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Il y a 70 ans : la guerre de Corée

samedi 31 octobre 2020 par Flô Bouilloux (ANC)

Synthèse du livre de Bruce Cumings The Korean War par Flô Bouilloux.
Le 24 juin 2020 a marqué les 70 ans du début de la Guerre de Corée, une guerre méconnue qui a pourtant changé la face du monde.
Parce que la Corée du Nord est toujours considérée comme un ennemi par les grandes puissances occidentales et qu’elle fait partie de " l’Axe du Mal " d’après les États-Unis, il est difficile pour nous d’avoir une vision claire de cette guerre, abreuvés que nous sommes de propagande occidentale. La plupart des récits auxquels nous avons accès ne donnent que la version étatsunienne, encore dernièrement un documentaire sur Arte, qui ne tient compte ni des découvertes faites par La Commission Coréenne pour la Vérité sur les Massacres de Civils qui a pourtant terminé son travail il y a plus de 10 ans… ni du travail de chercheurs qui mettent à mal la mythologie qui s’est formée autour de cette guerre dans le monde occidental. Difficile de trouver des ouvrages critiques et pointus en français, c’est pourquoi je me suis lancée dans cette tentative de synthèse du livre de Bruce Cumings, The Korean War, A History (2010, Modern Library).

Bruce Cumings n’est pas un hurluberlu. C’est un historien étatsunien spécialisé dans l’Asie de l’Est et les relations internationales. En mai 2007, Cumings a été le premier à recevoir le Prix Universitaire Kim Dae Jung décerné par la Corée du Sud pour Réalisations Exceptionnelles et Contribution à la Recherche en matière de Démocratie, de Droits Humains et de Paix.

Son point de vue est d’autant plus intéressant qu’il connaît très bien le contexte politique étatsunien de l’époque et est bien conscient de l’impérialisme de son pays. Cela, associé à ses propres recherches ainsi qu’à ses relations avec les chercheurs sud-coréens, lui permet de mettre en perspective les faits et de saisir toute la complexité de certaines situations.

J’ai essayé de rester, au maximum, fidèles à la pensée de l’auteur. Mes commentaires, ajouts et notes se trouvent entre crochets […] ou sont précisés. Le livre est évidemment beaucoup plus riche et peut-être cela donnera-t-il l’envie à un éditeur de se lancer dans la réalisation d’une traduction…

Rapide description historico-socio-économique de la Corée

La Corée est une nation très ancienne dont les frontières, l’ethnie et langue ont très peu changé pendant plus d’un millénaire. Sa structure sociale se maintient pendant des siècles. Durant les cinq siècles de la dernière dynastie elle se compose d’une vaste majorité de paysans, le plus souvent métayers, qui travaillent les terres d’une des aristocraties des plus tenaces.
Comme l’État réprime toute activité marchande, la bourgeoisie se développe très peu.
Après l’annexion par le Japon, dans les années 20, une élite très jeune se développe. Elle aurait été capable de gouverner une Corée indépendante mais la dépression, les guerres et la très forte répression japonaise amène une grande partie de cette élite du côté de la collaboration avec l’occupant.

Petite chronologie sur le contexte avant 1950

[- À partir de 1876, le Japon a des vues sur la Corée. D’abord avec un traité "d’amitié" ensuite par différentes guerres, il étend son influence jusqu’à obtenir le protectorat puis l’annexion en 1910. L’abdication du roi Sunjong signe la fin de la monarchie coréenne. Le Japon occupe alors la Corée et vise son assimilation dans l’Empire.]

- En 1931-32, l’Empire du Japon s’étend encore et envahit des provinces du Nord-Est de la Chine. Les forces japonaises vont rapidement faire face à une armée hétéroclite de résistance dans laquelle les coréens constituent la très grande majorité. Dans cette région, ils représentent 90 % de certaines entités comme le Parti Communiste de Chine.

[- Le 4 juin 1937, à la tête d’une guérilla communiste anti-japonaise, Kim Il-sung gagne une bataille décisive juste à côté de la frontière sino-coréenne. Mais ça n’empêche pas le Japon d’affermir son emprise sur la Corée par des décrets d’assimilation : interdiction de l’enseignement du coréen et de l’histoire du pays à l’école, remplacement des patronymes coréens par des noms de famille japonais, mise en place du culte nippon du shinto, interdiction des revues et journaux coréens.

