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Coronavirus : un formidable accélérateur

mercredi 18 mars 2020 par Joëlle Stolz

Sous le ralentissement apparent, la pandémie actuelle est en train d’accélérer des tendances qui étaient déjà à l’œuvre dans nos sociétés : le glissement vers le virtuel, mais aussi celui du pouvoir.

Un silence de mort dans les rues. Des chantiers déserts. Des jardins publics, des théâtres, des stades fermés. Des pharmacies où les clients sont séparés des vendeurs par une paroi de verre. Des cabinets médicaux où le personnel porte des masques et des gants. Des sorties réduites au strict nécessaire. Plus de voyages ni de weekends touristiques. Les mesures radicales prises par les pouvoirs publics pour endiguer la diffusion du nouveau virus Covid-19 - à peu près semblables désormais en Autriche et en France - provoquent un spectaculaire ralentissement de nos vies.

Il est bien trop tôt pour savoir quelles seront les conséquences à long terme d’un changement aussi brutal. Mais en profondeur on décèle une formidable accélération de tendances qui étaient déjà à l’œuvre : ainsi l’eau court-elle toujours plus vite et plus fort sous la glace, qui se rompt soudain sous nos yeux.

La première évidence, c’est que cette situation où les contacts physiques directs doivent être évités, à tout le moins limités, favorise le glissement vers le virtuel. Tous ceux qui le peuvent sont incités à travailler à domicile grâce à leurs ordinateurs. La communication avec les proches les plus fragiles passe désormais exclusivement par le téléphone et de plus en plus souvent par les écrans des portables. Beaucoup d’administrations n’acceptent plus que des paiements électroniques.

Dans les magasins il est recommandé de régler ses achats avec une carte bancaire, l’argent liquide n’étant plus accepté. Si cela devait durer, on peut prédire la mort prochaine du chèque, cette spécialité française presque inconnue en dehors de l’Hexagone. Les nombreux Français qui sont allés récemment en Chine avaient déjà mesuré l’agacement des serveurs lorsqu’ils demandent à payer "avec la carte", car dans ce pays la plupart des citadins paient avec leur téléphone. Parfois avec leur visage, puisqu’on y expérimente des supermarchés sans caisses, les achats étant débités du compte bancaire sans passer par un titre de paiement.

Que les entreprises du numérique, dont on a souvent dit qu’elles étaient devenues plus influentes que bien des États, se retrouvent au centre du jeu, on en a la preuve avec la réunion que vient d’organiser à la Maison Blanche le président Donald Trump (auquel sa gestion chaotique de la crise sanitaire, ajoutée aux failles du système de santé américain, pourrait bien coûter sa réélection : l’une des rares bonnes nouvelles).
Autour de la table il y avait Google, Facebook, Apple, IBM et bien sûr Amazon. La championne du commerce en ligne, qui a annoncé l’embauche de 100.000 employés pour faire face à la demande, est déjà l’une des gagnantes de cette crise. Le journal dont son patron Jeff Bezos est propriétaire, le Washington Post, a pu ainsi ironiser sur ce rare moment de consensus entre la Silicon Valley et M. Trump.

La deuxième tendance est celle de la "dé-mondialisation". Cette pandémie a contraint les Occidentaux à réaliser leur dépendance envers les principes actifs de médicaments produits en Asie, notamment en Inde. Elle remet au premier plan l’État, pourvoyeur de santé et de sécurité. Le style peut être plus martial chez Macron que chez le jeune chancelier autrichien Sebastian Kurz (il aurait, vu son âge, encore plus de mal à passer pour un Clemenceau), mais le message est au fond le même : nous sommes là.
Nous pouvons nous appuyer sur des lois et sur l’armée.
Nous sommes prêts à ouvrir les vannes financières pour aider les entreprises et ceux qui souffrent - les chômeurs, les artistes. Le passage illico presto de la doxa néolibérale (baisse d’impôts pour favoriser l’investissement productif, ruissellement de la richesse vers le bas et autres fables) aux principes d’une économie administrée comme en temps de guerre est assez bluffant.

