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10 raisons de ne pas accorder de dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes !

mardi 22 septembre 2020 par lettre ISF Agrista

En total contre-pied avec l’ambition annoncée d’un nouveau modèle agricole respectueux de l’environnement et de la santé, le gouvernement vient de présenter un projet de loi pour permettre – dès la campagne 2021 et le cas échéant les deux campagnes suivantes – une dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes. Cette dérogation qui n’est dans les faits pas circonscrite à la culture de la betterave, ouvre la boîte de Pandore.
Nos organisations de protection de l’environnement, de la santé environnementale, représentatives des consommateur·rices, des salarié·es et issues du monde agricole demandent, au travers d’un courrier adressé aux parlementaires, de s’opposer avec détermination à ce nouveau recul en matière de transition écologique et sociale. Nous reproduisons ici cette lettre.

Photo co-contre : Les signataires de la lettre ISF Agrista

Mesdames, Messieurs les parlementaires,

Comme vous le savez, le mercredi 5 août 2020, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation a déclaré dans un communiqué vouloir accorder des dérogations permettant d’utiliser des insecticides néonicotinoïdes en enrobage de semences sur la culture de la betterave [1]. Ce 3 septembre, il a présenté un projet de loi en conseil des ministres visant à autoriser – dès la campagne 2021 et le cas échéant les deux campagnes suivantes – le recours à l’article 53 du règlement européen n°1107/2009 octroyant au moment des semis une dérogation de 120 jours pour les semences enrobées par des néonicotinoïdes. Par ailleurs, ce projet de loi ne circonscrit pas cette dérogation à la culture de la betterave et laisse la possibilité d’accorder d’autres dérogations, en supprimant de surcroît l’obligation de bilan sanitaire et environnemental qui était prévue avant tout octroi de dérogation.

Dans un courrier adressé au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, et transmis en copie à la ministre de la Transition écologique, 18 organisations [2] se sont dites fermement opposées à cette décision ministérielle qui constitue un recul inadmissible du gouvernement sur les questions agricoles, environnementales, sociales et sanitaires.

Refuser cette dérogation à la loi biodiversité s’avère indispensable pour trois motifs principaux :

Les néonicotinoïdes ont des effets délétères avérés inacceptables sur les insectes pollinisateurs et sur la biodiversité, sur la qualité des sols et de l’eau, et sur la santé humaine. Vingt ans d’études scientifiques l’ont prouvé et ont abouti à la décision de les interdire. Accepter la réautorisation des néonicotinoïdes encourage un modèle agricole à bout de souffle et conduit nos agriculteur·rices dans une impasse.

C’est aussi en contradiction totale avec les alertes des scientifiques qui invitent à protéger davantage la biodiversité. La cour des comptes européenne a par ailleurs récemment pointé les échecs des actions mises en place en matière de protection de la biodiversité et dénonçait notamment les 206 dérogations octroyées entre 2013 et 2019 en Europe pour l’usage des 3 principaux néonicotinoïdes sujets à restriction en 2013 puis strictement interdits en 2018 [3]. Il y a urgence à mettre en place des politiques publiques efficaces de sauvegarde des pollinisateurs, nécessaires à 85% des plantes cultivées en Europe.

Les solutions alternatives au recours de ces produits dangereux existent et doivent être développées et soutenues. En dernier recours, des fonds d’urgence éco-conditionnés peuvent être débloqués durant la transition pour compenser d’éventuelles pertes et transformer les pratiques agricoles.

L’opinion rejette massivement ce recul inacceptable proposé par le gouvernement. 7 français·es sur 10 se disent opposé·es à cette dérogation d’après un récent sondage. Plus de 127 000 citoyen·nes ont également signé une pétition contre la dérogation en seulement quelques jours. Un tel recul sur la loi de 2016 et la protection de notre environnement ne peut être adopté contre l’avis des citoyens. L’UE fait également le choix de tracer un chemin vers la fin de notre dépendance aux pesticides (cf. les Stratégies Biodiversité et Farm to Fork)

À l’heure où les menaces sur la biodiversité sont grandissantes et devant l’urgence d’adopter des politiques publiques efficaces, nous avons besoin de décisions courageuses. Refuser cette dérogation en est une et les 10 raisons présentées vous expliquent pourquoi. Nous sommes par ailleurs totalement disposé·es à échanger de vive voix sur ce sujet de la plus haute importance.