- 1937-1945 : Guerre Sino-Japonaise ou " guerres chinoises pour résister aux Japonais ". Les résistants coréens en exil forment les Forces Coréennes Libres en Mongolie-Intérieure.

- Au même moment, près d’un million de coréens sont enrôlés de force pour travailler au sein de l’Empire (10 000 d’entre eux périront à Hiroshima et Nagasaki) et 200 000 coréennes servent d’esclaves sexuelles dans des bordels militaires. Ces femmes seront cyniquement appelées "femmes de réconfort". (Des crimes de guerre toujours pas reconnus par le Japon…) En tout, c’est 10 % de la population qui sera mobilisé.]

- À plusieurs milliers de kilomètres de là, dès 1942, les stratèges du Département d’État étatsunien (équivalent du Ministère des Affaires Étrangères) pensent que si la Corée tombe entre de mauvaises mains, ce serait une menace pour la sécurité du Pacifique d’après-guerre. Ils réalisent alors des plans pour une occupation complète ou partielle de la Corée une fois le Japon défait.

- En décembre 1945, ces plans sont mis en application et la Corée se retrouve coupée en deux au niveau du 38ème parallèle. Lors d’une conférence de leurs Ministres des Affaires Étrangères, les deux grandes puissances décident que le Nord sera sous tutelle de l’URSS et le Sud sous tutelle des États-Unis.

- La Corée du Sud reste occupée, le Japon y cède sa place aux États-Unis qui mettent en place un gouvernement militaire. Il durera 3 ans. Le peuple coréen est considéré comme victime du Japon, l’occupation est censée être " pacifique " et comporter une aide à la reconstruction et à la mise en place d’un état souverain.
Mais les États-Unis adoptent une toute autre posture : celle d’une puissance colonisatrice. S’appuyant sur la structure politique issue de l’occupation japonaise et contrôlée par l’extrême droite, l’occupation étatsunienne prend plusieurs mesures décisives : le rétablissement de la Police Nationale coloniale (créée par le Japon, réputée brutale et impitoyable), la création d’une armée propre (c’est d’ailleurs de la nouvelle Korean Military Academy que sortira le futur dictateur Park Chung Hee, instigateur du coup d’état de 1961), et le rapatriement de Rhee Syngman, coréen exilé aux États-Unis, qu’ils imposent comme président de la nouvelle république à partir de 1948.

- La Corée du Sud devient un cas classique de l’application de la doctrine de l’endiguement du communisme entre 1948 et 1950 avec un plan Marshall d’aide économique, un groupe de consultants militaires et un soutien de l’ONU. Des documents internes confirment que les États-Unis la considèrent comme un pays clé.

1945-1950 : Insurrections et répression

En 1945, quelques mois séparent la reddition de l’Empire du Japon de l’arrivée des États-Unis. Des Comités du Peuple se forment un peu partout pour reprendre le contrôle et l’organisation des villes. Ces comités sont dirigés soit par des propriétaires terriens, soit par d’anciens résistants (comme à Gwangju), tout dépend de l’histoire de la région où ils sont créés. Ce sont donc des rassemblements patriotiques et anticoloniaux aux aspects politiques complexes.

Mais les colons étatsuniens de Séoul les placent tous directement sous l’étiquette de " communiste ". Pour autant, là où les Comités du Peuple sont les plus puissants, l’administration étatsunienne est contrainte de travailler avec eux, pendant parfois plus d’un an. Dans les usines aussi, des comités de gestion autonomes sont créés.

Dès 1946, un mécontentement grandissant de la population s’exprime. Les principales causes en sont les inégalités ancestrales du partage des terres et le fossé énorme entre la petite élite des riches et la vaste majorité des pauvres. Mais l’ingérence étatsunienne va mettre de l’huile sur le feu. La puissance coloniale supprime les Comités du Peuple, rend illégaux les syndicats, et instaure une très forte répression. Dans tout le pays, dans les villes comme dans les campagnes, les insurrections apparaissent les unes après les autres parfois par un effet de domino. Ces révoltes vont jusqu’à menacer le pouvoir de la république naissante.

