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Pour en finir avec les peurs du siècle (Chapître II)

dimanche 11 avril 2021 par Pierre Lenormand (ANC)

Voici donc la deuxième partie du texte de Pierre Lenormand :

ANGOISSES ET RÉPRÉSSIONS : LES POLITIQUES DE LA PEUR.

Aux racines des peurs ; menaces, dangers, risques.

Les psychologues ont montré comment la peur pouvait être pour chacun d’entre nous, un réflexe salutaire. Des formes actuelles plus insidieuses se sont répandues, touchant au quotidien des personnes et des familles, alimentaires et sanitaires notamment. Elles participent désormais d’une peur de masse, liée au fait que nous serions en effet rentrés dans une société de l’incertitude, un monde de menaces, identifiées comme autant de dangers, qui quantifiés statistiquement sont promus comme des risques, monnayables car assurables …
La théorie du risque a explicitement inspiré le petit ouvrage intitulé « Doit-on avoir peur ? » (Editions du 1- Philippe Rey, 2021) rassemblant sous la direction d’Eric Fottorino une vingtaine de contributions portant sur les cinq risques retenus : sanitaire, alimentaire, nucléaire et industriel, sécuritaire et terroriste.

Curieusement les grands accidents chimiques (AZF, Lubrizol, Beyrouth) ne sont qu’évoqués. On remarquera que les risques liés aux catastrophes naturelles - ne relevant pas de systèmes marchands d’assurances - ne sont pas pris en compte. Une place importante est faite à l’épidémie de coronavirus, considérée il est vrai comme une crise à la fois sanitaire et économique, largement déterminée par notre ‘société industrielle’.

Mais bizarrement le risque climatique n’a pas été retenu non plus [1].

Quelle réponse ?

La plupart des contributions écrites de 2015 à 2021 ne répondent pas vraiment à la question posée.

Mais Jean-Pierre Dupuy qui enseigne la science politique à Stanford (Californie) part du ‘risque nucléaire et industriel’ (ici curieusement associés) et prend clairement position : « La bombe nous protège parce qu’elle nous menace » (p. 43-48) : « ...Nous avons intérêt à ce qu’une voix dise la catastrophe ne va pas avoir lieu, et qu’une autre voix, même minoritaire, dise qu’elle va avoir lieu. Il faut cette voix pour que nous ayons peur ». Et l’équilibre de la terreur qui a marqué la guerre froide peut lui donner raison.

Mais il va plus loin : même aujourd’hui, l’existence de l’arme atomique est utile, voire nécessaire : « Une dénucléarisation totale, comme le préconisent beaucoup d’Américains » (?) « ne serait pas une bonne solution (…) On n’alarme pas assez, c’est la question ». Et l’introduction de Fottorino renvoie pour conclure au même Jean-Pierre Dupuy : « Oublier ou refuser d’avoir peur, c’est peut-être laisser au pire la possibilité d’advenir (…) Contrairement au dicton, la peur a peut-être le pouvoir d’écarter le danger. »

Ce thème de la peur ‘bonne conseillère’ n’est pas récent : le philosophe Gérard Bensussan rappelle en novembre 2020 les thèses du philosophe allemand Hans Jonas qui, dans ‘le principe responsabilité’ (1979) « fait de la peur un guide pour l’action (…) hautement utile à la politique, car elle fonde et stimule la responsabilité sociale de ceux qui ont à décider. Il estime pour sa part que la peur esquisse une voie courageuse, un souci éthique et une inquiétude pour ceux qui viendront après nous ». [2]

Dans ce recueil, seul André Comte-Sponville dans sa contribution ‘il me parait urgent de résister à l’ordre sanitaire’ prend quelque distance avec cette sorte d’injonction à la peur. Appelant Montaigne à la rescousse (« ce dont j’ai le plus peur, c’est de la peur") il écrit en septembre 2020 : « c’est pourquoi notre époque me fait peur : elle est effrayante à force d’être effrayée… »

Mais aucun des 18 contributeurs ne pose la question de l’utilisation, par ceux qui détiennent le pouvoir, des inquiétudes et des peurs chez nos concitoyens. Et pourtant ...

Effrayer pour régner :

États d’exception, états d’urgence sont les instruments classiques des ‘ politiques de la peur’ à vrai dire fort anciennes, et propres aux diverses formes de tyrannies. Au début des années 2000, c’est le terrorisme, et la peur qu’il inspire à la population, et plus encore sans doute aux gouvernants, qui les suscitent.

