Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > Cercle Manouchian : Université populaire > Bibliothèque Marxiste > Marx, la propriété coopérative des ouvriers eux-mêmes

Marx, la propriété coopérative des ouvriers eux-mêmes

mardi 20 février 2018

« Parmi ces mots celui que Marx a utilisé plus souvent – presque plus souvent que communiste – a été l’association. Marx a décrit la société future comme« association qui abolira les classes et leur antagonisme » (Misère de la philosophie) et comme « association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition pour le libre développement de tous » (Manifeste communiste).... »

Ces lignes sont extraites d ’un texte émanant du Parti socialiste de Grande-Bretagne. Lequel poursuit :

« L’association était une expression employée dans les cercles ouvriers en Angleterre pour signifier une union volontaire des travailleurs pour surmonter les effets de la concurrence. C’était aussi le sens donné par Marx : dans la future société les producteurs coopéreraient volontairement à promouvoir leur propre intérêt commun ; ils cesseraient d’être « la classe ouvrière » et deviendraient une communauté sans classes. »

Bien évidemment, ce texte vaut comme rappel de ce qui a été longtemps « oublié », à supposer que ce ne puisse l’être encore...

Michel Peyret

La conception de Marx du socialisme

Marx s’est couramment référé à la société qu’il envisageait être établie par la classe travailleuse [1] comme « société communiste ».Précisément parce qu’il croyait que « la société communiste » résulterait de la lutte et du mouvement de la classe travailleuse contre ses conditions de vie sous le capitalisme, Marx s’est toujours refusé à en donner quelque portrait détaillé : c’était à la classe travailleuse elle-même de l’établir. On trouve toutefois des références dans ses écrits, publiés ou non, sur ce qu’il pensait devoir être les dispositifs de base de la société nouvelle que la classe travailleuse établirait à la place du capitalisme.

Libre association

Soulignons que jamais Marx ne distingue « la société socialiste » et« la société communiste ». Jusque Engels et lui, les deux mots signifiaient la même chose, étaient interchangeables pour décrire la société qu’ils pensaient que la classe travailleuse établirait à la place du capitalisme, ce que nous poursuivrons dans cet article.

En fait, sans compter "communiste", Marx a utilisé quatre autres mots pour décrire la société future : associated, socialised, collective et co-operative (associée, socialisée, collective et coopérative). Tous ces mots vont dans le même sens et mettent en évidence le contraste avec la société capitaliste où non seulement la propriété et le contrôle de la production sont privés, mais généralement aussi la vie, isolée et atomisée. Parmi ces mots celui que Marx a utilisé plus souvent – presque plus souvent que communiste – a été l’association. Marx a décrit la société future comme« association qui abolira les classes et leur antagonisme » (Misère de la philosophie) et comme « association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition pour le libre développement de tous » (Manifeste communiste). Dans le volume III du Capital Marx écrit trois ou quatre fois que la production sera contrôlée dans la future société par « les producteurs associés »(éd. anglaise pp. 428, 430-1 et 800). L’association était une expression employée dans les cercles ouvriers en Angleterre pour signifier une union volontaire des travailleurs pour surmonter les effets de la concurrence. C’était aussi le sens donné par Marx : dans la future société les producteurs coopéreraient volontairement à promouvoir leur propre intérêt commun ; ils cesseraient d’être « la classe ouvrière » et deviendraient une communauté sans classes.

Pas d’État coercitif

Dans ces circonstances il n’y aurait plus place pour un État conçu comme outil de pouvoir politique au-dessus des gens. Selon Marx, l’État, en tant qu’organe social de coercition, n’était nécessaire dans les sociétés divisées en classes que comme outil (de classe) pour contenir des luttes (de classe). Comme il l’a écrit, dans la société socialiste « il n’y aura plus de pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisément le résumé officiel de l’antagonisme dans la société civile » (Misère de la philosophie) et "le pouvoir public perd[ra] son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre " (Manifeste communiste).