Contrairement aux idées reçues, tous ces mouvements sont indigènes. Ils s’appuient parfois sur d’anciens réseaux ou d’anciens membres de la résistance anti-japonaise mais n’entretiennent aucun lien avec les soviétiques et peu de liens avec la Corée du Nord (sauf dans les provinces du nord-est) ou même avec le communisme. C’est pourtant sous ce prétexte qu’ils seront réprimés très fortement, voire de manière cruelle.

Les forces contre-insurrectionnelles, elles, sont organisées et équipées par les États-Unis. Elles se composent de la Police Nationale et de milices de jeunes d’extrême-droite. Les États-Unis leur fournissent leur meilleur renseignement, établissent les stratégies et, souvent, les commandent directement.

Entre 1945 et 1950, avant même le début de la guerre de Corée, c’est près de 100 000 coréens qui vont perdre la vie dans des violences politiques. La guerre civile espagnole - qui est bien connue pour avoir été fratricide, sanguinaire et avoir généré des inimitiés qui ont perduré plus d’un demi siècle - semble être la meilleure comparaison possible pour cette guerre civile coréenne qui a commencé bien avant juin 1950 et qui se poursuit encore aujourd’hui.

24 juin 1950 : Le début de la guerre

Dès mai 1949, face à l’impossibilité d’une réunification politique, des escarmouches ont régulièrement lieu à la frontière du 38ème parallèle. Mais chacun des gouvernants du Nord (Kim Il-sung) et du Sud (Rhee Syngman) sait que son puissant allié (URSS pour le Nord et USA pour le Sud) pourra difficilement le soutenir s’il provoque la guerre.

Dans le Sud, les guérillas s’enlisent et les morts s’amoncèlent. Kim Il-sung, qui est un guerrier, est probablement fatigué de son impuissance. Toujours est-il qu’il prend la décision de passer de la guerre civile à la guerre conventionnelle quelques mois avant ce fameux 24 juin (comme l’attestent des documents officiels soviétiques). Son idée est de profiter d’une provocation du Sud à la frontière pour attaquer et mettre à bas le régime de Rhee Syngman. L’armée du Nord est moins importante que celle du Sud, mais ses soldats sont plus expérimentés. Beaucoup ont combattus en Chine pendant la résistance anti-japonaise, la Révolution ou la guerre civile.

Mais les archives soviétiques font aussi apparaître un Staline prudent et réticent qui va tout d’abord retenir Kim, avant de changer d’avis, de lui offrir des équipements militaires et de lui envoyer des conseillers. Malgré tout, Staline, craignant le basculement dans une troisième guerre mondiale, continuera pendant plusieurs mois à vouloir distancier l’URSS de l’aventurisme de Kim.

Mao aura moins de réserve à le soutenir.

Dans la nuit du 24 au 25 juin 1950, une escarmouche parmi d’autres permet à Kim Il-sung de mettre son plan à exécution. Il franchit le 38ème parallèle.
Devant l’avancée du Nord certains régiments du Sud contrattaquent mais d’autres paniquent et fuient en laissant la plupart de leur matériel sur place. D’autres encore se mutinent pour plusieurs raisons : leur faible puissance de feu, leur manque d’entraînement, une certaine défiance envers des officiers qui ont servi dans l’armée du Japon, et pour couronner le tout l’impopularité grandissante du gouvernement de Rhee qui a été désavoué par une élection relativement libre quelques semaines auparavant.

L’intervention étatsunienne par le biais de l’ONU

Les États-Unis sont à ce moment-là en plein MacCarthysme. La chasse aux sorcières fait rage, écartant la plupart des spécialistes de la région et des conseillers adeptes d’une doctrine de l’endiguement non-interventionniste.
C’est donc, contrairement aux idées reçues, le Secrétaire d’État étatsunien (Ministre des Affaires Étrangères), Dean Acheson, qui va prendre seul la décision de l’intervention de l’armée étatsunienne sur le territoire coréen.

Acheson ne peut pas supporter que la Corée du Nord se moque des États-Unis en osant envahir la Corée du Sud, d’autant que celle-ci est essentielle à la renaissance industrielle du Japon, très importante dans ses plans pour la région. Acheson est très rapidement appuyé par la Maison Blanche et les Nations Unies qui prennent une résolution pour lancer l’intervention des Forces Alliées. L’URSS est prise de court. Cette décision arrive alors qu’elle faisait le jeu de la chaise vide au Conseil de Sécurité pour revendiquer la reconnaissance de la République Populaire de Chine.
Elle n’est donc pas là pour mettre son véto.

