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L’ogre et la machine - Dans la brèche de Gramsci

lundi 4 mai 2020 par Antonio Molfese

Contempler le cadavre d’une société malade, ivre de puissance et d’arrogance. Le cadavre n’est pas chaud, il pourrissait sous nos yeux, et nous avec lui.

"Il n’y a plus d’écart entre l’apocalypse et le réel parce que le réel est apocalyptique. C’est aujourd’hui la fin du monde, parce que ce monde était déjà fini, hier. [...] C’est pourquoi la question n’est pas tant « Et après ? » que « Et maintenant ? ». [...] C’est maintenant que nous sommes dans ce clair-obscur du possible, dans cette béance, dans cette brèche." [1]

Et soudain, la trame du réel s’est déchirée. La machine s’est disloquée. Le rythme furieux des heures et des jours, la frénésie spectaculaire d’un monde voué à fabriquer des richesses et à broyer des vies s’est suspendue. Nous pouvions enfin contempler ce dont, au fond de nous-mêmes, nous espérions l’advenue sans oser la croire même possible : le cadavre gisant-là, devant nous, d’une société malade, ivre de puissance et d’arrogance, de folie et de morgue, tellement sûre d’elle-même qu’elle absorbait tout discours critique pour nous le recracher à la gueule, pour mieux nous plonger dans son enfer glacé, tétanisant, anesthésiant.

Bien sûr, nous savions. Que la richesse était indécente. Que nos vies ne valaient presque rien. Que le pouvoir avait depuis longtemps cessé de nous écouter. Que le navire sombrait dans l’abîme. Nous le savions. Nous le disions même. Nous le manifestions. Nous avons brûlé le Fouquet’s, embrasé les Champs-Élysées, recouvert les murs de rage, hanté l’espace et les rues en cortèges, détesté la police et l’ordre qu’elle défendait, répandu partout le jaune de la colère et la nemesis de celles et ceux « qui ne sont rien ».

Nous avons envahi les rues d’Athènes, de Hong-Kong, de Bolivie, d’Algérie, de Catalogne, du Chili, du Liban, de l’Équateur. Mais l’ogre absorbait nos combats, les digérait : il était toujours là, surplombant de son arrogance tous les discours, toutes les actions, ricanant même en face d’une contestation qu’il savait pouvoir contrôler, encadrer, laisser pourrir. Tant que la machine continuait à tourner, tant que nos vies lui étaient inféodées, tant que la moindre seconde de notre existence se définissait par cette machine, dans cette machine, nous étions coincé-e-s.

L’ogre nous a entravé-e-s, menacé-e-s, éborgné-e-s,frappé-e-s, nassé-e-s, gazé-e-s, emprisonné-e-s. Les chiens de garde expliquaient doctement que cela ne servait à rien de lutter, qu’il n’y avait pas d’alternative, pas de possibles : juste le réel, nécessaire, inéluctable, lesté de son propre poids jusqu’à devenir indémontable. Le travail reprenait, toujours plus gris et morne. Au plus, avions-nous droit à des miettes, comme on rassasie un-e mendiant-e pour mieux le laisser à la rue et l’entretenir dans sa misère.

Lorsque la machine s’est soudainement arrêtée, au début, nos yeux n’étaient pas encore dessillés. On s’étonnait ou on fulminait, on devenait spécialistes en épidémies et en crises. On attendait en fait que ça redémarre. On le désirait même secrètement. Mais, comme après un long éblouissement,nos yeux se sont enfin accommodés. Et nous avons vu.

Ces rues vides, mais déjà si bien quadrillées par les flics, les drones, les hélicoptères, les militaires et les caméras quand elles étaient pleines de monde. Ces hôpitaux bondés, mais si bien ruinés par des années d’austérité lorsque la maladie ne sévissait pas. Ces supermarchés bien achalandés mais qui accueillaient des zombies avant qu’on n’attende sagement, bien en ligne et à distance, pour pouvoir faire des courses.

Ces invisibles, traité-e-s comme des moins que rien, partant bosser pour une misère, mais qui nous servaient aux caisses, qui nous soignaient, qui débarrassaient nos ordures, qui s’occupaient de nos ancien-ne-s, qui conduisaient nos métros et nos bus, qui produisaient de quoi manger avant qu’un virus ne se propage.

