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Covid 19 : crimes et profits du patronat italien

samedi 25 avril 2020 par Hugues Le Paige

La nouvelle n’a pas franchi les frontières de la péninsule. En temps normal, elle serait restée « confinée » dans les pages économiques des quotidiens italiens. Elle a pourtant aujourd’hui une haute charge symbolique. La semaine dernière, la Confindustria – l’organisation patronale italienne- s’est donnée comme nouveau président Carlo Bonomi qui dirigeait jusque-là l’Assolombarda, la très influente association des entreprises des provinces de Milan, Lodi, Monza et Brianza. Son élection n’est pas due à son appartenance à une région particulièrement touchée par la pandémie, ni parce qu’il a bâti sa carrière dans le secteur biomédical.

Non, soutenu par toute la droite, Carlo Bonomi, le « faucon » comme le nomme le quotidien Il Manifesto [1] a triomphé parce qu’il a mené la croisade pour le maintien de l’activité productive, y compris dans les régions les plus touchées par le virus et qu’il combat aujourd’hui pour la réouverture immédiate du plus grand nombre possible d’entreprises.

L’activité n’a jamais cessé

Alors qu’on évoque la réouverture des entreprises pour le 4 mai – même si le gouvernement Conte reste prudent sur la décision-, de fait la reprise a déjà eu lieu en Lombardie et dans certaines provinces, l’activité manufacturière n’a jamais cessé, même au plus fort de la pandémie. On a de la peine à l’imaginer : quand on se remémore les hôpitaux débordés, les soignants exténués, le décompte des victimes par centaines, quand dans la nuit de Bergame des camions militaires évacuaient en silence des cadavres qui ne trouvaient plus de place dans les morgues de la ville, le patronat lombard faisait tourner des milliers d’entreprises.

Tandis que les citoyens étaient confinés, travailleuses et travailleurs devaient se rendre dans des ateliers où les consignes de sécurité n’étaient pas souvent respectées et le matériel de protection insuffisant. Hier, dans la seule Lombardie, 100.000 entreprises ont contourné les mesures d’arrêt finalement adoptées par le gouvernement avec une simple demande de dérogation déposée dans les préfectures et accordée quasi automatiquement.

C’est vrai pour une multitude de petites entreprises [2] qui forgent le tissu économique de la région et où les syndicats ne sont pas représentés mais aussi désormais pour le géant de la construction navale Fincantieri à Trieste ou Michelin à Cuneo. Les organisations syndicales qui avaient déjà fait grève le 25 mars pour s’opposer à la reprise des activités déposent des recours administratifs et en appellent au gouvernement.

Mais rien ne semble y faire. Les stratagèmes – ou les menaces- du patronat contournent les interdictions.

Il y a une semaine déjà, les syndicats CISL et CGIL de Bergame – l’épicentre de la pandémie- dénonçaient le fait que la moitié des ateliers mécaniques ne se sont jamais arrêtés, que le secteur chimique tourne à plein rendement et que dans la construction un grand nombre d’entreprises ont demandé -et obtenu – des certificats pour reprendre (ou simplement poursuivre) leurs activités. Le 14 avril dernier [3], les organisations syndicales locales estimaient que 40 % de l’activité économique avait déjà repris…

Le « modèle lombard »

C’est la victoire de ce qu’on appelle pudiquement le « modèle lombard » parfaitement incarné par le nouveau président d’un patronat italien qui porte une immense responsabilité dans le développement de la pandémie. Dans la confusion provoquée par les conflits de compétences entre le pouvoir central et les régions (qui se double aussi d’une confrontation politique), cette politique criminelle est restée couverte d’un voile discret et a été jusqu’ici peu dénoncée.

Dans Le Monde du 12 avril, l’écrivain italien Roberto Saviano [4] écrivait : « En Italie, c’est la région la plus forte, la plus performante et la plus riche qui s’est avérée la moins prête à affronter la pandémie, avec des choix dont ses dirigeants devront répondre tôt ou tard. » Et l’auteur de « Gomorra » d’ajouter : « Aujourd’hui, nous savons que pour éviter de confiner des ouvriers indispensables aux chaînes de montage et qui, surtout dans le cas des toutes petites entreprises, ont dû choisir entre la vie et le travail, on a favorisé une diffusion massive de la contagion. Or cette contagion a provoqué une mortalité épouvantable. Cette réalité nous saute aux yeux, offrant l’image d’un territoire géré par des classes dirigeantes qui auraient décidé de « ne pas s’arrêter », conscientes du risque de l’hécatombe, voire pariant sur le destin. »
On peut parler d’impréparation ou d’impéritie des pouvoirs politiques (à différents niveaux, à l’exception fréquente de maires qui ont fait face en première ligne), le patronat, lui, a mené envers et contre tout une stratégie mortelle alors que les éléments d’information étaient déjà avérés.