Douglas MacArthur, le Général étatsunien, est choisi pour commander les Forces Alliées de l’ONU. Pétri de préjugé racistes et de mépris vis-à-vis des coréens, il va tout d’abord se laisser surprendre. Il faut dire qu’il n’avait pas non plus prévu que l’armée du Nord soit soutenue par la population. Des milliers de guérilleros dans les campagnes, dont beaucoup de femmes très actives dans les combats, participent au harcèlement des Force Alliées et aident à les repousser vers le sud. Si bien qu’en septembre, les forces nord-coréennes occupent la presque-totalité de la péninsule à l’exception d’un petit périmètre au sud (autour de la ville de Pusan).

En réponse, MacArthur fait bombarder et réduire en cendres chaque village suspecté de soutenir ou d’abriter la guérilla. Des couvre-feux et un fort contrôle des populations sont mis en place. Les villes dont l’histoire a montré une inclination pour des idées de gauche sont vidées de leur habitants et séquestrés sur des îles.

" La grande retraite stratégique "

En septembre 1950, l’Armée Populaire de Corée du Nord occupent quasiment toute la péninsule. Seul le périmètre de Pusan reste aux mains de l’armée de Corée du Sud et ses soutiens. La situation change du tout au tout le 15 septembre quand un débarquement, orchestré par le Général MacArthur, ouvre un front à l’ouest, à côté de la ville d’Incheon.
Contrairement à la mythologie étatsunienne, les nord-coréens sont parfaitement au courant du plan de MacArthur. Mais n’ayant pas la puissance pour résister, ils entament ce que leurs historiens appellent " la grande retraite stratégique " et commencent à remonter vers le nord.
Des documents officiels subtilisés montrent que l’armée de Kim prend des mesures cruciales pour protéger la retraite en attaquant l’armée étatsunienne à des points clés.

Le front remonte donc jusqu’au 38ème parallèle. La guerre aurait pu en rester là, les Forces Alliées ayant réussi à récupérer la situation de départ. Mais pourquoi " endiguer le communisme " quand on peut le faire reculer ? Sur conseil de son Département d’État, Truman approuve la décision d’envahir le Nord et les troupes franchissent le 38ème parallèle le 7 octobre.

L’occupation du Nord par le Sud et l’ONU

L’idée du Département d’État étatsunien, en envahissant le Nord, n’est pas de le rendre au Sud, mais que " l’autorité suprême " en soit l’ONU et qu’à terme des élections soient organisées sous supervision onusienne. Le plan prévoit même de conserver les avancées sociales et la réforme agraire qui y ont eu lieu.

Cependant, sur le terrain, à des milliers de kilomètres des " penseurs " du Département d’État, c’est tout l’inverse qui se passe. Le système du Sud s’impose à l’autre moitié du pays. Or, la " Loi de Sécurité Nationale " de Corée du Sud définit la Corée du Nord comme " une entité anti-étatique ", autrement dit comme un ennemi. Ajoutons à cela que les forces d’occupation sont composées de la Police Nationale du Sud (basée sur l’ancienne Police Nationale coloniale japonaise anti-communiste et brutale) et de milices de jeunes d’extrême-droite (qui ont grandement participé à la répression anti-communiste avant la guerre de manière très cruelle) et qu’elles ne sont contrôlées par personne. Il en résulte de nombreux massacres de civils.

L’intervention chinoise

Staline craint qu’une offensive chinoise trop puissante précipite l’entrée dans une 3ème guerre mondiale et revient sur sa promesse de fournir son aviation pour protéger les côtes chinoises. [Nous sommes 5 ans seulement après la fin de la Seconde Guerre Mondiale qui a coûté vingt millions de morts à l’URSS ; après Hiroshima et Nagasaki ; et alors que les 1ers essais nucléaires soviétiques ont seulement débuté] Un officiel de haut rang de l’époque a même rapporté que Staline était prêt à concéder la Corée aux États-Unis : " Et alors ? Laissons les États-Unis devenir nos voisins en extrême-orient… Nous ne sommes pas prêts pour le combat. "

Au contraire, la Chine se doit de venir en aide à la Corée du Nord du fait du sacrifice de beaucoup de coréens pendant sa révolution, dans la résistance anti-japonaise et lors de la guerre civile. Mao prend donc la décision d’intervenir le jour où les Forces Alliées franchissent le 38ème parallèle (le 7 octobre 1950).