Dans un article de la revue ‘Lignes’ (2004/3, p.109-118) le philosophe Jean-Paul Dollé écrivait : « La politique de la peur repose sur un axiome : l’obéissance est d’autant plus facilement obtenue de la part des sujets que ceux-ci pensent pouvoir être débarrassés de leur peur par un pouvoir qui leur accorde protection à proportion de leur accord volontaire. C’est le secret de la servitude volontaire. Le prince est tout puissant de l’impuissance acceptée par tous … » Et il conclut : « Tel est le ressort de la politique de la peur. Plutôt vivre à genoux que mourir debout ! ».

Sept ans plus tard, Serge Quadruppani [3] en propose une définition :
« celle qui, menée par la droite comme par la gauche, empile les lois liberticides, développe sans relâche les techniques de surveillance et les fichiers, et choisit de brandir toujours plus haut la menace ‘terroriste’. C’est celle qui, au nom du 11 septembre, s’en prend quotidiennement aux étrangers, aux jeunes, aux internautes, aux prostitués, aux chômeurs, aux autres, à tous les autres. (…) Pour les dirigeants politiques qui tentent vainement de gérer l’économie globale, la politique de la peur permet de compenser leur quasi-impuissance par un activisme répressif surmédiatisé ».

De telles politiques « participent d’une stratégie globale décrétant (…) sous de multiples formes, un état de guerre permanent ». Mais à la différence de la guerre proprement dite « dont la durée est forcément limitée » cet état de guerre « peut se perpétuer de manière illimitée. » (Jean-Paul Dollé, ibid)

Ainsi toutes les inquiétudes, réelles ou supposées, sont instrumentalisées. La découverte de 480 contaminations par le virus Ebola en France et leur médiatisation ‘il va y avoir des morts !’ avait déjà inspiré à Francis Arzalier, en 2014 un billet intitulé ‘la France a peur’ : « Cette grand-messe médiatique de l’effroi anesthésie une opinion mieux que le firent en d’autres temps Jéhovah, Jésus, Allah, ou leurs disciples. Le commun des mortels, désespéré par l’austérité, le chômage, et la destruction des industries, voit la réalité comme un spectacle indéchiffrable, irrationnel ».

Avec l’épidémie de coronavirus, on passe à une nouvelle étape, qu’analyse le psychologue et psychanalyste Francis Martens :
« En fait, le coronavirus est l’allié objectif des systèmes de surveillance rapprochée, et de tous ceux qui en font joujou ou profession. (…) Technologiquement, tout est déjà en place - sans le moindre débat. La synergie aveugle du pouvoir financier et de l’emprise technologique règle la marche. La peur sert de catalyseur. Anesthésiés par le virus et par la crainte d’une mort fort déplaisante, au fil de « réunions de crise » et d’injonctions subséquentes, nous sommes - pour notre bien - prêt(e)s à tout accepter » (revue belge ‘Politique’, 11 août 2020, « la peur, cette mauvaise conseillère ! »)

A ceux qui me reprocheraient de donner la parole à des complotistes patentés, j’appellerai pour ma défense une personnalité a priori - et de ce point de vue - insoupçonnable, le secrétaire général de l’ONU, l’espagnol Antonio Guterres. Dans une Adresse au Conseil des Droits de l’Homme, il a déclaré le 22 février 2021 :
« Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants ».
On peut être sans illusion sur les ‘autorités’ qu’il vise sans les nommer, mais c’est dit.

Instrumentaliser les peurs : interdire, infantiliser, culpabiliser

Suite aux attentats terroristes du 13 novembre 2015, l’état d’urgence est décrété le 14, au nom duquel le préfet de police interdit de manifester à Paris [4]. Il est prolongé de 2015 à 2017, et suivi de la loi de sécurité intérieure de juillet 2017 [5].

« L’état d’urgence sanitaire » est institué par la loi du 23 mars 2020, prolongé à quatre reprises, et au moins jusqu’au 1er juin 2021. Les uns et les autres donnent aux préfets des pouvoirs renforcés. Les instruments législatifs restreignant les libertés publiques se sont ainsi multipliés, assortis d’interdictions et de sanctions.

Avec le covid-19, confinements et couvre-feux complètent l’arsenal, avec des instruments de contrôle inédits comme les diverses « attestations de déplacement dérogatoire. » prévoyant des pénalités en cas de non respect. S’appliquant à chacun d’entre nous, des mesures strictes comme les « gestes-barrières » sont imposées au nom de la distanciation dite sociale, assorties de 135 € amendes [6] .