La société socialiste aurait besoin en effet d’une administration centrale mais ce ne serait pas un « État » ou un « gouvernement »parce qu’il n’aurait à sa disposition aucun moyen de contraindre les gens, ce serait l’administration des choses sous contrôle démocratique. Marx approuvait la proposition de Saint -Simon et d’autres premiers critiques du capitalisme pour la « transformation de l’État en une simple administration de la production »(Manifeste communiste), et a également déclaré que « la liberté consiste à transformer l’État, organisme qui est mis au-dessus de la société, en un organisme entièrement subordonné à elle »(Critique du programme de Gotha). En d’autres termes, une fois le socialisme instauré et les classes supprimées, les dispositifs coercitifs et antidémocratiques de l’appareil d’État aurait été supprimés, ne laissant que des fonctions administratives essentiellement dans le domaine de la planification et de l’organisation de la production.
Propriété commune

Ressources naturelles et outils de production seraient tenus en commun : Marx parle « d’une communauté des individus libres, continuant leur travail avec les moyens de production en commun » (vol. I, P. 78) et, dans sa critique du programme de Gotha, « de la société coopérative basée sur la copropriété des moyens de production » (P. 22) et « des conditions matérielles de la production » étant « la propriété coopérative des ouvriers eux-mêmes » (P. 25). Il est significatif que Marx n’ait jamais défini la société communiste en termes de propriété et contrôle des moyens de production par l’État, mais plutôt en termes de propriété et contrôle par une association volontaire des producteurs eux-mêmes. Il n’a pas donné d’équivalence entre ce qui s’appelle maintenant la « nationalisation » avec le socialisme.

Production planifiée

Un autre dispositif de la société communiste, selon Marx, serait la production planifiée. Il décrit une société « dans laquelle les producteurs ajustent leur production selon les prévisions »(retrad. de l’anglais, Vol. III, p. 256) et où la « production par les hommes librement associés… consciemment réglée par eux selon un plan programmé » (retrad. de l’anglais, vol. I, P. 80).Retour ligne automatique
La planification consciente, le contrôle conscient des conditions de vie matérielles, était clairement pour Marx l’essence du socialisme. Dans les années 1840,quand il avait l’habitude de s’exprimer philosophiquement, Marx soulignait toujours ce point. Était-ce ce qu’il a voulu dire quand il a écrit que la vraie histoire ne commencerait pas avant que le socialisme ne soit instauré ? (…) Le socialisme permettrait aux hommes de réconcilier leur rapport à la nature ; seule une société consciemment planifiée serait une société véritablement humaine, une société compatible avec la nature humaine.

Mais l’approche de Marx de la planification dans le socialisme n’était pas simplement philosophique. Elle était pratique aussi. Il était conscient du fait que régler la « production selon les prévisions »serait une tâche d’organisation énorme. Ce serait en effet, si vous voulez, le problème économique du socialisme. Lier la production au social serait d’abord une difficulté comptable. Les calculs utiliseraient comme mesure le temps de travail, à savoir combien de celui-ci est nécessaire à la production d’articles, et d’autre part la véritable demande sociale des divers articles (par opposition au marché monétaire), le tout permettant de bâtir un plan en vue de la répartition des ressources et du travail dans les différentes branches de la production.

A certains endroits, Marx compare la façon dont le capitalisme et le socialisme aborderaient les mêmes problèmes, par exemple un projet à long terme déboucherait pas sur des produits finis les premières années. Marx explique que c’est un problème sous le capitalisme, notamment de retour financier sur investissement, mais qu’avec le socialisme ce n’est plus qu’une question de planification (vol. II, pp. 315 et 358). Il en va de même avec les erreurs dites de surproduction : sous le capitalisme elle provoquent une crise et une baisse de la production, mais avec le socialisme (où la surproduction serait par rapport à une vraie demande sociale et non un marché) ce ne serait pas un problème, cela serait corrigé dans le plan suivant (vol.II, pp. 468-469).