Mais il faut savoir attendre le bon moment. La stratégie mise en place avec Kim Il-sung est de laisser l’armée adverse s’engouffrer en profondeur sur le territoire nord-coréen pour étendre sa ligne de ravitaillement au maximum, attendre l’hiver et gagner du temps pour renverser la bataille. [Ce qui fonctionnera puisque les États-Unis seront pris par surprise par l’hiver et par l’armée de 500 000 volontaires chinois qui attaqueront au moment où les soldats étatsuniens se rapprocheront de la frontière avec la Chine. Il en résultera une grande débâcle des Forces Alliées qui permettra au front de redescendre jusqu’à Séoul.
Il se stabilisera en mars 1951 au niveau du 38ème parallèle.]

Suspension de la guerre et premier bilan

Le 23 juin 1951, le représentant de l’URSS à l’ONU propose l’ouverture de discussions entre les belligérants. Truman accepte. Ces discussions dureront plusieurs années [durant lesquelles une guerre de tranchée se met en place et un bombardement systématique du Nord par l’US Air Force dont le but est de tout détruire] avec de multiples trêves et reprises des combats. Staline, n’ayant visiblement plus peur d’une troisième guerre mondiale, laisse traîner.

Est-ce en raison de la mort de Staline, ou de l’escalade des essais atomiques étatsuniens et de la menace de bombarder la Chine ?
Les historiens diffèrent, mais l’armistice est signée le 27 juillet 1953 par la Corée du Nord et la Chine d’un côté et l’ONU de l’autre. [Il est donc à noter que la Corée du Sud n’a pas signé l’armistice parce qu’elle a toujours refusé de signer un accord qui diviserait le pays en deux.]

Le 28 juillet 1953, la cour de l’Iowa statue que les États-Unis n’ont jamais été en guerre contre la Corée du Nord puisque le Congrès ne l’a jamais votée. Que dire alors de ce bilan ?
• Corée du Nord : 2 millions de morts dont 1 million de civils.
• Chine : 900 000 volontaires morts.
• Corée du Sud : 415 000 morts.
• USA : 34 000 morts, 92 000 blessés, 8 200 disparus.
• ONU : 3 000 morts.

Sur la guerre "totale"

[Lors de la Guerre de Corée, les États-Unis vont faire preuve d’un acharnement et d’une volonté de destruction impressionnante. La vie et la mort de millions de personnes étant décidées à des milliers de kilomètres de là par des stratèges complètement déconnectés de la réalité qui, malgré les expériences passées, croyaient encore que détruire tout un pays attaquerait le moral de ses habitants. De fait, ça n’a jamais fonctionné.]

L’une des stratégies de destruction totale se nomme " tapis de bombes " ou " bombardement de saturation ". Elle a été utilisée durant la Seconde Guerre Mondiale notamment à Dresde, Hambourg ou Tokyo et va l’être pendant 3 ans en Corée du Nord. Un plan d’autant plus disproportionné que, contrairement à l’Allemagne et au Japon, l’aviation nord-coréenne est incapable de répliquer.
Le napalm sera aussi utilisé à grande échelle de manière encore plus dévastatrice qu’au Vietnam, la Corée du Nord possédant des villes plus denses et des installations industrielles urbaines.

En tout, les États-Unis vont déverser 503 000 tonnes de bombes en Corée (sans compter les 32 600 tonnes de napalm). Détruisant les 22 plus grandes villes du Nord à plus de 50 % : Pyongyang 75 %, Sinanju 100 %, Sariwon 95 %, Wonsan 80 %, etc. Tout cela sans jamais se soucier des civils, la logique étant : " ce sont des sauvages, ça nous donne le droit de doucher de napalm des innocents ".

Après la guerre, l’US Air Force convaincra beaucoup de gens que le bombardement de saturation avait forcé les communistes à conclure la guerre. Elle aura tort, tout comme lors de la Seconde Guerre Mondiale, mais ça ne l’empêchera pas de recommencer la même destruction stupide et aveugle au Vietnam.

