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Chine : bilan d’une expérience. Tien an Men 1989, ce qui s’est vraiment passé.

dimanche 27 juin 2021 par Bruno Dwreski (ANC) et Domenico Losurdo

En 1978, les réformes engagées par Deng Xiaoping semblaient aux yeux des Occidentaux annoncer le passage de la Chine au capitalisme et automatiquement avec, à la démocratie libérale.
Mais, à la faveur des évolutions déjà en cours à l’époque en l’Europe de l’Est et de la visite de Gorbatchev à Pékin en 1989, des groupes d’étudiants issus le plus souvent des milieux favorisés et tentés par un "enrichissement rapide à l’occidentale" et proches de certains cercles du pouvoir bénéficiant de l’appui à Zhao Ziyang, alors Secrétaire général du Parti communiste chinois qui soutenait la fraction de la direction chinoise favorable au passage à une régime de type occidental se mirent en marche pour procéder à un changement de régime.

Ils ont occupé la place de la paix céleste ("Tien an Men") relayés par les puissances occidentales, leurs services secrets et leurs médias. L’opération a cependant échoué devant la résistance d’autres courants au sein de la direction du pays et du Parti mais aussi de l’attitude de la population chinoise qui n’a pas suivi le mouvement comme les organisateurs de la rébellion pouvaient l’espérer.

La population chinoise, y compris à Pékin n’était dans son ensemble pas acquise au clinquant du modèle occidental. L’éducation politique des années 1949-1976 ayant sans doute joué un rôle dans cette évolution différente de la Chine et de l’Asie orientale d’orientation socialiste, par rapport aux pays d’Europe orientale, qu’ils soient pro-soviétiques, indépendants (Yougoslavie) ou anti-soviétiques (Albanie).

Après leur échec de 1979 en Chine, les élites occidentales vont encore croire pendant une vingtaine d’années que le passage au capitalisme néo-libéral est malgré tout engagé en Chine, ce qui l’amènera à terme à s’aligner sur le modèle économique, social et politique dominant dans les puissances occidentales.

Mais la résistance de "la Chine profonde", la vigueur de la dynamique industrielle et scientifique locale, les positions de la masse paysanne, des ouvriers, de beaucoup d’intellectuels et de la bourgeoisie nationale chinoise en particulier, expliquent pourquoi leur poids dans le cadre du jeu de pouvoir se déroulant à l’intérieur des organes dirigeant chinois n’a pas abouti à la réalisation de cette option.

Chose qui s’est renforcée surtout à partir de la crise économique de 2008 qui a prouvé à de nombreux Chinois que le capitalisme évoluait selon les prévisions de Marx (baisse tendancielle des taux de profit, concentration de la propriété au niveau mondial, capitalisme monopolistique et donc fin de la concurrence et du dynamisme économique, etc.), et donc que les promesses du néolibéralisme faites à la masse des populations du monde entier, Occident compris, ne pouvaient être tenues alors que le modèle redistributif kéynesien ne pouvait plus être restauré dans un système incapable de relancer des politiques de développement.

Cette donne ne doit pas pour autant empêcher de constater les divergences et les contradictions continuant à exister au sein de la société chinoise et qui joueront dans un sens ou dans un autre à l’avenir.

Celui-ci n’est donc pas encore écrit mais il est dors et déjà clair qu’il ne correspondra pas à celui qui fut imaginé par les promoteurs de la "fin de l’histoire" néolibérale fukuyamo-huntingdonienne. Un peu comme auparavant l’évolution n’avait pas correspondu aux discours des partisans d’un socialisme réel embourgeoisé devant mener par étapes et automatiquement vers le communisme.

Bruno Drweski


Tien An Men : l’échec de la première "révolution colorée" décrit par Domenico Losurdo dans un texte de 2009

Il y a 20 ans, Zhao Ziyang tentait de prendre le pouvoir en Chine avec l’appui de la CIA. Ce qui devait être la première « révolution colorée » de l’Histoire échoua. Dans une présentation totalement tronquée, la propagande euro-atlantiste a imposé l’image d’un soulèvement populaire écrasé dans le sang par la cruelle dictature communiste. La presse occidentale en célèbre aujourd’hui l’anniversaire en grande pompe pour mieux dénigrer la Chine populaire, devenue seconde puissance économique du monde. Domenico Losurdo revient sur cette grande manipulation.

Ces jours-ci la grande presse d’ « information » s’emploie à rappeler le vingtième anniversaire du « massacre » de la place Tienanmen. Les évocations « émues » des événements, les interviews des « dissidents » et les éditoriaux « indignés », les multiples articles qui se succèdent et se préparent visent à recouvrir d’infamie perpétuelle la République populaire de Chine, et à rendre un hommage solennel à la civilisation supérieure de l’Occident libéral.

Mais qu’est-il réellement advenu il y a vingt ans ?