Face à la crise climatique, des ‘petits gestes’ quotidiens étaient et sont aussi vivement recommandés ‘pour sauver la planète’, sans pour autant revêtir de caractère obligatoire. Les effets du réchauffement climatique restent en effet une menace à moyen ou long terme, dont le caractère d’urgence n’apparaît pas immédiatement, au point d’imposer toute une bataille d’idées pour l’imposer dans les têtes.

De leur côté, les accidents industriels, ou les attentats terroristes font partie des menaces, mais restent rares et touchent une proportion très faible de la population, pour laquelle ils apparaissent improbables. Mais avec la pandémie on passe à un niveau supérieur, à un double point de vue : la menace est immédiate (c’est aujourd’hui) et générale (c’est tout le monde).

On comprend ainsi comment elle plonge dans la terreur et tétanise des pans entiers de la population, et comment pour des raisons objectives (?) elle justifie de la même façon la rigueur des mesures, incompréhensibles parfois, ou ridiculement tatillonnes.

C’est que, nous explique-t-on en haut lieu, « nous sommes en guerre » ! ce qui suppose obéissance et soumission. Mais ce système d’interdits et d’obligations, assorti de punitions, est vécu par tous ceux, et ils sont nombreux, qui souffrent de ce carcan réglementaire comme une entreprise d’infantilisation généralisée. Entreprise de plus en plus analysée par des journalistes, des psychologues et des militants qui sont de plus en plus nombreux à exiger : « cessez de nous traiter comme des enfants ! ».

Les mêmes interdits et les leçons de morale qui les accompagnent produisent un autre effet délétère. La dénonciation du « relâchement » et du « laisser aller ».
Les jours de beau temps voient se multiplier les opérations de police sur le Canal Saint Martin, sur les quais des fleuves et sur les bords de mer. Dans les grands médias les passants sont mobilisés pour dénoncer les gestes et comportements « irresponsables », des jeunes notamment.

Pour la fraction tétanisée de la population, chacun d’entre nous est en effet devenu le « porteur potentiel d’un virus littéralement « terroriste ». L’effet premier de cette image (…) créée et implantée dans les consciences (…) est d’installer la terreur. Nous sommes tous devenus des coupables potentiels.

À la culpabilisation personnelle ‘ne visitons pas nos anciens pour ne pas les contaminer’ s’ajoute une culpabilisation collective : « si vous ne vous protégez pas vous mettez en danger les autres ! » [7].
Les pratiques de délation ont repris, les soignants sont fermement invités à se faire vacciner, et/ou menacés d’une vaccination obligatoire.

Infantilisation et culpabilisation détruisent ainsi sûrement la responsabilité individuelle et collective à laquelle pourtant les autorités scientifiques et politiques nous appellent sans cesse. Les uns et les autres nous expliquent que toutes ces mesures, aussi difficiles à supporter, aussi préjudiciables à la vie personnelle, à la vie sociale et à la vie économique soient-elles, sont décidées pour notre bien.

Vu la défiance qu’elles inspirent, on ne s’étonnera pas que ces mesures - dont pourtant une part sans doute est justifiée - soient contestées, et mal appliquées. Mais il faut d’autant plus s’y conformer qu’elles reposent « sur la science et sur les scientifiques ». Et pourtant, devant la multiplicité, les contradictions et les incohérences des messages reçus, il est difficile de distinguer le vrai du faux.
On n’échappera donc pas à une interrogation sur le fond….

(A suivre : Des sciences prises en otage ou ouvertes aux débats éclairés ?)

Citations à l’appui

Jean-Pierre Dupuy : «  Le temps est venu de mener une réflexion sur le destin apocalyptique de l’humanité : nous avons en effet acquis la certitude que l’humanité était devenue capable de s’anéantir elle-même, soit directement par les armes de destruction massive, soit indirectement par l’altération des conditions nécessaires à sa survie. Le pire n’est plus à venir mais déjà advenu, et ce que nous considérions comme impossible est désormais certain. Et pourtant nous refusons de croire à la réalité du danger, même si nous en constatons tous les jours la présence. Face à cette situation inédite, la théorie du risque ne suffit plus : c’est à l’inévitabilité de la catastrophe et non à sa simple possibilité que nous devons désormais nous confronter. (, introduction au « catastrophisme éclairé », Seuil 2004).