[Ces destructions systématiques et ses massacres de populations civiles ont lieu dans une étonnante indifférence alors même que la communauté internationale se pare d’atours humanistes pour la prévention des génocide et la protection de populations civiles en cas de guerre…]

En 1948, La Convention sur le Génocide de l’ONU est approuvée et entre en application en janvier 1951 – juste au moment où l’US Air Force inflige le dit génocide aux citoyens de la Corée du Nord sous l’égide de l’ONU... Cette Convention définit le terme " génocide " comme des actes " commis dans l’intention de détruire, tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ". Et cela inclue " la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ".

Signée en 1948, elle aussi, à Stockholm, la Convention de la Croix Rouge sur la Protection des Populations Civiles en cas de Guerre, rends illégaux les bombardements de villes ennemies. Aucune de ces conventions n’aura le moindre impact sur cette guerre aérienne qui a opéré avec une stupide et implacable automaticité.

Autre stratégie de destruction totale, le feu ultime : les États-Unis ont plusieurs fois émis l’idée d’utiliser l’arme nucléaire et ont été très proches de le faire en avril 1951. Le 6, Truman ordonne de préparer des charges atomiques en vue d’un largage sur des cibles chinoises et nord-coréennes mais dans la confusion générale qui entourent le renvoi de MacArthur, l’ordre ne sera jamais envoyé.

Deux raisons à cela : Truman profite de la crise pour convaincre les Chefs d’États-Major (Joint Chiefs of Staff - JCS) d’approuver le renvoi de MacArthur, et les chinois n’intensifient pas la guerre.
Mais des simulations ont lieu régulièrement et on peut imaginer les nerfs d’acier qu’il faut aux leaders du Nord en observant les bombardiers B-29 solitaires, chaque fois sans savoir si la bombe est vraie ou fausse.

Sur les massacres, les idées reçues et le travail de mémoire

La Guerre de Corée, plus que n’importe quelle autre guerre moderne, est entourée de reliques et de glissements de mémoire. La place de la Grande Guerre est indélébile " dans la mémoire moderne ", sa violence dévastatrice un souvenir permanent du carnage de la guerre.
La Seconde Guerre Mondiale est " la bonne guerre, une victoire pure et simple à célébrer ". Celle du Vietnam a déchiré les États-Unis. Avec la Guerre de Corée, il y a moins une présence qu’une absence ; comme le montre le nom que lui donnent les étatsuniens : " la guerre oubliée ".
Ses vétérans se sentent négligés et incompris – ils sont aussi oubliés. Les sud-coréens éprouvent un mélange de perte terrible, de tragédie, d’amertume, de fatalité, de fardeau invisible, une négation intérieure qui les attire vers le bas et les replie sur eux-mêmes, ce qu’ils appellent le han.
Les nord-coréens se souviennent d’un fléau qui leur a pris, en moyenne, un membre par famille.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, la Corée du Sud est entrée dans un processus de vérité et réconciliation suivant le modèle élaboré en Afrique du Sud. La Commission Coréenne pour la Vérité sur les Massacres de Civils a été créée en 2000. Sa mission était d’enquêter sur les massacres de civils de chaque camp, avant et pendant la guerre. Au fil des années, de nombreux charniers ont été étudiés et la lumière a été faite sur de nombreux massacres.
À chaque camp son lot de massacres...

Par exemple, il apparaît que dès le début de la guerre en juin 1950, les autorités de Corée du Sud et les milices de jeunes d’extrême-droite exécutent environ 100 000 personnes et les jettent dans des tranchées et des mines, ou tout simplement dans la mer. Dans le Nord, durant les quelques mois de l’occupation onusienne, ces milices assassineront pas moins de 35 000 personnes dans toute la région.

Pendant le terrible hiver de 1950-51, l’armée du Sud est, entre autre, responsable de la mort de 50 000 à 90 000 jeunes hommes en âge de combattre capturés autour de Pyongyang, pour former un " Corps de Défense Nationale " [des boucliers humains] lors de sa retraite.

Hormis les massacres de civils par bombardements, les GIs commettent eux-aussi leur lot de massacres et d’assassinats politiques. [Harcelés par les guérillas, les soldats se méfient de tout le monde et c’est cette peur qui va engendrer beaucoup de massacres ; à l’image de celui de Nogun-ri où pendant trois jours ils vont méthodiquement assassiner entre 300 et 500 civils sous un pont de chemin de fer.]