Nous faisons appel à votre courage politique pour protéger la biodiversité et la santé humaine, pour porter et mettre en œuvre des solutions de long terme qui permettront de protéger et soutenir les agriculteur·rices d’aujourd’hui et de demain, sans menacer à nouveau la filière apicole.
Nous vous remercions par avance.

Dans l’attente de vous lire, veuillez croire Mesdames, Messieurs, à l’assurance de nos sentiments les plus respectueux.

Les organisations signataires  : Générations Futures, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, , le Syndicat National d’Apiculture, Agir pour l’Environnement, Attac France, Bio consom’acteurs, Combat Monsanto, la Confédération Paysanne, la Fédération CGT Equipement-Environnement, la Fédération Nature & Progrès, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, Foodwatch France, France Nature Environnement, Greenpeace France, Ingénieurs sans frontières Agrista, Justice Pesticides, les Amis de la Terre, la Ligue de Protection des Oiseaux, Nous voulons des coquelicots, Pollinis, le Réseau Environnement Santé, Terre et Humanisme, Terre d’Abeilles, l’Union nationale des apiculteurs français, l’Union syndicale Solidaires, WECF France, WWF France, Eau et rivières de Bretagne, le Mouvement Inter-régional des AMAP, Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique, UFC-Que Choisir.

10 raisons de ne pas accorder de dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes

1. La récolte avant floraison, l’interdiction de planter des cultures à fleurs et le recours aux semences enrobées ne protègeront pas les abeilles et la biodiversité.

Pour faire voter la dérogation, le gouvernement justifie sa position en expliquant que la betterave est récoltée avant floraison. Dès lors, elle n’attirerait pas les pollinisateurs et l’usage des néonicotinoïdes en enrobage de semence sur cette culture serait sans conséquence sur les abeilles.

C’est également l’argument martelé depuis plusieurs années par la CGB. Dans sa pétition, lancée il y a 2 ans, elle écrit : « […] cette interdiction n’apparaît pas justifiée dans le cas de la betterave : cette plante étant récoltée durant la première année, avant la production de fleur et de pollen, elle n’attire pas les abeilles. De plus, dans 95% des cas, cette culture est suivie de céréales à paille qui ne sont pas non plus attractives pour les insectes pollinisateurs [4] ». La ministre de l’Écologie explique en outre « …[qu’] il sera interdit de planter des cultures à fleurs lors de la prochaine saison pour ne pas attirer les pollinisateurs [5] ».

Or, la récolte avant floraison, l’interdiction de planter des cultures à fleurs et le recours aux semences enrobées ne protègeront pas les abeilles et la biodiversité :

Tout d’abord, l’exposition des abeilles et autres pollinisateurs aux néonicotinoïdes se fait aussi, et peut-être même surtout, par les fleurs sauvages. Une étude de 2015 montre clairement que les plantes se trouvant à proximité des cultures traitées aux néonicotinoïdes sont largement contaminées, conduisant ainsi à une contamination importante du pollen ramené dans les ruches [6]. Or, les néonicotinoïdes agissent à des doses très faibles sur le système nerveux central des abeilles. À des doses sublétales, ils perturbent leur sens de l’orientation, leurs facultés d’apprentissage, leur capacité de reproduction etc., ce qui contribue au dépérissement des colonies.

Ensuite, les néonicotinoïdes sont persistants. Ils sont transportés par la sève dans toute la plante au fur et à mesure de sa croissance, mais seulement 1,6 à 20% de la matière active est réellement absorbée par la plante, et plus de 80% contaminent les sols, les cours d’eau et les nappes phréatiques . Dans les sols, ces matières actives toxiques peuvent mettre plusieurs années à se dégrader, et les résidus obtenus après leur dégradation sont parfois plus toxiques que les matières actives.

