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Pandémie et incurie de l’État : qui paiera les dommages ?

mercredi 13 mai 2020 par Philippe Prigent

Qui paiera ?

Les multiples conséquences humaines et économiques de la mauvaise gestion de la pandémie posent la question de la responsabilité de l’État envers les victimes.

Au XIXème siècle, l’État pouvait commettre n’importe quelle faute dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique sans engager sa responsabilité. Les erreurs du gouvernement dans la lutte contre les maladies, les incendies, les émeutes ou encore les terroristes n’avaient aucune conséquence juridique envers les victimes.

Le droit a considérablement évolué depuis 1905 dans le sens d’une responsabilité croissante de l’État à mesure que les connaissances progressaient et que les prélèvements obligatoires augmentaient. Plus l’État dispose de ressources et pouvoirs importants, plus on peut le tenir responsable s’il échoue et faillit dans les missions qui lui ont été confiées.

Cette responsabilité joue notamment en matière sanitaire.

La faute peut résulter soit d’une action soit d’une omission d’adopter une mesure de précaution qui s’imposait. Il y faute à chaque fois que le gouvernement ou l’administration s’est écartée du comportement qu’on pouvait attendre d’un dirigeant raisonnablement prudent et dynamique.

Ainsi, la responsabilité de l’État a été engagée pour ne pas avoir interdit l’usage de l’amiante dans les constructions (arrêt Botella du Conseil d’État 3 mars 2004). La responsabilité pour faute de la puissance publique a aussi été engagée pour ne pas avoir empêché l’utilisation du Mediator une fois sa nocivité connue (arrêt Bindjouli du Conseil d’État du 9 novembre 2016).

Conditions de l’indemnisation

La responsabilité pour faute de l’État suppose la réunion de trois conditions : une faute, un dommage à réparer et un lien de cause à effet entre la faute et le dommage.

Seuls les dommages qui auraient été évités si l’État avait fait preuve de la prudence qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui peuvent être indemnisés. C’est pourquoi il existe deux limites à l’indemnisation.

D’une part, l’État n’est en faute que si la mesure de prudence s’imposait. Dans les affaires de l’amiante et du Mediator, par exemple, l’État n’est responsable pour faute qu’à partir du moment où les dangers de l’amiante et du Mediator sont connus. En matière d’incendie, l’État n’est responsable que des dommages causés après qu’il a été averti d’un incendie et seulement s’il a réagi de façon trop imprudente au vu du danger.

D’autre part, les dommages qui n’auraient pu être évités même en faisant preuve de prudence et de réactivité ne sont pas indemnisables non plus, car par hypothèse ils ne pouvaient être évités. Par exemple, ce qui a brûlé même après que l’État a donné tous les moyens disponibles aux pompiers ne peut donner lieu à aucune indemnisation.

Il faut donc examiner au cas par cas les mesures de prudence qu’on pouvait raisonnablement exiger et la partie des dommages qui de toute façon était impossible à prévenir pour estimer si l’État doit indemniser les victimes.

Face à la pandémie, deux méthodes sont envisageables pour déterminer les fautes commises par le Gouvernement et donc par l’État.

Comparaison avec l’étranger

La première est de comparer le nombre de décès par rapport aux pays étrangers.

Selon les estimations disponibles en ligne, le nombre de décès de covid-19 déclarés par million d’habitants est de l’ordre de 380 en France, 80 en Allemagne et au Danemark, 65 en Autriche, 35 en Hongrie et 20 en Tchéquie, en Croatie ou en Pologne.

https://www.worldometers.info/coronavirus/#countries

En droit, il serait peut-être excessif d’exiger d’Emmanuel Macron et de ses ministres le niveau de compétence de Victor Orban ou des dirigeants tchèques, croates et polonais. En revanche, il semble raisonnable d’exiger des dirigeants de la cinquième puissance mondiale des performances égales à celles de l’Allemagne ou de l’Autriche.

Or manifestement notre gouvernement fait cinq à six fois pire que ces pays. Il a donc commis des fautes qui expliquent le nombre si élevé de décès, auquel il faut ajouter le nombre d’infectés souffrant peut-être de séquelles et les dommages économiques.