En 2001 furent publiés, puis traduits, dans les principales langues du monde ce qu’on a appelé les Tienanmen Papers [1] qui, si l’on croit les déclarations de ceux qui les ont présentés, reproduisent des rapports secrets et des procès-verbaux réservés, du processus décisionnel qui a débouché sur la répression du mouvement de contestation. Livre qui, toujours selon les intentions de ses promoteurs et éditeurs, devrait montrer l’extrême brutalité d’une direction (communiste) qui n’hésita pas à réprimer une protestation « pacifique » dans un bain de sang. Si ce n’est qu’une lecture attentive du livre en question finit par faire émerger un tableau bien différent de la tragédie qui se joua à Pékin entre mai et juin 1989.

Lisons quelques pages ça et là :

« Plus de cinq cents camions de l’armée ont été incendiés au même moment à des dizaines de carrefours […] Sur le boulevard Chang’an un camion de l’armée s’est arrêté à cause d’un problème de moteur et deux cents révoltés ont assailli le conducteur en le tabassant à mort […] Au carrefour Cuiwei, un camion qui transportait six soldats a ralenti pour heurter la foule. Un groupe de manifestants a alors commencé à lancer des pierres, des cocktails Molotov et des torches contre celui-ci, qui à un moment a commencé à s’incliner du côté gauche car un de ses pneus avait été crevé par des clous que les révoltés avaient répandus. Les manifestants ont alors mis le feu à des objets qu’ils ont lancé contre le véhicule, dont le réservoir a explosé. Les six soldats sont tous morts dans les flammes » [2].

Non seulement l’on a eu recours à la violence mais parfois ce sont des armes surprenantes qui ont été utilisées :
« Une fumée vert-jaune s’est élevée de façon subite à une extrémité d’un pont. Elle provenait d’un blindé endommagé qui était ensuite lui-même devenu un élément du blocus routier […] Les blindés et les chars d’assaut qui étaient venus déblayer la route n’ont rien pu faire d’autre que de se retrouver en file à la tête du pont. Tout d’un coup un jeune est arrivé en courant, a jeté quelque chose sur un blindé et a pris la fuite. Quelques secondes après on a vu sortir la même fumée vert-jaune du véhicule, tandis que les soldats se traînaient dehors, se couchaient par terre sur la route, et se tenaient la gorge en agonisant. Quelqu’un a dit qu’ils avaient inhalé du gaz toxique. Mais les officiers et les soldats, malgré leur rage, devant de telles attaques sont arrivés à garder le contrôle d’eux-mêmes » [3].

Ces actes de guerre, avec recours répété à des armes interdites par les conventions internationales, croisent des initiatives qui laissent encore plus penseurs : comme la « contrefaçon de la couverture du Quotidien du peuple [4].

S’il faut en croire le tableau tracé dans un livre publié et promu par l’Occident, ceux qui donnent des preuves de prudence et de modération ne sont pas les manifestants mais plutôt l’Armée populaire de Libération !

Le caractère armé de la révolte devient plus évident les jours suivants. Un dirigeant de premier plan du Parti communiste va attirer l’attention sur un fait extrêmement alarmant : « Les insurgés ont capturé des blindés et y ont monté des mitrailleuses, dans le seul but de les exhiber ». Se limiteront-ils à une exhibition menaçante ? Et, cependant, les directives imparties par l’armée ne subissent pas de changement substantiel : « Le Commandement de la loi martiale tient à ce qu’il soit clair pour toutes les unités qu’il est nécessaire de n’ouvrir le feu qu’en dernière instance » [5].

Même l’épisode du jeune manifestant qui bloque un char d’assaut avec son corps, célébré en Occident comme un symbole de l’héroïsme non-violent en lutte contre une violence aveugle et sans discrimination, est perçu par les dirigeants chinois, toujours à en croire le livre maintes fois cité, dans une grille de lecture bien différente et opposée :

« Nous avons tous vu les images du jeune homme qui bloque le char d’assaut. Notre char a cédé le pas de nombreuses fois, mais le jeune restait toujours là au milieu de la route, et même quand il a tenté d’y grimper dessus, les soldats se sont retenus et ne lui ont pas tiré dessus. Ce qui en dit long ! Si les militaires avaient fait feu, les répercussions auraient été très différentes. Nos soldats ont suivi à la perfection les ordres du Parti central. Il est stupéfiant qu’ils soient arrivés à maintenir le calme dans une situation de ce genre ! »  [6].