On les retrouve donc longtemps après l’arrêt de leur utilisation dans les sols cultivés, dans les plantes qui poussent les années suivantes et dans l’environnement des champs traités (ils peuvent y être amenés par le ruissellement, l’érosion éolienne, etc.), exposant ainsi les pollinisateurs à un risque important. Ces risques pour l’ensemble des pollinisateurs sont confirmés par une étude de 2019 conduite par des chercheur·euses du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) qui analyse les conséquences du moratoire de l’UE de 2013, restreignant l’emploi de trois de ces insecticides par le suivi de cultures de colza d’hiver pendant cinq années consécutives au moratoire européen, de 2014 à 2018.

Enfin, l’absence de floraison ne protège nullement les nombreux pollinisateurs sauvages nichant dans le sol, où les néonicotinoïdes s’accumulent et persistent, avec des concentrations entre 2 et 60 fois supérieures à celles des ressources alimentaires. Le sol représente en effet une voie d’exposition considérable pour plusieurs de ces espèces, et cette exposition aux néonicotinoïdes a des effets importants sur leur longévité, leur vitesse de développement et leur masse corporelle. Même à des concentrations correspondant aux résidus présents dans les champs entre un et deux ans après le traitement, ces substances compromettent le développement et la survie des abeilles sauvages.

Il faut enfin souligner que, si l’impact des néonicotinoïdes est particulièrement néfaste sur les pollinisateurs, un grand nombre d’études confirment également la haute toxicité de ces insecticides systémiques pour un large éventail de micro-organismes, d’invertébrés et de vertébrés terrestres et aquatiques. Dans leur ensemble, elles montrent les conséquences néfastes des néonicotinoïdes pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes.

Par conséquent, les mesures envisagées par le gouvernement s’avèrent, au regard des nombreuses et solides études scientifiques existantes, clairement insuffisantes pour protéger non seulement les abeilles mais aussi d’autres organismes non ciblés et la biodiversité en général. Ce sont le fonctionnement et la résilience des écosystèmes qui sont en jeu.

2. La dérogation ne pourra réellement dépendre des conditions météorologiques comme annoncé

L’argument, mis en avant par la ministre de la Transition écologique, selon lequel la dérogation ne serait donnée que si l’hiver est doux nous paraît impossible à mettre en œovre. Comment savoir si l’hiver sera doux ou non à l’avance ? De plus, cette notion est relativement variable d’une région à l’autre.

En réalité il va falloir que les semencier·ères et les agriculteur·rices anticipent leurs campagnes 2020-2021 avant l’hiver (fabrication des semences enrobées pour les uns et réalisation des plans de culture pour les autres) et non à la sortie de l’hiver, le 20 mars 2021, soit au moment où doivent se faire les semis de betteraves (qui se font normalement entre mi-mars et mi-avril). Il aura bien fallu au préalable fabriquer ces semences enrobées, les acheter pour les agriculteur·rices et ensuite les semer. On ne voit pas dans ces conditions comment le gouvernement pourrait interdire l’utilisation de ces semences au dernier moment, juste avant les semis. D’ailleurs, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation précisait le 6 août dernier : « Si les semis sont faits à partir de mars, le choix des cultures pour l’année suivante se décide dans les prochaines semaines. Il y a donc urgence à agir (15). » Par ailleurs, même en cas d’hiver froid, on ne voit pas bien comment le gouvernement pourrait revenir en arrière en changeant les règles du jeu et en interdisant les semis au dernier moment, sauf à déclencher une nouvelle crise avec les producteur·rices de betteraves et les semencier·ères.