C’est aussi cette pression qui a retardé la mise en « zone rouge » des communes d’Alzano et de Nembro, foyers centraux de l’épidémie dans la province de Bergame et alors que cette zone comptait déjà le plus grand nombre de morts par habitant (en Italie et en Europe). Il faut savoir que le 28 février, alors que dans cette zone la situation est déjà hors contrôle, la Confindustria lombarde lance une campagne sur les réseaux sociaux avec le hastag YesWeWork. « Nous devons baisser le ton, faire comprendre à l’opinion publique que la situation est en cours de normalisation, que les gens peuvent se remettre à vivre comme avant », déclare Marco Bonometti, le président de la Confindustria Lombarda.

La santé privatisée

Dans une remarquable enquête, la journaliste catalane en poste à Rome, Alba Sidera [5], rend compte avec précision de tous les épisodes de ce scandale et revient aussi sur un autre visage grimaçant du « modèle lombard » que la crise a révélé : c’est celui de l’architecture de son système de santé.

La Lombardie a été le terrain privilégié de la privatisation de la médecine menée sous la houlette de celui qui fut pendant 18 ans (1995 à 2013) le gouverneur de la Lombardie, membre du mouvement catholique « Communion et Libération [6] », berlusconien de choc mais qui bénéficiait aussi du soutien de La Lega.

Précision : comme le rappelle aussi Saviano qui insiste sur ses liens avec la mafia calabraise, Formigoni a été condamné en 2018 à 5 ans et 10 mois de prison pour des actes graves de corruption concernant des liens entre le pouvoir régional et le secteur privé de la santé.

Dans son enquête, Alba Sidera raconte un épisode qui semble impensable dans son cynisme :

  • « Dans l’hôpital Pesenti Fenaroli, d’Alzano Lombardo, petite ville de 13 670 habitants, située à quelques kilomètres de Bergame, arrivèrent ce 23 février les résultats des tests de coronavirus de deux patients hospitalisés : ils étaient positifs. Comme tous deux avaient été en contact avec d’autres patients et avec des médecins et des infirmiers, la direction de l’hôpital décida de fermer ses portes. Mais, sans aucune explication, elle les rouvrit quelques heures après, sans désinfecter les installations ni isoler les patients atteints de Covid-19. Plus encore : le personnel médical continua à travailler sans protection pendant une semaine ; une grande partie du personnel sanitaire de l’hôpital fut contaminée et le virus se répandit parmi la population. Les contaminations se multiplièrent dans toute la vallée. L’hôpital fut le premier grand foyer d’infection. »

La journaliste catalane avait cependant fourni un élément d’explication supplémentaire : « ceux qui ont intérêt à garder les usines ouvertes sont, dans certains cas, les mêmes qui ont des intérêts dans les cliniques privées ».

Un peu plus tard, de cette pandémie il restera bien des leçons à tirer, des responsabilités à établir, des comptes à solder et aussi des projets à définir mais l’attitude du patronat italien demeurera comme l’incarnation d’un monde à abattre.


Voir en ligne : https://www.revuepolitique.be/blog-...


[2L’Italie comte plus de 5 millions d’entreprises. En grande majorité, en particulier dans le Nord, de très petite taille avec une moyenne de 7 travailleurs par unité

[3« Oltre il lockdown, le aziende lmombarde sono dia al lavoro, Andrea Cegna, Il Manifesto 14.04.20

[4Ecrivain-journaliste, né à Naples, et dont les enquêtes sur la Mafia lui ont valu des menaces de mort et une mise sous protection permanente

[5Alba Sidera est la correspondante en Italie et au Vatican du journal El Punt Avui et collabore avec différents médias, dont La Directa, Contexto, La Lanza et Mèdia.cat.

[6Né au milieu des années 50 sous le nom de Gioventu Studentesca, le mouvement perd une grande partie de ses militants et cadres qui en 68 rejoignent des mouvements d’inspiration marxiste. Communion et Libération tentera alors de récupérer certains mots d’ordre de 68 sur le plan social tout en demeurant très traditionaliste sur le plan moral. Peu à peu il s’est constitué comme un réseau actif au sein de la droite italienne. Roberto Formigoni en est un exemple significatif.

   

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