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Les leçons de Kaboul

dimanche 24 octobre 2021 par Francis Arzalier (ANC)

Il est temps de tirer des événements de 2021 en Afghanistan quelques enseignements, qui valent pour les USA, mais aussi pour notre pays, et pour d’autres, si toutefois les enseignements du passé peuvent empêcher le retour des erreurs et des crimes accomplis.

L’Afghanistan est un pays d’Asie centrale, très montagneux (avec des sommets dépassant 7000 mètres d’altitude, essentiellement peuplé de paysans parmi les plus pauvres du globe, sans véritable ciment national autre que l’Islam. Les 37 millions d’habitants sont de cultures différentes, entre une petite moitié de Pashtouns, un bon quart de Tadjiks, et de nombreux autres groupes linguistiques. Cette disparité culturelle se double même de différences religieuses entre musulmans Chiites majoritaires (comme en Iran et minorités sunnites.

Ce pays pauvre en ressources, enclavé (pas d’issue maritime) a la malchance d’être un lieu de passage obligé entre les grands États voisins, Inde, Chine, Perse, etc. Il a donc, depuis l’Antiquité, servi de couloir d’invasions, carrefour stratégique préalable aux conquêtes. Il a ainsi malgré sa pauvreté, été au fil des siècles régulièrement envahi par des puissances étrangères, désireuses de contrôler les cols.

L’Afghanistan a vécu au XIXéme siècle de multiples tentatives de conquêtes par les impérialismes coloniaux concurrents, britannique (déjà maître du continent indien), et Russe. Une concurrence qui permettra paradoxalement à la société afghane, féodale et tribale, de conserver une certaine indépendance politique. Mais au prix de nombreux conflits armés volontiers manipulés par les grandes puissances européennes, et sans que le pays ne parvienne à construire un État national solide.

Dans ce contexte, l’installation de la République (1973), puis l’accès au pouvoir de Communistes afghans par un coup d’état militaire fut une avancée moderniste de la société afghane. Mais d’une grande fragilité, car essentiellement urbaine, et tiraillée entre divers groupes politiques, souvent armés. Ce qui explique la venue en 1979 des troupes soviétiques, sollicitées par les détenteurs du pouvoir à Kaboul, alors que les USA avaient déjà commencé à aider la subversion anticommuniste.
Suivent 10 ans de guerre féroce et perdue d’avance, contre une guérilla islamiste, toujours plus largement soutenue et entraînée par les Occidentaux et leur bras armé, la CIA. Jusqu’au retrait des troupes soviétiques en 1989, par une URSS en pleine décomposition.

Le régime communiste afghan résistera malgré cet abandon plusieurs années, et ce n’est, qu’à l’issue de luttes entre factions armées qu’en 1996-97 les Talibans prendront la tête de l’Émirat d’Afghanistan. (Le mot taliban signifiant au départ étudiant d’école coranique, s’applique ici à une organisation politique intégriste, qui prétend restaurer par la terreur l’Islam des origines médiévales).
Ce mouvement politique, nourri au départ des subsides états-uniens, a très vite des ambitions très vastes (« Califat Islamique ») qui l’amènent, avec toute la mouvance intégriste, à s’opposer aux Occidentaux. C’est ainsi que Ben Laden, le Saoudien chef du groupe terroriste moyen-oriental Al-Qaïda, est abrité par l’Afghanistan des Talibans, d’où il organise depuis ce pays l’attentat contre les tours de Manhattan en septembre 2001.

C’est en représailles à cette attaque terroriste contre les USA que les maîtres de Washington, avec l’appui de leurs alliés-supplétifs de l’OTAN, déclenchent l’intervention militaire en Afghanistan, l’occupation militaire de ce pays, et les 20 ans de guerre proprement coloniale qui s’ensuivent.
Une guerre d’occupation ingagnable pour les occupants et leurs clients locaux, alors que parallèlement les opposants armés, essentiellement les Talibans chassés du pouvoir par les USA deviennent chaque année, davantage plus populaires. D’autant que le gouvernement pro-américain s’est enlisé dans la corruption, et se révèle incapable d’assurer la sécurité quotidienne des citoyens.