Cet engagement ne pourra être tenu pour les raisons économiques évoquées ci-dessus. Une dérogation accordée cet automne ne pourra que déboucher sur une utilisation de semences néonicotinoïdes pour la prochaine campagne betteravière,quelles que soient les conditions météo de l’hiver et le niveau d’infestation par les pucerons au printemps. Aussi en cas d’hiver plutôt froid et de pression pucerons basse cela pourrait constituer un traitement chimique d’assurance totalement inutile (car effectué en l’absence de ravageurs) dangereux et inacceptable à nos yeux. Les traitements utilisés a priori, dits traitements d’assurance, constituent une pratique désuète alors que la Directive sur l’utilisation durable des pesticides (Dir 2009/128) prévoit dans son article 14 que : « Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour promouvoir une lutte contre les ennemis des cultures à faible apport en pesticides, en privilégiant chaque fois que possible les méthodes non chimiques de sorte que les utilisateur·rices professionnel·les de pesticides se reportent sur les pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement parmi ceux disponibles... »

3. Des résistances aux néonicotinoïdes apparaissent

Des recherches menées récemment par l’ANSES mettent en lumière l’apparition de résistances des pucerons verts du pêcher aux néonicotinoïdes. Le puceron vert est le même que celui qui se retrouve sur les betteraves sucrières. Les prédateur·rices des cultures sont amenés à devenir résistant·es aux pesticides censés les détruire. En 2008, on estimait que plus de 550 espèces d’insectes étaient devenues résistantes à un ou plusieurs insecticides, parmi lesquelles une quarantaine avait déjà développé une résistance aux néonicotinoïdes. Les doryphores, ravageurs de la pomme de terre, ont ainsi multiplié par 100 leur résistance aux néonicotinoïdes en une décennie à peine, comme le montrait une étude publiée il y a près de vingt ans. Cette solution du recours aux néonicotinoïdes mène donc très certainement à court et surtout à moyen et long terme cette culture dans une impasse technique.

4. La survie de la filière betterave ne dépend pas des néonicotinoïdes

Autre argument avancé par les promoteur·rices d’un retour aux néonicotinoïdes : éviter l’effondrement de la filière sucrière en France. Les menaces de fermeture d’usines et de perte d’emploi sont brandies pour justifier ce retour alors même que cela fait plusieurs années que des annonces de fermetures de sucreries sont faites, liées moins à des pertes de volumes qu’à un effondrement des prix dû à une surproduction mondiale.

Ainsi, il n’est jamais évoqué les causes structurelles de cet effondrement, à savoir la fin des quotas de « sucre » et d’un prix minimum garanti en 2017, la surproduction mondiale qui ont eu comme conséquence l’effondrement des cours et ont déstabilisé la filière dans son ensemble. Il serait donc opportun d’analyser avec objectivité en premier cette cause majeure de l’effondrement de la filière avant de faire porter cette responsabilité sur le puceron vert. Cela devra passer inévitablement par une réorganisation de la filière et plus largement des marchés pour la rendre plus résiliente.

5. Notre souveraineté alimentaire en termes de sucre n’est pas menacée

Les promoteur·rices du retour aux néonicotinoïdes annoncent des baisses de rendement qui mettraient à mal la filière et menaceraient la souveraineté alimentaire française.

En réalité, la France exporte quasiment la moitié de sa production de sucre dans l’UE et hors UE et est loin de devoir importer du sucre de l’étranger.

Par ailleurs, la prévision la plus pessimiste de rendement moyen de l’Institut Technique de la Betterave (ITB) est de 75 t/ha de betterave, soit une baisse d’environ 8 à 15% (selon le point de comparaison) et non 40 ou 50% qui ne concernent que l’impact dans les zones très touchées. En effet, si l’on compare ce chiffre prévisionnel avec le rendement moyen sur les 4 dernières années (87,9 t/ha) on obtient une baisse de 12,9 t/ha soit 14,67% de rendement en moins.

Le printemps et l’été 2020 ayant été très secs, il serait légitime de comparer les prévisions de rendement 2019/2020 avec les données d’une autre année sèche (il faut comparer des années comparables pour voir l’impact spécifique de la jaunisse, hors impact strictement lié à la sécheresse) comme 2018/19 ou la sécheresse a été forte et le rendement de 82 t/ha environ, en diminution en raison de la sécheresse (selon Terre-net). La baisse entre le prévisionnel de 75 t/ha et le rendement de l’an dernier serait dans ce cas en baisse de 7 t/ha soit une baisse de 8,53% de rendement.