Francis Martens (psychologue et psychanalyste, dans la revue belge ‘Politique’ 11 août 2020) : la peur, cette mauvaise conseillère !
« Le plus frappant, c’est la facilité avec laquelle les démocraties européennes ont réussi à proclamer l’état d’exception et à mettre en place un contrôle politique et technologique sans précédent. (…) La technologie en place permet de « tracer » ce qui fait peur. Il s’agit simplement de mieux fermer les portes et de traquer les ennemis de l’intérieur. L’évidence du danger, il est vrai, ne suffit pas toujours à mettre en garde. L’idéologie de la croissance mène droit dans le mur, mais qui oserait arrêter en rase campagne un train lancé à cette allure ? Freiner la prédation collective sous couleur d’optimisation des ressources n’est pas réaliste. À la remise en cause d’un système promis à l’effondrement, préférons l‘effondrement. La guerre sélectionnera les plus forts. À moins que les virus ne fassent le travail ?
Panique anti-terroriste, phobie anti-virale, études de marché, ami(e)s sur Facebook, même outillage ! Ce qui n’était au départ que gadgets ludiques (réseaux sociaux, smartphones, webcams) ont tissé insensiblement un réseau où chacune et chacun peut se voir épié(e) à moindres frais. Sans compter la paranoïa suréquipée des réseaux d’espionnage patentés. En fait, le coronavirus est l’allié objectif des systèmes de surveillance rapprochée, et de tous ceux qui en font joujou ou profession. Non que le traçage ne soit nécessaire sur le plan épidémiologique mais, tout à coup, il nous fait réaliser ce que nous savions, sans vouloir le savoir : technologiquement, tout est déjà en place – sans le moindre débat. La synergie aveugle du pouvoir financier et de l’emprise technologique règle la marche. La peur sert de catalyseur. Quotidiennement, sous l’œil indifférent des passants, des caméras identifient chaque véhicule. Il s’agit d’une hydre anonyme échappant pour bonne part aux États, comme l’illustre la tentative d’installation sauvage de la 5G en Belgique. Même l’écrivain G. Orwell n’aurait osé imaginer un tel maillage. Anesthésiés par le virus et par la crainte d’une mort fort déplaisante, au fil de « réunions de crise » et d’injonctions subséquentes, nous sommes - pour notre bien - prêt(e)s à tout accepter ».


[1Dominique Bourg pourtant met la menace climatique au premier plan. Après avoir rappelé les 300 000 morts par covid initialement prédits en France par l’Imperial College, il poursuit : « les dangers sont infiniment plus grands avec le climat. (...) Nous aurons probablement atteint les 2° de plus en 2040, et à ce moment-là plusieurs lieux sur terre deviendront littéralement inhabitables. (…) Notre civilisation vient de recevoir un avertissement » (p.18). De même, Noam Chomsky (Danger d’extinction, trad. Nicolas Calvé, Editions Ecosociété, Montréal, 2020) met aussi au premier plan d’un effondrement global « Changements climatiques et menace nucléaire. ».

[2Comme le note Pascal Acot dans son petit et précieux ouvrage « l’écologie de la libération » (le Temps des Cerises, 139 pages, 2017) Hans Jonas a souligné à juste titre les responsabilités des générations actuelles et futures. Mais il le fait dans une vision pessimiste du monde, qu’il oppose au « principe espérance » du philosophe marxiste Ernst Bloch. Celui-ci soulignait que « l’élaboration d’utopies est une fonction essentielle de la conscience humaine, par laquelle elle esquisse les traits d’un monde meilleur »

[3Quadruppani Serge : ‘La politique de la peur’ (Seuil, 2011)

[4Ce que dénoncent plusieurs intellectuels français dont Serge Quadruppani toujours et Frédéric Lordon : « C’est une victoire pour Daech que d’avoir provoqué la mise sous tutelle sécuritaire de la population tout entière (…) S’il existe quelque chose comme une valeur française, c’est d’avoir refusé depuis au moins deux siècles de laisser la rue à l’armée ou à la police (...) nous n’acceptons pas que le gouvernement manipule la peur pour nous interdire de manifester ».

[5La Loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) du 21 juillet 2017 fait suite à la loi sur la sécurité intérieure (LSI) adoptée sur proposition de Sarkozy en mars 2003, qui instituait de nouveaux délits et de nouvelles sanctions, visant notamment les « rassemblements menaçants ou interdits », les « gens du voyage » et les « squatteurs », et élargissait les possibilités de fichage.

[6Sans oublier les fermetures des restaurants, bars, cinémas et théâtres et commerces ‘non essentiels’, des zones commerciales, et la mise en place de diverses « jauges » pour les établissements restés ouverts. Jusqu’aux recommandations insistantes à ne pas dépasser six convives pour le réveillon de Noël, désormais étendues aux rencontres en extérieur !

[7Thomas Werden, la culpabilisation collective, une arme idéologique absolue (France-soir, tribune du 8 décembre 2020)

   

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