France, juge alors, en officier discipliné qui croit au vertus de l’État pour réguler le Capital, insupportable ce " bordel ". A tel point qu’il va charger le technocrate Paul Delouvrier d’y organiser l’avenir. Ce sera l’origine des " villes nouvelles", créées à l’initiative de l’État gaulliste. A 30 kilomètres de Paris, en plein champs, Cergy-Pointoise au nord, Créteil au sud, etc : 12 villes nouvelles prévues en 1960. Un volontarisme étatique démographique et économique, dans le cadre des "lois du marché capitaliste", excluant la maîtrise communale, qui fut baptisé justement par les économistes marxistes " Capitalisme Monopoliste d’État".

Ces villes nouvelles n’ont rien changé a l’objectif du Capital, concentrer dans l’espace main d’œuvre et consommateurs pour accroître le taux de profit. Tout au plus peut on constater que les projets léchés des urbanistes ( Plans directeurs ) ne sont pas respectés quand ils s’y opposent : Tous prévoyaient un développement similaire au large du centre historique de la démographie et des emplois. On constate un demi-siècle plus tard que les déplacements entre lieux de travail et lieux de résidence n’ont cessé de s’allonger, contraignant les millions de salariés à plusieurs heures par jour, en train, métro, et automobile.

C’est surtout le cas des employés qui vivent en banlieues "résidentielles", alors que les bureaux se concentrent à Paris ou dans les tours de La Défense. C’est aussi le cas des ouvriers, contraints par la cherté croissante des logements à chercher moins cher de plus en plus loin de la capitale, et de leur entreprise, en une autre banlieue. Dès la décennie 1970, le processus "d’embourgeoisement" des quartiers populaires de Paris est enclenché, les retraités et les " Bobos " qui peuvent payer y remplacent peu à peu les "vieux Parisiens ", et la proportion d’ouvriers devient plus importante dans les villages neufs du Vexin qu’a Montmartre.

Ce n’est pas un choix d’urbanisme délibéré, mais la conséquence directe des "lois du libre marché" immobilier : le prix des terrains à bâtir et des loyers sont dans Paris 10 fois ce qu’ils sont a 30 kilomètres de Notre Dame, et la spéculation accélère le phénomène, qu’aucune collectivité ne peut empêcher, n’ayant pas la maîtrise des sols.

Les effets du capitalisme mondialisé

À partir des années 1980, et de la "décennie Mitterrand", le Capitalisme toujours prégnant engage une importante mutation mondialiste en France comme ailleurs : l’économie capitaliste nouvelle aspire à la suppression des frontières, à la circulation sans entraves des capitaux, des marchandises et des mains d’œuvres, sous le contrôle de sociétés transnationales investissant au profit d’actionnaires de toutes nationalités là où le taux de profit s’avère le plus fort.

Jusque là, le bourgeois français typique tirait ses profits des salariés de ses usines hexagonales, voire des colonies africaines : il était de ce fait attaché aux dogmes du Marché ET Nationaliste, et se reconnaissait volontiers dans l’étatisme anticommuniste à la De Gaulle. Son fils, dont les actions concourent à la maîtrise d’entreprises en Chine ou au États Unis, en Thaïlande ou en Afrique, dont les PDG sont à New York ou à Tokyo, n’est plus que "libéral" et "mondialiste", à l’image des dirigeants politiques français du nouveau siècle, d’un Sarkozy droitier a un Macron, qui se proclame anti Front National.

Le territoire français s’est progressivement dépouille de ses usines, détruites ou délocalisées vers des contrées lointaines à bas salaires. Ainsi ont été éradiquées les mines de houille et de fer en Nord et en Lorraine, les industries textiles des Flandres et de l’Est, les usines automobiles de Renault-Billancourt ou Quai de Javel à Paris, etc. La classe ouvrière, qui avait joué un rôle central dans l’histoire de France, de 1848 à 1871, des grèves de 1936 aux combats de la Résistance antinazie, a eu son chant du cygne en 1968. Depuis, décimée par la désindustrialisation, déstabilisée par le chômage massif et la précarisation des emplois, elle s’épuise en combats isolés, défensifs, et trop souvent découragés par les échecs répétés.

Dans ce nouveau contexte, l’évolution démographique et sociale de l’Ile de France s’est poursuivie, et aggravée. L’Ile de France a continué à s’urbaniser le long des autoroutes et des voies rapides, à se peupler chaque année de dizaines de milliers de jeunes provinciaux en quête de travail en ces temps de chômage. Mais ses réalités sociales ont basculé.

Paris vidé de ses usines et de plus en plus réservé à la bourgeoisie, essaime en banlieue proche ses logis de "standing" pour "Bobos" et ses immeubles de bureaux ; rattachés par le Métro au centre parisien, ils y remplacent peu à peu les usines mortes et les zones pavillonnaires autrefois prolétariennes, de Saint Denis à Montreuil.

Dés 1976, le gouvernement de Droite Raymond Barre a supprimé l’aide d’État " à la pierre", qui avait permis aux collectivités (notamment aux municipalités communistes) de faire construire des milliers de grands ensembles, pourvus d’un confort quotidien qu’ils ne connaissaient pas, accessibles aux plus pauvres des salariés.

Les gouvernants de Gauche Unie après 1981, malgré leurs promesses électorales, ne la rétablirent pas, et l’Aide Personnalisée au Logement (APL) a eu pour effet pervers de faire flamber le montant des loyers. Il devint dès lors impossible aux collectivités locales de construire des "logements sociaux", le prix des terrains à bâtir étant rendu inabordable par la spéculation, alors que l’aménagement et la construction de résidences luxueuses équilibraient facilement leur budget.

Parallèlement, le parc HLM existant se dégradait irrémédiablement, faute d’entretien, le chômage massif amenant de nombreux locataires à ne plus pouvoir payer leur loyer. C’est ainsi que ces quartiers dégradés sont peu à peu devenus des ghettos, livrés au trafic de drogue, à l’insécurité et aux dérives communautaristes, comme en 9-3.

Une véritable désespérance y a souvent remplacé les anciennes solidarités ouvrières, qu’animaient notamment les Communistes : le déclin du PCF en est un des symptômes. Le Monde a publié le 7/1/2019 une enquête réalisée par IPSOS, qui révèle que si plus de 130 000 néo-Parisiens âgés de moins de 30 ans s’installent chaque année dans la région capitale, deux sur trois envisagent de la quitter dans un futur proche ou lointain. Un désamour que montre aussi le grand nombre d’automobiles neuves en IDF immatriculées dans le "département d’origine", que beaucoup de Franciliens rejoignent à la retraite s’ils le peuvent.

Les urbanistes franciliens continuent en 2019 de produire leurs cartes, comme si la puissance publique maîtrisait le devenir d’une région qualifiée maintenant de " Grand Paris ". Elles ne disent pas le véritable maitre d’œuvre de cet avenir, les règles inexorables du Marché capitaliste. Les élus nationaux et régionaux au nom desquels ces projections sont faites, sont tout au plus des prête-noms, pour la plupart des "libéraux", au service d’un système dont l’ADN nie les finalités collectives de service public.

Ce " Grand Paris " qui se dessine en portera encore les stigmates, sociales, environnementales et idéologiques. Il n’y aura pas de développement régional harmonieux dans le cadre du Capitalisme.

   

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