Il est par ailleurs important de raisonner en rendement betterave plutôt que sucre lorsqu’il s’agit d’analyser l’impact de la jaunisse sur la production. En effet, cette dernière impacte le poids des betteraves. C’est moins le cas pour la teneur en sucre qui dépend également d’autres facteurs (date de semis, sécheresse…).

6. Les abeilles et le miel ne sont pas moins important·es que le sucre

En faisant le choix d’accorder cette dérogation aux néonicotinoïdes, le gouvernement privilégie clairement une production, le sucre (dont on connaît les effets néfastes sur la santé publique en cas de consommation excessive) plutôt que la production de miel aux vertus diététiques reconnues et, surtout, au détriment de la protection de la biodiversité assurée naturellement par les abeilles via la pollinisation des plantes à fleurs cultivées et sauvages.

Pourtant, en 2017, une étude a révélé que 80% de la biomasse des insectes volants avait disparu en Europe en moins de trente ans ; les auteur·rices de cette étude estiment que les pratiques agricoles conventionnelles sont la première cause de ce déclin spectaculaire. L’intervention des insectes pollinisateurs assure la survie et l’évolution des plantes ; ils sont indispensables à la reproduction de 75% des espèces cultivées.

Les pollinisateurs influencent également la qualité nutritionnelle de certaines productions. La présence d’une grande variété de pollinisateurs dans les cultures permet aussi d’augmenter les rendements. En octobre 2019, des scientifiques du CNRS et de l’INRA démontraient ainsi que la pollinisation gratuite des abeilles est bien plus avantageuse que l’utilisation de pesticides. Le maintien d’une biodiversité en bon état, et notamment la présence de nombreux pollinisateurs, est également un élément essentiel de la production agricole et de notre souveraineté alimentaire.

7. Des alternatives existent et doivent être soutenues

En 2018, l’ANSES admettait, dans un avis sur les néonicotinoïdes qu’il n’y avait pas d’impasse technique pour la culture de la betterave et que des produits homologués existaient (donc possédant par définition une efficacité admise).

Au-delà de l’alternative technique, se pose la question du modèle agricole et de sa résilience. Il n’est pas acceptable que toute une filière fasse reposer son existence sur l’utilisation d’insecticides alors même que des alternatives agronomiques existent.

À ce sujet, comme le souligne justement dans une tribune parue le 21 août dans le journal le Monde l’agronome Marc Dufumier : « […] des alternatives techniques à l’emploi des néonicotinoïdes existent déjà. Ces pratiques [alternatives], qui relèvent d’une agroécologie scientifique, n’ont pas pour objectif d’éradiquer les pucerons et autres insectes ravageurs, au risque d’ailleurs d’engendrer de graves déséquilibres écologiques, mais visent plutôt à pouvoir les côtoyer tout en minorant leur prolifération et leurs ravages.

Ces pratiques sont, entre autres, le choix de variétés tolérantes ou résistantes, l’allongement des rotations de cultures, la diversification des espèces cultivées au sein des mêmes terroirs, la plantation de haies vives, de bandes enherbées et d’autres infrastructures écologiques destinées à héberger des insectes auxiliaires tels que les coccinelles, syrphes et chrysopes, aptes à neutraliser les pucerons ».

Notons aussi que la betterave sucrière est produite en agriculture biologique depuis quelques années. Outre l’addition des différentes techniques citées par Marc Dufumier, d’autres adaptations (comme le choix de la date de semis) peuvent être utiles pour éviter des attaques de pucerons (un semis trop précoce laissant les cultures sans la protection des auxiliaires utiles, pas encore présents). Si la filière bio a souffert de la jaunisse dans certains territoires, la diversification de ses revenus ainsi que sa production mieux valorisée lui ont permis d’être plus résiliente économiquement.

Évidemment, le travail de consolidation de ces alternatives doit être accéléré et nous nous interrogeons sur les actions menées depuis 4 ans sur ces alternatives techniques non chimiques, qui auraient dû faire l’objet d’une attention particulière de la part de la recherche agronomique. L’État a-t-il pourvu suffisamment aux besoins des chercheur·euses et des agriculteur·rices durant toutes ces années et a-t-il passé une commande claire à la recherche agronomique sur ce sujet précis ?