Ces bouffons de pacotille au pouvoir, qui se foutaient déjà de nous, qui nous méprisaient, qui naviguaient à vue, qui déblatéraient, qui s’agitaient avant que la « guerre » n’éclate. Ces banlieues explosées, ces habitant-e-s « des quartiers » quotidiennement fliqué-e-s, traqué-e-s, contrôlé-e-s, tabassé-e-s.
Ce racisme devenu ordinaire craché tous les jours au visage des immigré-e-s, sur les plateaux télévisés, à la une des torchons du capital, dans les rues, dans les « quartiers ». Ces migrant-e-s abandonné-e-s à leur sort, crevant à la mer comme des rats, fauchés sur l’autoroute comme des chiens, dans l’indifférence complice d’une Europe barricadée dans son égoïsme et ses mirages sécuritaires.

Ces sans-papiers fiché-e-s, fliqué-e-s, traqué-e-s comme des criminel-le-s, pour avoir simplement voulu fuir la misère et l’horreur, « reconduit-e-s aux frontières », expulsé-e-s comme des pestiféré-e-s. Ces opulent-e-s qui partaient dans leurs résidences secondaires ou en vacances aux quatre coins du monde, qui n’en avaient que faire de la misère et des crève-la-faim, qui s’épanouissaient dans leur confort cotonneux avant que le monde ne s’arrête.

Ces zélatrices et zélateurs de l’État qui s’exprimaient déjà dans les médias, qui léchaient les bottes du pouvoir, qui relayaient ses paroles comme une vérité sainte, qui vomissaient toute critique, tout contre discours, toute action visant à contester l’ordre établi.

Mais notre regard s’est éduqué.

Comme dans ces illusions visuelles où cohabitent deux images en unes, nous commencions à voir l’autre image, celle qui restait invisible tant qu’on se focalisait sur la première. Les flics, les drones, les caméras, les hélicoptères ne sont pas nés avec le virus, pas plus que le désir d’un quadrillage total du territoire, qu’un contrôle obsessionnel des déplacements, des rassemblements, des corps et des visages : ils étaient, ils sont la vérité d’un pouvoir qui ne peut se maintenir que dans la peur et la répression.

S’autoriser soi-même sur l’honneur à sortir, se soumettre jusque dans son élémentaire désir de se déplacer à une autorisation préalable, est le fantasme achevé du délire sécuritaire dans lequel nous vivions, déjà. Les banlieues étaient déjà abandonnées, livrées à l’arbitraire d’une police vouée à mater son soulèvement, à rouer de coups les récalcitrant-e-s, à implanter jusque dans la chair des damnés la docilité et la discipline.

Le délitement continu des services publics était là, mais ne nous touchait pas, du moins tant qu’on ne craignait pas encore de risquer notre peau faute de lits dans un hôpital, tant qu’on croyait encore qu’un-e enseignant-e aiderait nos enfants à s’élever au-dessus de nous, dans des classes pourtant surchargées, dans des écoles délabrées, dans un système de sélection truqué.

Le monde de culture vivante, les lieux de création et d’expérimentation, de beauté et de grâce, les artistes, les créatrices et les créateurs en étaient réduit-e-s à travailler avec des bouts de ficelles, à surnager tant bien que mal dans les eaux glacées de la marchandise et du fric tout-puissant.

L’absence de démocratie, l’autoritarisme d’un pouvoir sourd à son peuple, servile avec les puissants, impitoyable avec les faibles, était déjà la vérité achevée du capitalisme : raison pour laquelle, au-delà du virus qui aurait pu sans doute émerger ailleurs, c’est désormais la Chine qui désigne notre réalité et en dessine les contours, en donnant à voir comment le capitalisme ne peut persévérer à l’échelle de masse qu’en broyant toutes les libertés, en les dissolvant en fines pluies d’atomes individuels, réduits à leurs fonctions essentielles : travailler, se déplacer sous contrôle, manger, dormir et ânonner les bonnes paroles du régime.
Le reste ?
Superflu, et dangereux : se rapprocher, se rencontrer, se rassembler, se lier d’amitié, s’aimer, vibrer devant une œuvre, parler librement, contester, se révolter …

Nous vivions dans une dystopie, croyions-nous.

Mais lorsque la dystopie rejoint la réalité, il n’y a plus de dystopie. Il n’y a plus d’écart entre l’apocalypse et le réel parce que le réel est apocalyptique. C’est aujourd’hui la fin du monde, parce que ce monde était déjà fini, hier. Le cadavre n’est pas chaud, il pourrissait sous nos yeux, et nous avec lui.

