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17 octobre 1961 : Témoignage.

dimanche 17 octobre 2021 par Pierre Lenormand (ANC)

Je m’appelle Pierre Lenormand. J’ai 81 ans. En octobre 1961, j’étais étudiant à Paris, en licence de géographie. Le soir du mardi 17 octobre, j’ai quitté vers 20 h 30 la bibliothèque de la Sorbonne (qui restait à l’époque ouverte jusqu’à 22 h) pour aller prendre le métro à la station Saint Michel.

Il faisait nuit.
En arrivant place Saint Michel, il y avait de nombreuses forces de police, comme cela arrivait souvent au Quartier latin en ce temps de guerre d’Algérie. Mais entre la rue Saint André des Arts et le quai, à l’ouest de la place, j’ai aperçu une foule nombreuse, des centaines de personnes en rangs serrés, curieusement silencieuses.

En m’approchant, j’ai pu distinguer à la lumière des réverbères qu’il s’agissait de familles maghrébines, femmes en longues robes, avec des enfants, et de jeunes hommes qui visiblement encadraient le cortège. Aucune banderole, aucune pancarte, aucun mot d’ordre et une foule totalement pacifique, vraisemblablement d’Algériens venus des bidonvilles de banlieues ici rassemblés au cœur de Paris.

Mais très vite tout a basculé, avec les premières charges de la police, armés de matraques et de longs bâtons, les célèbres « bidules », connus de tous les manifestants d’alors, qui attaquaient sauvagement le cortège.

Cris, mouvements de foule, personnes à terre, la place Saint Michel est devenu en quelques instants le théâtre d’une répression terrifiante, remplissant de peur jusqu’aux simples passants, devenus témoins de cette violence inouïe contre une foule totalement désarmée.
Comme les autres, je me suis engouffré dans le métro, mais j’ai pu voir dans les couloirs et les escaliers, et jusque sur les quais, les policiers poursuivre et matraquer tout ceux qui leur apparaissaient comme algériens, arabes, maghrébins...

Mais j’ignorais alors qu’il y avait eu plusieurs manifestation du même type dans Paris - sur les grands boulevards notamment - répondant à un mot d’ordre de la Fédération de France du FLN, pour riposter au couvre-feu imposé à tous les Algériens par le préfet de police quinze jours plus tôt.

Et j’ignorais plus encore qu’il y avait, outre les habituels blessés et arrêtés, des gens frappés à mort, et des Algériens jetés à la Seine.

J’ai donc rejoint ma chambre à Montreuil.

Le lendemain, j’ai eu la surprise de voir qu’aucun quotidien ne relatait la manifestation et la répression dont j’avais été le témoin. Il est vrai que la censure, qui imposait de larges blancs dans la presse, et les saisies des quotidiens qui osaient braver les interdits du pouvoir gaulliste étaient monnaie courante.

L’Humanité était parue mais n’en soufflait mot [1].

Il a fallu des jours, des mois, des années pour que, par bribes d’abord, la vérité finisse par se faire jour. Je saisis, soixante ans plus tard, l’occasion qui m’est offerte pour livrer publiquement cette brève relation d’un témoin impuissant.

14 octobre 2021


[1Dans son « Requiem pour une république » (Gallimard, 2019) Thomas Cantaloube consacre son avant dernier chapitre au 17 octobre 1961. Il y fait intervenir le photographe au quotidien l’Humanité Georges Azenstarck, auquel la direction du journal refusa de passer les photos terribles prises pourtant du balcon même du journal, alors Boulevard Poissonnière.

   

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