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"Un soldat français mis en examen pour avoir livré des informations à la Russie".

mardi 1er septembre 2020 par Philippe Arnaud

Journal télévisé de France 2, le 30 août à 20 heures présenté par Thomas Sotto.

[Thomas Sotto] : "Dans l’actualité de ce dimanche, il y a aussi cette tempête dans le monde feutré des militaires. Un officier français est dans le collimateur de la justice. Mis en examen notamment pour livraison d’informations à une puissance étrangère. Pour dire les choses simplement, ce lieutenant-colonel est suspecté d’être un traître au service de la Russie.
Bonsoir Alban Mikoczy, vous êtes en Italie et si on vient chez vous pour parler de cette affaire, c’est parce que ce soldat agissait depuis une base de l’OTAN située pas très loin de Naples."

[Alban Mikoczy] : Oui, effectivement. Selon plusieurs sources, il s’agit d’un lieutenant-colonel, âgé d’une cinquantaine d’années, et qui travaillait sur la base de Lago Patria. Ça se trouve non loin de Naples. Alors, cette base est très importante, parce qu’elle coordonne les mouvements de l’OTAN en Méditerranée, notamment les bâtiments américains.
Alors, ce qui est reproché au Français, c’est d’avoir rencontré un officier russe et de lui avoir communiqué des informations.
Qui le dit ?
C’est le contre-espionnage qui en a fait la preuve et a prévenu le ministère des Armées. Alors l’homme a ensuite été interpellé pendant ses vacances. Il est actuellement incarcéré à Paris, et, pour ces faits de trahison et de communication d’information à une puissance étrangère, il encourt jusqu’à 15 ans de prison."

Remarque 1. On a l’impression, en écoutant l’information, de contempler "un trou dans la mer", c’est-à-dire une information dont on ne reparlera plus dès le lendemain. En effet, la découverte d’espions est une opération de tout temps banale, et, régulièrement, des espions sont démasqués. A l’époque de la guerre froide, cela avait même donné lieu à un folklore, "l’échange des espions", réalisé sur le pont de Glienicke, à Berlin - si possible entre chien et loup, avec brumes montant du fleuve. [Comme, en février 1962, lorsque le pilote américain Gary Powers y fut échangé contre l’espion soviétique Rudolf Abel].

Néanmoins, le lieutenant-colonel français dont il est question aujourd’hui possède un statut moindre, par exemple, que celui de Georges Pâques, haut fonctionnaire français espionnant au profit de l’URSS, et qui fut démasqué en 1963.

Remarque 2. En dehors de l’aspect "technique" de l’espionnage (livraison de secrets politiques, militaires, scientifiques, technologiques, économiques, financiers...), les affaires d’espionnage sont aussi révélatrices - lorsqu’elles sont médiatisées - de l’opposition entre deux pays, deux systèmes, deux conceptions de la vie.
Ainsi en fut-il, à l’époque de la première époque de tension franco-allemande (1871-1914) de l’affaire Schnæbelé (en 1887, à l’époque où le général Boulanger était ministre de la Guerre), et, bien entendu, de l’affaire Dreyfus, révélatrice de la profonde division de l’opinion française.

Et, surtout, à l’époque de la guerre froide, de l’affaire des Cinq de Cambridge (Kim Philby, Guy Burgess, Donald Maclean, Anthony Blunt et John Cairncross), Britanniques espionnant au bénéfice de l’URSS.

Et, bien entendu, de Julius et Ethel Rosenberg (Américains accusés d’espionner au profit de l’URSS, et dont le procès - et l’exécution - déclenchèrent une énorme émotion - et une mobilisation à la hauteur - dans l’opinion publique progressiste dans le monde, et, spécialement, en Europe.)

Remarque 3. À cet égard, le terme "traître" est un terme à forte connotation morale, qui nous fait sortir du caractère proprement "technique" de l’espionnage, et couvre d’opprobre son auteur. En effet, le traître n’est pas seulement un espion : c’est celui qui trompe la confiance ignominieusement.

Ainsi en est-il du félon Ganelon qui, dans la chanson de Roland incite les Maures à attaquer Roland. Ou du connétable Charles de Bourbon, qui passe de François Ier à Charles Quint et combat son ancien roi à Pavie. Ou du maréchal Achille Bazaine qui, durant la guerre de 70, se laisse encercler dans Metz. Ou, durant l’affaire Dreyfus, d’Alfred Dreyfus lui-même (par les antidreyfusards), et réciproquement, du commandant Esterhazy (par les dreyfusards).

Ou bien, durant la guerre, d’un certain nombre de Collaborateurs, pas seulement les plus connus, mais les plus emblématiques (Pierre Laval, Philippe Henriot, Paul Ferdonnet (le "traître de Stuttgart"), Jean-Hérold Paquis...). Et, bien entendu, de la part de la droite américaine, des époux Rosenberg.

Tous les espions ne sont pas qualifiés de traîtres et tous les traîtres ne sont pas espions. Il faut que l’opinion attache, à leur action, une large part de vilenie, de bassesse...

Remarque 4. En ce sens, le terme de "traître" pour qualifier le lieutenant-colonel français évoqué dans le journal télévisé semble-t-il singulièrement inadéquat, voire exagéré, et même, je me permets de le dire, scandaleux. En effet, bien qu’il soit Français, on ne lui reproche pas, au sens strict du terme, de trahir la France (son pays), mais l’OTAN - dont la France est loin d’être le seul membre et même le membre le plus important ! - et de révéler les mouvements des bâtiments américains et non pas français [je souligne].

Il n’y a rien, là-dedans, de proprement français, de nature à justifier l’accusation de traîtrise... Sauf à considérer que les intérêts de la France se confondent non seulement avec ceux de l’OTAN, mais, de surcroît, avec ceux des États-Unis.

Remarque 5. Et c’est ce que l’on constate, en effet, dans le suivisme de la politique française à l’égard des États-Unis, lorsqu’elle accuse l’Iran de ne pas respecter l’accord de Vienne sur le nucléaire (alors que ce sont les États-Unis de Trump qui ont tout fait pour le saboter !), ou qu’elle reconnaît le fantoche Juan Guaido comme président du Venezuela.

On le constate dans l’emploi de l’expression "livraison d’informations à une puissance étrangère". Le terme "puissance étrangère" est l’équivalent, en matière de politique internationale, de ce qu’est le terme "individu" en matière pénale, c’est-à-dire qu’il a une connotation fortement péjorative.

Une "puissance étrangère" est nécessairement hostile, malfaisante, malveillante : l’URSS, la Russie, la Chine sont, "par nature", des "puissances étrangères". Les États-Unis, "par nature" ne le sont jamais, même lorsqu’ils infligent des amendes colossales à des entreprises françaises pour les démanteler...

Remarque 6. Cette minuscule affaire d’espionnage témoigne à quel point la France d’Emmanuel Macron (qui n’a, en cela, fait que suivre ses deux prédécesseurs) est loin du discours de Phnom Penh du général de Gaulle, en 1966, ou de celui de Dominique de Villepin à l’ONU, en 2003.

La France est retournée, bien servilement, dans sa niche étasunienne...

Je vous saurais gré de vos remarques, précisions, rectifications et critiques.

Bien à vous

   

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