Nous pensions que le pire était devant nous, qu’il finirait par se produire, entraînant dans sa chute ce vieux monde délabré. D’ici-là, nous rongions notre frein, nous nous accommodions de l’existant, avec plus ou moins de confort, plus ou moins de bonheur, si nous avions un peu de chance. En fait, le pire était déjà là, sous nos yeux : ces chômeuses et chômeurs vivant avec rien, ces jeunes promis-es à la misère, ces femmes battues et assassinées par leurs conjoints dans un silence terrible, ces cérémonies lunaires où l’on célèbre des violeurs, ce règne du patriarcat écrasant de sa chape de plomb et de son plafond de verre la moitié de l’humanité, ces grandes entreprises voraces et prédatrices aboyant leur haine des impôts et des “charges”, ces médias dociles, ce pouvoir monolithique prêt à tout pour se maintenir en place, ce pacte social explosé et sans cesse piétiné pour laisser passer, laisser faire les puissances d’argent, pour engraisser les mêmes.

Ces changements de surface, pour que rien ne change en profondeur.

Cet environnement et ces écosystèmes pollués, saccagés, ravagés par l’industrie et la productivité. Ces fantômes qui mangeaient dans les poubelles, ces retraité-e-s qui après une vie de travail s’enfonçaient dans la misère noire, ces familles qui mouraient de froid, ces personnes qui quémandaient de la nourriture aux restos du cœur, ces nouveaux pauvres qui vivaient dans leurs voitures, ces êtres hagard-e-s qui habitaient des cartons dans la rue, ces salarié-e-s qui se suicidaient d’avoir été broyé-e-s par un management de la terreur, ces gens qui se bourraient de psychotropes pour tenir et survivre, ces jeunes lycéen-ne-s et étudiant-e-s qui allaient jusqu’à s’immoler de désespoir, et qu’on n’entendait pas, qui ne nous touchaient pas, faute de voir vraiment à quel degré de violence sociale nous nous étions habitué-e-s.

Nous pensions que le pire était devant nous, et qu’il adviendrait un jour, ouvrant les yeux à une population sortant de son hébétude qui finirait par comprendre et se révolter. Nous attendions sagement la révolution, que nous déléguions aux générations futures. En fait le pire était déjà là, sous nos yeux sidérés et impuissants. Il est toujours là. C’est une guerre sociale qui se déroulait sous nos yeux et se déroule encore aujourd’hui.

C’est pourquoi la question n’est pas tant « Et après ? » que « Et maintenant ? ». Ce n’est pas dans un après qui ne viendra jamais que se joue notre sort, car cet après reculera indéfiniment devant nous comme lorsqu’on avance vers l’horizon, mais maintenant.
Ce n’est pas dans une révolution future, après des années de « crise » que se jouera notre vie mais maintenant.
C’est maintenant et depuis longtemps que nous sommes en guerre, qu’on nous fait la guerre sans ménagement, qu’on bafoue notre dignité, qu’on déchire nos vies pour le profit d’une poignée d’individus.
C’est maintenant que nous sommes dans ce clair-obscur du possible, dans cette béance, dans cette brèche. En face, le pouvoir n’a d’autre solution que de gérer cette énième crise, en attendant de nous la faire payer. Car l’ère des compromis est finie : le pouvoir n’ira pas taxer les riches pour financer la crise, il n’écoutera pas nos plaintes pour remodeler la société, il n’y aura pas de New-Deal 2.0.

Toute idée de réforme comme progrès est morte, le mot “réforme” lui-même ne voulant plus rien dire, sinon la destruction méthodique du progrès lui-même. Ce pouvoir devra mener des politiques d’austérité inouïes pour absorber cette crise, après avoir profité du choc de la population pour mieux imposer les “réformes structurelles” qu’il avait déjà prévu de faire : déréguler, privatiser,baisser les salaires, augmenter le temps de travail, céder les biens publics, saigner jusqu’à la dernière goutte les richesses collectives pour les vendre au plus offrant. Et il ne pourra le faire qu’au prix d’une violence sans précédent, d’une répression démultipliée qui s’expérimente là, sous nos yeux, et qu’il n’aura qu’à pousser à son paroxysme.

Que ferons-nous ?