Le recours de la part des manifestants à des gaz asphyxiants ou toxiques, et surtout l’édition pirate du Quotidien du peuple démontrent clairement que les incidents de la Place Tienanmen ne sont pas une affaire exclusivement interne à la Chine. D’autres détails ressortent du livre célébré en Occident : « ‘Voice of America’ a eu un rôle proprement peu glorieux dans sa façon de jeter de l’huile sur le feu »  ; de façon incessante, elle « diffuse des nouvelles sans fondements et pousse aux désordres ».
De plus : « D’Amérique, de Grande-Bretagne et de Hong Kong sont arrivés plus d’un million de dollars de Hong Kong. Une partie des fonds a été utilisée pour l’achat de tentes, nourritures, ordinateurs, imprimantes rapides et matériel sophistiqué pour les communications »  [7].

Ce que visaient l’Occident et les États-Unis nous pouvons le déduire d’un autre livre, écrit par deux auteurs états-uniens fièrement anti-communistes. Ceux-ci rappellent comment à cette période Winston Lord, ex-ambassadeur à Pékin et conseiller de premier plan du futur président Clinton, n’avait de cesse de répéter que la chute du régime communiste en Chine était « une question de semaines ou de mois ». Cette prévision apparaissait d’autant plus fondée que se détachait, au sommet du gouvernement et du Parti, la figure de Zhao Ziyang, qui —soulignent les deux auteurs états-uniens— est à considérer « probablement comme le leader chinois le plus pro-américain de l’histoire récente »  [8].

Ces jours ci, dans un entretien avec le Financial Times, l’ex-secrétaire de Zhao Ziyang, Bao Tong, aux arrêts domiciliaires à Pékin, semble regretter le coup d’État manqué auquel aspiraient des personnalités et des cercles importants en Chine et aux USA, en 1989, tandis que le « socialisme réel » tombait en morceaux en Europe orientale : malheureusement, « pas un seul soldat n’aurait prêté attention à Zhao » ; les soldats « écoutaient leurs officiers, les officiers leurs généraux et les généraux écoutaient Den Xiaoping » [9].

Vus rétrospectivement, les événements qui se sont passés il y a vingt ans Place Tienanmen se présentent comme un coup d’État manqué, et une tentative échouée d’instauration d’un Empire mondial prêt à défier les siècles…

D’ici peu va arriver un autre anniversaire. En décembre 1989, sans même avoir été précédés d’une déclaration de guerre, les bombardiers états-uniens se déchaînaient sur Panama et sa capitale. Comme il en résulte de la reconstruction d’un auteur —encore une fois— états-unien, des quartiers densément peuplés furent surpris en pleine nuit par les bombes et les flammes ; en très grande partie, ce furent des milliers de « civils, pauvres et à la peau foncée » qui perdirent la vie ; plus de 15 000 personnes se retrouvèrent sans toit ; il s’agit en tout cas de l’ « épisode le plus sanglant » de l’histoire du petit pays [10].

On peut prévoir facilement que les journaux engagés à répandre leurs larmes sur la Place Tienanmen voleront très au dessus de l’anniversaire de Panama, comme d’ailleurs cela s’est produit toutes ces dernières années. Les grands organes d’ « information » sont les grands organes de sélection des informations, et d’orientation et de contrôle de la mémoire.

Domenico Losurdo [disparu le 28 juin 2018]


Domenico Losurdo
Philosophe et historien communiste, professeur à l’Université d’Urbino (Italie), aujourd’hui décédé. Dernier ouvrage traduit en français : Nietzsche philosophe réactionnaire : Pour une biographie .


[1The Tiananmen Papers, présentés par Andrew J. Nathan, Perry Link, Orville Schell et Liang Zhang, Public Affairs, 2000, 513 pp. Version française Les Archives de Tiananmen, présentée par Liang Zhang, éditions du Félin, 2004, 652 pp.

[2Op cit, p. 444-45.

[3Op cit, p. 435.

[4Op cit., p. 324.]. Du côté opposé, voyons les directives imparties par les dirigeants du Parti communiste et du gouvernement chinois aux forces militaires chargées de la répression, une fois la fraction Zhao Ziyang renversée de la direction du Parti :

« S’il devait arriver que les troupes subissent des coups et blessures jusqu’à la mort de la part des masses d’assaillants obscurantistes, ou si elles devaient subir l’attaque d’éléments hors-la-loi avec des barres de fer, des pierres ou des cocktails Molotov, elles doivent garder leur contrôle et se défendre sans utiliser les armes. Les matraques seront leurs armes d’autodéfense et les troupes ne doivent pas ouvrir le feu contre les masses. Les transgressions seront immédiatement punies » [[Op cit., p. 293.

[5Op cit., p. 428-29.

[6Op cit, p.486.

[7Op cit., p. 391.

[8The coming Conflict with China, par Richard Bernstein et Ross H. Munro, Atlantic Books, 1997-(245 pp.), p. 95 et 39.

[9« Tea with the FT : Bao Tong », par Jamil Anderlini, in Financial Times, 29 mai 2009.

[10Panama. The Whole Story, par Kevin Buckley, Simon

   

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