Le dirigeant bon père de famille

La seconde méthode pour déterminer s’il y a eu faute est d’examiner ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de dirigeants raisonnables.

Dès février, de toute évidence, les personnes qui venaient de pays où des cas étaient déjà diagnostiqués risquaient d’importer le virus et donc d’aggraver la contamination en France. Or le Gouvernement n’a pas fermé les frontières et a refusé de tester ceux qui rentraient en France.

De toute évidence, le port d’un masque réduit la transmission du virus en raison de la respiration en protégeant à la fois le porteur et les personnes qu’il rencontre. Or le Gouvernement a découragé le port du masque jusqu’à mi-avril inclus, allant jusqu’à plaider le 17 avril que le port du masque imposé violait les droits de l’homme. Le Gouvernement a d’ailleurs rejeté les demandes tendant à la production de masques ou à leur réutilisation après stérilisation, manières pourtant évidentes de pallier la pénurie.

De toute évidence, les « stocks stratégiques » de masques et de respirateurs de réanimation avaient une importance stratégique. Or depuis 2010 les gouvernements LR/PS/LREM ont laissé dépérir ces réserves.

De toute évidence, dès février on pouvait s’attendre à une pandémie et l’une des meilleures façons de limiter la propagation est d’identifier les contaminés pour les isoler jusqu’à ce qu’ils aient guéri. Or le Gouvernement n’a pas lancé la production massive de tests. Encore le 30 avril, le Ministre de la santé justifiait sa carence par une étrange théorie selon laquelle le nombre de malades aurait été identique même si tous les cas contagieux avaient été identifiés en février…

Tous ces faits sont évidemment fautifs.

La comparaison avec un comportement de bon sens comme avec les États étrangers même gérés de façon moyenne comme l’Allemagne fait apparaître des fautes de l’État qui engagent sa responsabilité. Si la loi s’applique encore en France, l’État devrait donc indemniser un grand nombre de victimes des dommages causés par le coronavirus qui auraient pu être évités si notre gouvernement était au moins aussi compétent que celui de l’Autriche.

Le gouvernement Édouard Philippe et la jurisprudence Papon

La jurisprudence Papon régit notamment la situation où un agent public a commis une faute personnelle comme une infraction pénale et où cette faute n’est pas séparable du service public. L’affaire Papon illustre bien la situation : d’un côté, l’administration de fait (pas de droit) ordonnait des déportations de juifs, de l’autre, M. Papon avait fait preuve d’un zèle particulier pour mettre en œuvre ces instructions, qui n’émanaient pourtant pas du gouvernement en droit de notre pays.

Dans son arrêt de 2002, le Conseil d’État a notamment posé le principe selon lequel l’administration condamnée pour faute peut se retourner contre son agent auteur d’une faute personnelle qui a contribué au dommage que l’État a dû réparer. C’est par exemple le cas d’un pompier alcoolique. La puissance publique doit indemniser les victimes des incendies que ce pompier aura laissé s’étendre dans l’exercice de ses fonctions mais elle pourra ensuite se retourner contre le pompier qui buvait ou cuvait pendant ses heures de service au lieu de protéger les personnes et les biens. Le pompier devra alors rembourser à l’administration une partie du montant versé aux victimes.

Dans la crise, de nombreux hauts fonctionnaires agissaient certes sous l’autorité des ministres mais ils ont commis une faute personnelle de deux manières.

D’une part, ils participaient à la définition des ordres que les ministres donnaient ensuite, de sorte qu’ils ne sauraient se soustraire à leur responsabilité pénale en invoquant des instructions illégales qu’ils ont suscitées. A titre de comparaison, le directeur de cabinet du ministre qui l’encourage à partir avec le mobilier public et l’assiste dans ce détournement ne peut évidemment pas invoquer l’autorité du ministre pour échapper à toute responsabilité pénale.
La complicité exclut la défense tirée de l’obéissance.

D’autre part, de nombreux ordres étaient manifestement illégaux car ils conduisaient à des mises en danger de la vie d’autrui, des homicides et blessures involontaires ou encore des sabotages (notamment des masques). La primauté du droit interdisait à ces fonctionnaires d’appliquer des ordres manifestement illégaux.