Tout faire pour revenir à la normale, retrouver le monde « d’avant », qui aurait fait son autocritique et qui aurait enfin compris les leçons de cette énième crise ?
Voilà le piège qui nous est tendu. Mais qui croit sérieusement encore à ces sornettes ?
Qui peut imaginer la classe dominante renoncer à ses privilèges en refaisant le coup de la nuit du 4 août ?
Tous les « rien ne sera plus jamais comme avant  », dans la bouche des dirigeants, ne signifient rien d’autre que « rien ne changera, sinon en pire ».

On nous demandera bientôt de sacrifier nos libertés sur l’autel de la sécurité.

On nous fera comprendre que la vie de prisonniers assignés à résidence est, à quelques détails près, celle que nous devrons dorénavant accepter pour éviter de futures menaces, qu’elles soient virales ou qu’elles prennent d’autres visages. Passer du mot « coronavirus », qui ne nous dit pas grand-chose, au sigle « COVID-19 » est pourtant déjà un signal clair : le nombre « 19 » est un élément de langage, qui appelle d’autres nombres, d’autres numéros, qui peuvent se succéder longtemps.

Il y aura donc d’autres COVID ou d’autres menaces similaires, qui planeront indéfiniment sur nos vies de manière diffuse et inquiétante … Et dès lors, les mesures d’exception, qui sont déjà des exceptions à un état d’urgence lui-même déjà censé être exceptionnel, deviendront la norme, le nouvel ordinaire.

La « crise » n’est que l’autre nom que l’ogre se donne pour justifier toutes les entorses au peu de démocratie qu’il reste, pour bafouer notre dignité et piétiner nos résistances. La « crise » est à la fois le principe, la conséquence et la texture même de la machine capitaliste.

Mais la crise est aussi une brèche, une ouverture : elle nous a donné à voir ce qu’est une vie délestée de la vitesse et de la performance. Une vie délestée du travail abrutissant et aliénant. Une vie où, par la force des choses, une sorte de grève vraiment générale a paralysé le fonctionnement de la machine. Une vie où celles et ceux qui ne sont rien ont montré que sans elles, sans eux, aucune survie même n’est possible.

Une vie où les femmes, invisibilisées, méprisées, précarisées sont apparues comme essentielles et centrales dans la survie de la société. Une vie où l’ordre des priorités s’est soudain renversé : protéger, soigner, aider, enseigner et non plus exposer, pressurer, abandonner, mettre en concurrence.

Une vie où chacune et chacun, renvoyé-e à son seul « chez soi », se rend compte immédiatement de tout ce qui lui manque, d’espace et de moyens, de raffinement et de calme. Une vie où l’opulence est devenue tellement indécente que les quelques « journaux de confinement » écrits par des bourgeois-es en exil dans leurs résidences secondaires ou dans leurs luxueux appartements sont devenus des torchons ridicules et risibles, d’implacables réquisitoires contre leur propre classe sociale.

Une vie où le Medef ne peut même plus articuler sa haine des impôts et des taxes sans qu’on ne compte immédiatement en lits d’hôpitaux, en écoles, en allocations, en masques, en soignant-e-s et en aidant-e-s de toute sorte la misère et la faim que ces paroles représentent, le crime social qu’elles prétendent justifier.

Une vie où l’on se rend compte de tout ce que l’ogre nous a volé, à force de reculs sociaux, de niches fiscales, de crédits aveugles aux entreprises et aux banques, de largesses aux actionnaires, de « réformes structurelles »… Une vie qui n’était supportable que dans le tourbillon des jours, la vitesse et la fatigue, le fragile espoir que cela allait s’améliorer, qu’on allait s’en sortir…

L’ogre et la machine n’ont de force que celle qu’on veut leur prêter, ils n’existent que parce que nous les laissons exister, ils ne nous asservissent que parce que nous nous laissons faire, que parce qu’ils ont cannibalisé nos imaginaires, nos désirs, nos lieux, nos vies, tué nos rêves, anéanti notre avenir. L’apparition contingente du virus est simplement l’occasion d’en prendre conscience.

Mais si un virus a saboté la machine, que pourra-t-elle faire contre nous toutes et tous ? Parce que tout repose sur nous maintenant, parce que la machine est à terre et que l’ogre est à nu, nous n’avons jamais été aussi libres. Nous aussi, nous pouvons saboter la machine. Ne laissons plus fermer la moindre école, le moindre hôpital, le moindre bureau de poste… Ne laissons plus nos collègues se faire virer doucement, en silence… Ne tolérons plus des mots comme « charges sociales », « compétitivité », « plan social », « performance »...