Plus tard, quand ils occupent le Nord, les assassinats politiques et les crimes impunis [viols, etc] seront nombreux. Seuls certains se font prendre parce qu’ils se trompent de cible : deux GIs écopent de vingt ans de travaux forcés pour avoir violé une femme et tué un homme qui était avec elle, problème : il s’agissait d’un policier de Corée du Sud. De nombreux incidents similaires arrivent pendant la guerre en toute impunité et jusqu’à aujourd’hui de nombreux viols de coréennes commis par des GIs en poste en Corée du Sud sont impunis. [Près de 40 000 GIs stationnent encore aujourd’hui en Corée du Sud] Les membres du contingent demeurent toujours imprégnés de racisme à l’égard des coréens.

Pour ce qui est de l’armée de Kim Il-Sung, pendant leur présence dans le sud, plusieurs groupes de 30 à 40 prisonniers US sont retrouvés morts dès juillet 1950. Cela émeut les étatsuniens, beaucoup plus que les massacres perpétrés par les sud-coréens… Mais des documents internes montrent que le Commandement Suprême des Forces Alliées (SCAP) est entré en possession d’ordres de l’armée du Nord demandant que ces pratiques cessent.

Des prisonniers de guerre révèlent aussi que ces exécutions ont lieu lorsque cela devient trop lourd, voire impossible, d’emmener les prisonniers vers le Nord, et qu’ils le font dans la tradition " humaine " du champ de bataille : une balle dans la nuque. Des prisonniers étatsuniens libérés après le débarquement d’Incheon témoigneront aussi de traitements globalement bons de la part de leurs geôliers (étant données les circonstances).

[Les groupes de guérilleros qui soutenaient l’armée du Nord mais sans être sous son commandement, on eux aussi commis quelques assassinats...]
Au bout du compte, [alors qu’on attribuait à l’armée de Kim Il-Sung la plupart des massacres, par défaut] les enregistrements montrent que les atrocités commises par les communistes représentent un sixième du nombre total de cas, et qu’elles ont tendance à être réalisées avec plus de " discernement " : 8 propriétaires terriens tués par-ci, 14 policiers par-là…

La "guerre oubliée" qui a remodelé les États-Unis et la guerre froide

Avant les années 50, les États-Unis n’ont jamais entretenu de grande armée permanente et l’Armée est même un élément négligeable de l’histoire et de la culture des États-Unis, mises à part ses performance lors des guerres. Jusqu’en 1941, l’armée étatsunienne reste de taille modeste comparée aux autres grandes puissances, avec peu de budget, peu d’influence, elle bénéficie même de peu de prestige. Son budget ne dépasse pas 1 % du PIB aux 19ème et début du 20ème siècles.

D’ailleurs, après la 2nde Guerre Mondiale, Harry Truman préside à la vaste démobilisation de l’armée et du complexe militaro-industriel de guerre, comme si le pays revenait à un état de normalité avec sa petite armée permanente et son isolement hémisphérique.

C’est pourquoi la doctrine de l’endiguement, telle qu’elle est conceptualisée par Georges Kennan avant 1950, se veut : un effort limité, concentré et réfléchi s’appuyant essentiellement sur des mesures diplomatiques et économiques pour redresser les industries d’Europe de l’Ouest et du Japon, tout en gardant les Russes à distance. Si le militaire doit entrer en jeu, les étatsuniens se doivent d’envoyer des groupes de consultants dans les pays menacés mais ne pas intervenir militairement eux-mêmes.

La révolution chinoise cause alors un grand trouble dans la politique étrangère. Mais Kennan prend là encore des mesures prudentes et raisonnables : il convie un groupes d’experts et après les avoir écoutés, il leur dit " la Chine importe peu. Ce n’est pas très important. Elle ne deviendra jamais une grande puissance. " La Chine ne possède pas alors de base industrielle propre, ce que Kennan pense être un élément nécessaire au développement d’une puissance de guerre.

Cela explique que la défaite des forces étatsuniennes et alliées face aux chinois et aux armées de paysans coréens, au cours du début de l’hiver 1950, cause la pire crise au sein des affaires étrangères étatsuniennes entre 1945 et la Crise des Missiles Cubains de 1962.