Dans sa critique du programme de Gotha (p. 22) et dans le volume III (p. 854) du Capital, Marx évoque le produit social dans une société socialiste : remplacement des moyens de production en amont (matières premières, machines usées…) ; augmentation de la production ; petit excédent comme réserve en cas d’accidents et de catastrophes naturelles (nous pourrions ajouter : et d’erreurs de calculs dans la planification) ; consommation individuelle des producteurs et de ceux qui ne sont pas en capacité de produire (jeunes, vieux, malades) ; consommation sociale des écoles, hôpitaux, parcs, bibliothèques, etc. ; administration non liée à la production.Retour ligne automatique
Tout ceci semble évident, mais il valait mieux le noter pour démontrer que Marx avait étudié les problèmes pratiques de la planification de la production.

Abolition du marché

La société socialiste, c’est clairement exprimé par Marx à plusieurs reprises, sera une société non-marchande, avec tout ce que cela implique : pas d’argent, ni achats ni vente, aucuns salaires, etc. Il concevait en fait la planification correcte et le marché comme incompatibles : ou bien la production est réglée par un plan consciemment pré-élaboré ou bien elle est réglée, directement ou indirectement, par le marché. Quand Marx a parlé des hommes dominés sous le capitalisme par les forces invisibles, c’est précisément les forces du marché qu’il avait en tête. Pour lui le capitalisme était essentiellement une économie de marché dans laquelle la distribution du travail et des ressources était déterminée par la "loi de la valeur", l’achat et la vente (l’ "échange") et l’argent. Bien que la production sous le capitalisme ne soit pas consciemment planifiée, elle n’était pas tout à fait anarchique : un certain ordre s’imposait de fait dans la mesure où les marchandises s’échangeaient dans des proportions définies, liées à la quantité de temps de travail socialement nécessaire passée à les produire et au taux moyen de bénéfice réalisé sur le capital investi. (…) La production contrôlée et planifiée consciemment par la société impliquait pour Marx non seulement la disparition de la production pour le profit mais aussi du mécanisme entier du marché (marché du travail et salariat compris).

Le Manifeste communiste parle précisément de l’abolition de l’achat et de la vente (p. 72) et de l’abolition non seulement du capital mais du travail salarié (p. 73). Dans le volume I parle du "travail directement associé, une forme de production qui est tout à fait contradictoire avec la production des produits" (p. 94) et dans le volume II du changement "si la production était collective et non plus possédant la forme de production des produits" (p. 451). Par ailleurs, Marx compare dans le volume II les façons avec lesquelles socialisme et capitalisme peuvent traiter un problème avec ou sans argent (…) le socialisme, sans argent-capital, n’étant plus qu’une question de planification et d’organisation. Marx a aussi conseillé aux syndicalistes d’adopter le mot d’ordre "Abolition du salariat" (VPP, p. 78) et, dans sa critique du programme de Gotha, a dit que "dans la société coopérative basée sur la propriété commune des moyens de production, les producteurs n’échangent pas leurs produits" (pp. 222-23, retraduit de l’anglais), pour la simple raison que leur travail n’est plus défini individuellement mais est un élément d’un plan socialement défini. Ce que chacun produit est collectivement à tous dès que c’est produit, la société convenant, toujours selon un plan, comment le produit est utilisé.

Distribution des biens de consommation

Une de ces utilisations doit être la consommation individuelle. Comment Marx a-t-il pensé qu’elle serait organisée ? Ici encore Marx a adopté une position réaliste. Le principe "de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins" s’appliquerait. En d’autres termes, il n’y aurait aucune restriction à la consommation individuelle, chaque membre de la société étant libre d’agir et de consommer selon ses propres besoins. mais Marx savait que cela présupposait un plus haut niveau de développement des forces productives qu’à son époque (1875). Dans l’attente de cette augmentation, la consommation individuelle devait forcément être restreinte. Comment ? Marx a simplement fait remarquer : "Le mode de distribution variera avec l’organisation de la production de la communauté et le niveau de développement atteint par les producteurs" (Vol. I. p. 78, retraduit de l’anglais). C’était l’évidence, mais à trois à quatre reprises Marx est allé plus loin et s’est référé à une méthode spécifique d’organisation de la distribution.