Ne parlons plus jamais le langage de l’ennemi. Ne faisons plus de zèle au travail. Ralentissons nous-mêmes les cadences. Ne nous laissons plus si facilement filmer par les caméras, scruter par des drones, traquer par des applications, enserrer dans des réseaux de contrôle et de docilité gérés par des algorithmes inhumains : imposons partout l’abolition de ces modes d’asservissement, rue après rue, ville après ville.

Ne laissons plus crever nos sœurs et frères migrant-e-s, démolissons nos frontières, accueillons-les dignement comme autant de chances. Ne laissons plus les banlieues mourir doucement, et servir de laboratoires pour expérimenter les pires violences policières, les pires reculs de l’État, que nous finirons sinon un jour ou l’autre par subir partout. Ne donnons plus au racisme l’occasion de proliférer, martelons en permanence sa stupidité crasse, son fiel haineux, son simplisme démagogique, sa fonction clivante qui ne sert qu’à nous dresser les un-e-s contre les autres, quand il faudrait n’avoir en ligne de mire que la caste qui nous exploite toutes et tous.

Ne consentons plus à cet ordre patriarcal, à ces violences imposées à nos sœurs en humanité, et qui n’ont que trop duré, à ce système de pouvoir modelé par des siècles de domination masculine, d’oppression d’un genre sur un autre, et qui entretient la machine capitaliste autant qu’elle l’entretient : soyons fièr-e-s des femmes, de leur force, de leur intelligence, de leurs luttes, de leur audace et de leur courage et menons avec elles le combat pour l’égalité.

Ne laissons plus aucun responsable politique dérouler en paix le moindre discours visant à sauver la machine. Ne laissons plus le moindre lieu inhabité servir de résidence secondaire ou de potentiel de vente immobilière, mais occupons-les, réquisitionnons-les, investissons-les ; créons autant de tiers-lieux : lieux de vie, de culture, d’art, d’échanges, d’apprentissages, de soins, d’écoute, d’épanouissement, de partage. Étendons les zones à défendre, défendons chaque espace parce que chaque lieu habité par nos désirs vivants est une étincelle, chaque expérience de vie autogérée un contrefeu.

Réapproprions-nous les usines, les écoles, les bureaux, les supermarchés...

Parlons-nous, décidons ensemble, partout. Ne laissons plus le global nous détourner du local, produisons et consommons au plus près de chez nous, retissons les liens de solidarité entre celles et ceux qui travaillent et qui vivent ensemble. Ne laissons plus nos jeunes, qui n’ont connu que l’ère des catastrophes, des attentats, des crises, du réchauffement climatique, de la pollution, imaginer que leur avenir est mort, et que nous n’y pouvons rien.

Ne laissons plus accaparer les richesses de toutes et tous par les mêmes, et appelons la caste au pouvoir par ses noms : voleurs, pilleurs, prédateurs, criminels, traîtres au vivre-ensemble et exigeons qu’enfin ses exactions soient reconnues pour ce qu’elles sont, et jugées en conséquence. Inventons un nouveau chapitre du droit, articulé autour du crime social. Ne laissons plus jamais vides les rues, les places, les ronds-points, habitons-les de nos colères et de notre rage, de nos corps vivants et déterminés.
Jusqu’au bout.

Engageons-nous de toutes nos forces, partout, tout le temps.

Parce que le temps des miettes est fini. Parce que nous n’avons rien à perdre, et que nous sommes tout, exigeons tout, maintenant. Parce qu’un simple virus nous a rappelé que notre vie dépend de la politique, de la Cité, que notre vie même est politique, emparons-nous de la politique et ne laissons plus une poignée de débiles décider à notre place.

Parce que nos résistances sont joyeuses, parce qu’elles augmentent notre puissance et nous éloignent de la résignation et du défaitisme. Parce que le nouveau est contenu en germe dans chacune de nos luttes, dans chacune de nos résistances, dans chacune de nos paroles, de nos réflexions et de nos actes, il peut se disséminer comme un virus, jusqu’à contaminer le réel tout entier, jusqu’à ce que le cadavre de l’ogre se décompose en fines poussières, soulevées par le vent de l’Histoire, dans une danse d’une incandescente beauté.

La contingence des temps dessine une brèche.
Nous pouvons l’agrandir. Nous devons l’agrandir.
Jusqu’à la traverser.
Peut-être, alors, sortirons-nous de ce clair-obscur où le monstre a surgi.


Voir en ligne : https://lundi.am/L-ogre-et-la-machi...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[1Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres Antonio Gramsci.

   

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