L’État s’est-il réellement doté des moyens nécessaires et a-t-il réellement anticipé cette interdiction votée en 2016 ? Et qu’en est-il des organisations professionnelles et techniques ? Dans une vidéo de promotion de sa pétition en faveur du retour des néonicotinoïdes, la Confédération Générale des planteur·euses de Betteraves (CGB) expliquait déjà en 2018 (fin de la date butoir pour les dérogations) avoir besoin de deux années supplémentaires pour développer des alternatives. En 2020 il lui en faudrait finalement trois de plus. Et dans trois ans, en faudra-t-il encore trois de plus ? Ceci sera probablement le cas si rien n’est fait pour transformer en profondeur ce mode de production devenu tellement fragile dès lors qu’un produit « pesticide » vient à manquer.

Pour conclure sur ce point, il est important de noter que les premiers retours de terrain montrent que certaines zones géographiques sont peu voire pas touchées par la jaunisse (notamment les Hauts-de-France, principale région productrice, hormis l’Oise). Aussi est-il pertinent de s’obstiner à produire de la betterave dans des zones où l’on sait que les risques de prolifération de la maladie sont très importants alors que cette culture pourrait être mieux adaptée à d’autres territoires, l’adaptation d’une culture à un territoire faisant partie des bases de l’agronomie ?

8. La boîte de Pandore ne doit pas être ouverte

En accordant cette dérogation, la France ouvrirait la voie à des demandes émanant d’autres filières, maïsiculteur·rices en tête. L’ensemble des filières se presseront pour obtenir des dérogations. Comment le gouvernement pourra-t-il résister et justifier ensuite une fin de non-recevoir pour ces autres filières ? D’ailleurs a-t-il l’intention de résister aux appels des autres filières ? On peut en douter quand on lit le projet de loi soumis au Parlement puisque celui-ci ne circonscrit nullement la dérogation aux seul·es betteravier·ères mais la rend possible pour d’autres cultures.

9. Le droit de l’environnement ne doit pas régresser

Le principe de non régression du droit de l’environnement a été inscrit dans le code de l’environnement à la suite du vote de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Son principe est clair : « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Ainsi, un recul juridique s’ajoute au recul sur les plans environnemental et sanitaire.
Nous ne pouvons pas accepter une telle régression du droit de l’environnement.

10. Nous devons changer de modèle agricole pour le sauver, et de vraies solutions politiques existent pour cela

Nos organisations sont conscientes et préoccupées par la crise structurelle que traverse le secteur agricole. Notre système agricole est à bout de souffle. Le modèle dominant, industrialisé et chimique, affecte gravement la nature et la biodiversité, le climat, notre santé et l’emploi dans nos campagnes. Nos organisations demandent depuis de nombreuses années aux pouvoirs publics d’organiser la transition écologique du secteur agricole, afin de le rendre plus résilient et durable. Or, l’octroi de ce type de dérogation traduit un manque de vision et de perspective vers lesquelles notre pays devrait pourtant conduire son modèle agricole.

L’apparition de la jaunisse de la betterave est un évènement conjoncturel ne devant surtout pas remettre en question des décisions structurelles engageant le devenir des agrosystèmes et des revenus à long terme. Cette anomalie climatique peut se répéter avec le dérèglement climatique mais elle ne correspond pas à une situation normale, que l’absence de néonicotinoïdes serait venue mettre en péril.

Les pouvoirs publics et les filières agricoles doivent se mobiliser sur des solutions de long terme : l’urgence nous impose de refuser ces dérogations et d’agir, au niveau européen dans le cadre de la PAC et en France à travers le PSN, pour soutenir une agriculture durable, saine et résiliente.

« De » même, il est indispensable de prévoir des mesures dans la réglementation européenne qui interdisent l’importation de denrées agricoles ne respectant pas les règles de production de l’Union Européenne – telles que les interdictions d’usage de néonicotinoïdes.


Voir en ligne : https://entreleslignesentrelesmots....

   

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