Reviendra-t-on ensuite au business as usual ? Il est permis d’en douter. Tout cela laissera des traces. Quant à savoir si cela peut précipiter une prise de conscience collective, une réorientation vers un mode de vie plus frugal et moins gourmand en énergie, c’est une autre histoire.

Les cas de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas, deux tenants d’un néolibéralisme pur et dur, sont révélateurs. On sait que Boris Johnson est confronté à une vague de critiques pour avoir d’abord choisi la voie de l’"immunité de groupe", en quelque sorte un gigantesque "laisser-faire" sanitaire dans l’espoir que ceux qui auraient fabriqué des anti-corps protégeraient un jour les autres.
Détail intéressant : au 18ème et 19ème siècles, bien avant que Pasteur ne démontre l’existence des microbes, les Britanniques s’étaient rangés dans le camp "anticontagioniste" (ceux qui pensaient que les épidémies étaient dues à des miasmes, à un milieu malsain) contre ceux qui faisaient l’hypothèse que les individus pouvaient se contaminer mutuellement, et qu’il fallait stopper la contagion en imposant des quarantaines dans les ports. Une telle théorie dérangeait particulièrement les Anglais parce qu’elle mettait des entraves au libre commerce.

Il sera instructif aussi de suivre ce que vont faire les Néerlandais, Rotterdam étant la principale porte d’entrée dans l’Union européenne des marchandises produites ailleurs, et le trafic maritime l’une des grandes sources de richesse. Signe que l’heure est grave dans un pays où tout ce qui est protocolaire est dévolu d’habitude à la monarchie, le premier ministre s’est adressé solennellement aux citoyens.
Comment va réagir à cette épreuve un système de santé qui a été en partie privatisé et impitoyablement rationalisé depuis quarante ans ? Comment l’hypothèse d’une "dé-mondialisation" peut-elle même être envisagée par ceux qui avaient autant profité, jusqu’alors, de la mondialisation ? Après le Brexit, le Covid-19 : les Pays-Bas entrent dans des eaux inconnues.

Le retour d’un État fort (ou qui prétend l’être) n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour les mouvements populaires réclamant plus de démocratie. Au Venezuela, dont l’économie est exsangue, qui a perdu quatre millions d’habitants réfugiés chez ses voisins, le président Maduro a vite compris tout le parti qu’il pouvait tirer de la crise sanitaire.
Plus proche de nous, l’Algérie va aussi affronter des moments difficiles : le Hirak peut-il se maintenir dans de telles conditions ? Alors que le gouvernement algérien est déjà confronté à la double contrainte d’un prix des hydrocarbures en chute libre, d’une sécheresse annoncée qui va encore limiter la capacité du pays à se nourrir, et qu’il ne peut trop pomper ses réserves de change car elles sont une garantie essentielle vis-à-vis de ses partenaires étrangers ? Sans grand risque de se tromper, on peut prédire que "l’union sacrée" servira de leitmotiv, à Alger comme ailleurs, à nombre de discours.

Cette crise sanitaire affecte jusqu’ici surtout l’hémisphère nord. En particulier l’Occident, qui s’était habitué à dominer le monde depuis quatre siècles. Elle est aussi révélatrice d’un glissement inexorable vers l’Asie, où des centaines de millions de gens sont sortis de la pauvreté en un temps record, dont le poids démographique nous entraîne tous, que nous le voulions ou non, vers une autre manière d’appréhender et de gouverner la réalité.

La Chine se voulait déjà la démonstration que le développement économique peut se faire sans démocratie, grâce à un système dirigiste. Elle a montré, en imposant des mesures de confinement que les opinions occidentales jugeaient très autoritaires, et grâce au dévouement de ses équipes médicales, à la rapidité de ses scientifiques qui ont immédiatement partagé leurs découvertes, qu’elle pouvait contenir le virus. Elle a en quelque sorte fait ses preuves, et cette leçon-là, aussi, va marquer les esprits.


Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/joelle-s...

   

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