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Grèce : Travail, nom féminin

mardi 6 août 2019 par Dimitris Alexakis

à Nádia, Vásso, Beáta, Sýlvia, Christína et Yánnis

« Cet événement m’a marquée à vie. Il a mutilé mon visage, mon corps et a fait de moi quelqu’un d’autre. Il a plongé ma famille dans la peine ; pour mon fils, il a marqué la fin de l’enfance. Mais je ne me suis pas arrêtée là, je n’ai pas été neutralisée, je vis en en portant les conséquences et j’avance. »

L’histoire de Konstantína Koúneva, militante syndicale défigurée fin décembre 2008 dans un quartier d’Athènes à la suite d’une attaque à l’acide, est traversée par l’histoire grecque de ces dix dernières années et la traverse en retour d’une façon oblique, singulière et sensible.

> Elle invite à repenser cette séquence de dix ans à partir de l’expérience de celles et ceux qui sont en apparence sans pouvoir et relègue au second plan le vocabulaire économique ou financier qui en a dominé la lecture.

> Elle lie la question de la violence à celle du travail précaire. Malgré sa gravité, l’acte dont elle a été victime n’est pas un cas à part. Sous des formes multiples (insultes sexistes, racistes, chantage au licenciement, au non-renouvellement de la carte de séjour et à l’expulsion, pressions diffuses, menaces, passages à l’acte…), la violence est le mode par lequel les entrepreneurs du nettoyage ont cherché à imposer en Grèce une précarité proprement invivable.

> La violence était présente avant le début officiel de la crise de la dette et a été chaque fois une réponse opposée à des pratiques de résistance — dans les secteurs du nettoyage, du bâtiment ou de l’agriculture saisonnière, sur des quais de métro, des chantiers ou dans les champs de fraises de la région d’Ilía, à l’ouest du Péloponnèse.

> Elle jette un jour cru sur la collusion entre entreprises privées d’une part, services étatiques et personnes morales de droit public de l’autre : avant d’être portés par un « projet » politique, la flexibilité, la précarisation, le démantèlement du cadre législatif et des autorités de contrôle sont d’abord apparus sous une forme presque nue, sans oripeaux ou apparats idéologiques, et ne se sont développés que parce que certains, à l’intersection des secteurs privé et public, y trouvaient intérêt.

> les mobilisations du prolétariat largement féminin et immigré auquel elle appartient ont joué un rôle essentiel dans la dynamique qui a porté la « gauche radicale » au pouvoir en janvier 2015

> Elle invite à penser le contournement et l’évidement des garanties légales à partir des pratiques de sous-traitance et d’externalisation. L’expérience de Konstantína Koúneva, employée immigrée en Grèce dans le secteur du nettoyage, est solidaire de celle des couturières de Dacca, Bengladesh, qui peuvent apparaître comme des « travailleuses immigrées employées à domicile » : il s’agit toujours de découvrir ou de créer des zones de non-droit, d’externaliser la production là où un certain état du droit n’a pas ou n’a plus cours.

> Elle rappelle que les mobilisations du prolétariat largement féminin et immigré auquel elle appartient ont joué un rôle essentiel dans la dynamique qui a porté la « gauche radicale » au pouvoir en janvier 2015 et signale que le courage et l’initiative politiques ont à des moments-clefs été le fait de celles et ceux qui étaient le plus vulnérables ; elle marque une autre dette.

> Le parcours de Konstantína, passée en 2014 du terrain syndical à une action politique plus institutionnelle, éclaire aussi l’histoire de la gauche radicale grecque, marquée coup sur coup par le succès d’un référendum d’opposition aux plans d’austérité (5 juillet 2015) puis par la ratification de ces plans (13 juillet 2015). Elle invite ainsi à interroger, sous l’angle de la sous-traitance et du travail précaire, la stratégie et les actes du gouvernement d’Alèxis Tsípras dont le mandat, avec la tenue d’élections législatives anticipées, le 7 juillet 2019, arrive aujourd’hui à son terme.

« Tu n’es pas seule »

Autour de 2012, mon cousin, Yánnis, s’est trouvé à quelques pas d’elle dans un wagon de métro et l’a reconnue avec une sorte d’effroi et de respect silencieux ; le terme qu’il emploie pour décrire la rencontre, δέος, traduit le sentiment éprouvé face à ce qui relève du sacré. Sans l’avoir jamais vue, il a immédiatement mis un nom sur ce visage séparé des autres par ses lunettes noires et sa peau abîmée. Il l’a regardée descendre du train avec l’aide d’une femme plus âgée, se mêler à la foule sur le quai de Sýntagma et l’a suivie des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Il était à deux doigts de lui parler ou de lui adresser un geste de sympathie mais est resté immobile. La femme qui, 4 ans auparavant, avait suscité un élan de solidarité sans pareil et cette silhouette anonyme étaient la même personne. Il s’est remémoré la phrase qui était apparue sur les murs et avait été criée par des dizaines d’inconnus sous les fenêtres de l’hôpital où elle a été conduite dans la nuit du 22 au 23 décembre : « Konstantína, tu n’es pas seule. »

> En grec, le travail, η εργασία, est un mot féminin.

Suite de l’article Ici  :


Voir en ligne : https://oulaviesauvage.blog/2019/07...

   

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