La Guerre de Corée va amener à une refonte de la doctrine de l’endiguement qui devient une proposition globale à durée indéterminée. Pour la première fois dans l’histoire moderne, le pouvoir dominant maintient un réseau étendu de bases militaires sur les territoires de ses alliés et concurrents économiques – Japon, Allemagne de l’Ouest, Grande-Bretagne, Italie, Corée du Sud, tous les pouvoirs industriels à part la France et l’URSS – marquant une rupture radicale avec l’équilibre des pouvoirs européens et les opérations de realpolitik [la politique étrangère fondée sur le calcul des forces et l’intérêt national], et un tournant radical dans l’histoire des États-Unis en en faisant un empire archipel.

Dix ans plus tard, le Président Eisenhower pourra dire " Nous avons été contraints de créer une très grande industrie permanente de l’armement " employant 3,5 millions de personnes dans le domaine de la défense et coûtant plus que " le revenu net de toutes les sociétés des États-Unis ". Cela provient de sa fameuse critique du complexe militaro-industriel lors de son allocution de départ. Dans sa dernière conférence de presse, il fait remarquer que l’industrie de l’armement est tellement envahissante qu’elle " s’insinue insidieusement dans les esprits ", faisant croire aux étatsuniens que la seule chose que le pays produit ce sont des armes et des missiles.

Pendant quelques années, lorsque le communisme européen s’effondre, l’idée d’une réduction de l’armée permanente apparaît, mais les " états voyous " permettent de la maintenir, et bientôt la " guerre contre la terreur " fournit un engagement à durée indéterminé, informe et global.

Les troupes étatsuniennes occupent toujours le Japon, la Corée et l’Allemagne 75 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Vers une réunification ?

[Aujourd’hui, en Corée du Sud, les sujets de lutte sont encore nombreux. Les plaies de la colonisations japonaises ne sont toujours pas refermées, et malgré des relations " normalisées " au niveau des gouvernements, elles ne le seront pas tant que le Japon ne reconnaîtra pas l’esclavage sexuelle des " femmes de réconfort " dans ses bordels militaires dans les années 30 à 45. Dans les années 70-80 de grands mouvements sociaux ont eu lieu, pour plus de démocratie, de droits du travail, de droits sociaux, très réprimés par des gouvernements, téléguidés par les États-Unis, paniqués à l’idée que des idées " communistes " émergent dans la société.]

Ces décennies de lutte ont eu comme aboutissement majeur la création de la Commission Coréenne pour la Vérité sur les Massacres de Civils qui a mené une enquête compréhensive et perspicace de la vérité, définie comme cela à été le cas auparavant en Afrique du Sud comme dans l’intérêt de cicatrisation et du rétablissement, dans l’intérêt de la paix et de la réconciliation. Guérison, non seulement des gens mais de la nation – le fait que les victimes et les auteurs de crimes témoignent et sachent la vérité a une valeur réparatrice et thérapeutique.

Kim Dae Jung, élu Président de la République en 1997, qui est plus un homme politique charismatique qu’un historien ou un chercheur, a eu un rôle très important dans cette recherche de réconciliation au sein du Sud (notamment avec le sud-ouest rebelle qui a beaucoup souffert des répressions successives entre 1890 et les années 1990 par les japonais, les étatsuniens, puis les dictateurs successifs) et avec le Nord. Après son mandat et celui de son successeur, la plupart des gens ont changé de point de vue sur le Nord, les monstres communistes diaboliques sont devenus des frères, des cousins, dirigés par des oncles un peu cinglés.

[Tout cela permet aux coréens de rêver de réunification. Mais après plus de 75 ans de vie séparée et des évolutions diamétralement opposées, aucun des deux côtés n’admettrait d’être absorbé par l’autre. Alors certains imaginent un pays qui conserverait les deux systèmes.
Malheureusement, tant que les États-Unis occuperont la Corée du Sud, toute idée de réunification paraît compromise, les espoirs évoluant au rythme des changements de présidents étatsuniens et sud-coréens, et de la politique internationale.
En ce début de guerre froide avec la Chine, le peuple coréen se retrouve encore une fois au milieu d’enjeux politiques qui le dépasse et l’idée d’une réunification ne semble pas à l’ordre du jour et ne le sera peut-être pas avant longtemps…]

   

Messages

  • 1. Il y a 70 ans : la guerre de Corée
    6 novembre 2020, 08:45 - par Charles Hoareau, Président de l’A.N.C


    Un excellent travail ! Un article à partager largement. Merci à l’auteure

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