En attendant mieux, par des "bons de temps de travail". L’idée essentielle d’un tel système était que chaque producteur se voit consigné une notification du nombre d’heures travaillées, ce qui l’autoriserait à prélever dans le stock commun de richesses accumulées en vue de la consommation une quantité équivalente, mesurée en temps de travail. Marx signalait que ce n’était qu’un système possible parmi d’autres, la société socialiste en déciderait démocratiquement elle-même, mais c’était une prise en compte de la pénurie relative existant en 1875. Tant qu’un système de bons du travail est mis en face de la richesse totale attribuée à la consommation, la société peut varier les critères décidant de la mesure, de l’attribution individuelle ou à des groupes, ou de la prise en compte de la relation entre temps souhaité et temps passé à produire ; et des "pseudo-prix" attribués aux marchandises dans le cadre de tels échanges distributifs. Marx lui-même a donc décrit certains défauts du système des bons du travail, et remarqué que tout système d’assignation de marchandises à la consommation individuelle risquait des soucis dès lors que la société socialiste ne reposait pas sur un niveau suffisant de développement des forces productives, ce qu’il appelait "la première phase de la société communiste".

Quand Marx mentionne les bons du travail dans le Capital, il explique toujours que ce n’est qu’un exemple (…) et que ces bons ne seraient pas de l’argent au sens propre : "Le bon de travail d’Owen, par exemple, est aussi peu de l’argent qu’une contremarque de théâtre" (Vol. I, p. 94) et qu’ils "ne sont pas de l’argent, ils ne circulent pas" (Critique de l’économie politique, pp. 83-86). Les bons ne seraient que des bouts de papier autorisant les gens à retirer des quantités de biens de consommation, ils ne seraient pas comparables au papier-monnaie d’aujourd’hui, seraient déclassés sitôt remis et ne circuleraient pas. Ils s’inséreraient dans un plan global de production et de distribution de la richesse. En conclusion, répétons-le, tout système de bons, basé sur le temps de travail ou autre chose, était vu par Marx comme une mesure provisoire en attendant que les forces productives soient développées à un niveau permettant un saut dans le libre-accès aux besoins individuels. C’est pourquoi cela est devenu un cas de dissertation : le développement qu’ont eues les forces productives depuis Marx permet aujourd’hui l’instauration presque immédiate du but final du socialisme de libre accès aux biens de consommation selon les besoins individuels.

Conclusion

Nous avons vu que Marx soutenait que la future société communiste serait une communauté sans classes, sans aucun appareil d’état coercitif, basée sur la copropriété des moyens de production, avec une planification au service du bien-être humain remplaçant complètement la production pour le profit, l’économie de marché, l’argent et le salariat – même lorsqu’il ne pourrait prouver la faisabilité de la mise en application du principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », principe qui est toujours resté l’objectif de Marx. Marx, et Engels, n’ont jamais fait quelque distinction que ce soit entre la société« socialiste » et « communiste », utilisant ces termes l’un pour l’autre. Cependant, il a pensé que cette société ne serait instaurée qu’après une « période… de transition révolutionnaire » d’une certaine durée pendant laquelle la classe ouvrière emploierait son contrôle du pouvoir afin de d’exproprier les capitalistes et d’amener tous les moyens de production sous contrôle social démocratique – mais sur ce point, le développement des forces productives depuis l’époque de Marx entraîne la faisabilité d’une révolution socialiste très rapidement, sans nécessité d’une période prolongée entre la prise du pouvoir politique par la classe ouvrière et l’instauration du socialisme.

Article publié sur le blog du Parti socialiste de Grande-Bretagne (SPGB) en décembre 2009

Transmis par Michel Peyret


[1Le SPGB préfère qu’on traduise working class par « classe travailleuse » plutôt que par « classe ouvrière », soulignant par là qu’il s’agit des salariés et non seulement les ouvriers d’industrie.

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?