C’est pourquoi l’État condamné pour faute dans l’exercice de la police sanitaire pourrait se retourner vers les hauts fonctionnaires fautifs comme les membres des cabinets ministériels et les directeurs d’administration centrale pour qu’ils remboursent l’État par une saisie de leurs biens présents et futurs.

On objectera peut-être que la sanction est sévère mais est-elle différente de ceux que subissent tant d’entrepreneurs, artisans, commerçants et professions libérales ?

Un avocat ou un médecin qui commet une faute grave en répond sur ses biens propres. Un artisan, un commerçant ou un entrepreneur qui fait faillite est ruiné et voit ses biens saisis, parfois après plusieurs décennies d’efforts. Tous ceux-là ont pris des risques et en subissent les conséquences, sans avoir causé le millième des dommages créés par les hauts fonctionnaires dont les graves négligences ont aggravé la pandémie.

Pour reprendre une formule chère au Président de la République, la France doit devenir une « start up nation ». Le droit public devance ses souhaits en permettant de faire payer les échecs des hauts fonctionnaires fautifs de la même manière qu’un dirigeant d’entreprise ruiné pour faute de gestion.

Inégalité devant les charges publiques

L’égalité devant les charges publiques est issue de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui prévoit la contribution égale de tous en fonction de leurs facultés aux inévitables charges publiques. La raison d’être de l’article 13 de la DDHC était évidemment de rompre avec les multiples exemptions fiscales d’Ancien régime pour que chacun contribue à égalité à ressources égales.

Les charges publiques sont surtout les prélèvements obligatoires mais pas seulement ; l’État peut en effet imposer d’autres contraintes coûteuses comme la réquisition temporaire d’un bâtiment, l’obligation de contribuer à un service public (comme un médecin requis lors d’une catastrophe sanitaire) ou encore l’obligation de supporter des installations publiques sur sa propriété (comme des pylônes électriques).

Lorsque l’État soumet seulement certaines personnes à une charge qu’ils supportent pour autant dans l’intérêt public, il rompt par hypothèse l’égalité devant les charges publiques. Par exemple, l’administration qui interdit la circulation sur une route ruine les commerçants qui s’y étaient installés car leur clientèle ne leur rendra plus visite.

Une telle restriction est parfois tout à fait légale, de sorte que les personnes affectées par la décision administrative ne peuvent demander son annulation. C’est le paradoxe d’une décision légale – et donc impossible à annuler – voire bénéfique – mais qui entraîne une conséquence illégale, la rupture de l’égalité devant les charges publiques.

La solution juridique n’est pas d’annuler la décision mais d’indemniser les victimes spécifiques de la décision administrative. Il faut mais il suffit qu’une catégorie particulière de personnes subisse une charge particulièrement grave et distincte des autres pour être indemnisée. L’avantage de cette solution est de maintenir des décisions potentiellement utiles à la société dans son ensemble mais qui coûtent particulièrement à une petite partie des personnes affectées, sans faute de leur part.

La lettre et l’esprit du principe d’égalité devant les charges publiques sont que tous se cotisent pour indemniser celui qui souffre particulièrement dans l’intérêt de tous.

Dans la crise actuelle, la fermeture des restaurants ou de parcs touristiques pourrait justifier leur indemnisation pour rupture devant les charges publiques.

Ces activités restent fermées malgré la levée du confinement et pourraient ne pas rouvrir pendant de longs mois afin de n’ouvrir que les entreprises indispensables à l’activité économique et qui présentent un faible risque de contamination.

Cette fermeture administrative de seulement quelques entreprises est motivée par un intérêt public (légitimé par la contagion) mais frappe seulement certaines personnes, qui supportent seules une charge extrêmement élevée.

Si la santé publique peut justifier une interdiction prolongée (que la mesure soit bonne ou mauvaise, elle est compréhensible), l’égalité devant les charges publiques exclut que seules certaines personnes supportent une charge immense dans l’intérêt général.

Si le principe d’égalité n’a encore jamais été employé à une telle échelle, il ne semble toutefois pas exclu que notamment les restaurateurs et les exploitants de parcs touristiques puissent réclamer une indemnisation de la charge qui leur est ainsi imposée dans l’intérêt de tous.


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.

   

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