Malgré les discours lénifiants des médias français sur les libertés retrouvées par les femmes sous le drapeau des occupants, le bilan de l’intervention de l’OTAN est effarant. Il faut être un fanatique partisan de l’Impérialisme comme Bernard Henri Lévy pour affirmer le 16 aout 2021 avec aplomb avoir trouvé dans ce pays meurtri par l’occupation étrangère « un air de liberté qui y flotte depuis vingt ans » !

Le coût de la guerre est estimé à 2000 milliards de dollars, pour entretenir les 7 à 8000 soldats de l’OTAN durant 20 ans, dont un tiers environ d’américains, plus de 1300 allemands, 1100 britanniques, etc… Et, ne l’oublions pas, un contingent français, qui ne sera retiré qu’en 2014, à la grande fureur des va-t’en guerre de l’hexagone, dont certains s’étaient illustrés de couplets délirants.
Ainsi l’ineffable Kouchner, qui osa prendre le contrepied de la formule de Robespierre (« les peuples n’aiment pas les missionnaires bottés ») en affirmant cette maxime imbécile : « il faut savoir gagner les cœurs avec un gilet pare-balles ».

Autre dimension du bilan,160 000 morts afghans au moins (selon l’ONU), pour 2400 tués US, et 150 pour les diverses forces des alliés de l’OTAN, parmi lesquels 90 français !

Mais surtout un pays vidé de centaines de milliers d’exilés, notamment les pus éduqués, un État fantoche totalement corrompu et incapable d’assurer la sécurité quotidienne à quelques centaines de mètres d’une base militaire US. Cette situation ne pouvait que faire basculer la majorité du peuple afghan du côté des insurgés, seuls capables d’assurer l’ordre, et une légalité, fut-elle brutale, contre les trafiquants de drogue par exemple. (L’Afghanistan sous domination US est devenu le premier exportateur mondial d’opium).

J’ai reçu il y a quelques années le témoignage d’un jeune militaire français qui avait été envoyé en Afghanistan pour « former militairement les soldats du pays destinés à combattre la guérilla islamiste ». Selon lui, la plupart d’entre eux, sitôt entraînés, s’empressaient de passer avec armes et bagages dans les rangs talibans.

La défaite politique et militaire de la plus grande puissance mondiale était évidente depuis des années, Trump puis Biden, ne pouvaient reculer davantage le retrait humiliant de leurs soldats en 2021. Une défaite pire que celle subie au Vietnam, qui montre les difficultés actuelles de l’impérialisme occidental, fauve blessé qui n’est pas moins dangereux pour cela.

Et n’hésitons pas à le dire, malgré les aboiements des médias français nostalgiques de la toute-puissance du monde occidental : toute défaite de l’impérialisme est une bonne nouvelle, et toute victoire d’un peuple contre l’occupation étrangère aussi, quelle que soit la forme politique prise par ce succès du mouvement de libération.
Le parti des Talibans traine une idéologie réactionnaire, fanatique et patriarcale, on peut le regretter. Il n’en est pas moins représentatif de la volonté populaire.
Seul le peuple afghan est qualifié pour en juger, nous ne pouvons qu’espérer qu’il ira à son rythme vers plus de libertés et d’égalité, comme nous le voulons pour la France. L’affirmation récente d’Anne Hidalgo, candidate du PS, « nous devrons retourner à Kaboul ! », est une manifestation scandaleuse de l’idéologie coloniale, d’autant plus pernicieuse qu’elle se déguise en féminisme et défense des libertés individuelles.

Aucun prétexte ne justifie l’intervention militaire,
et l’ingérence dans les choix d’un peuple.

Des leçons valables en tous lieux !

La débandade à l’aéroport de Kaboul, travestie par nos médias en drame humanitaire, en fait désastre mérité de l’Impérialisme et de ses « collabos » est-il seulement comme on l’entend une défaite des États Unis d’Amérique ?

Bien sûr que non, et d’abord parce que les « élites » françaises étaient délibérément dans le bourbier afghan, et ne s’en sont tirées que bien tard. Et que la réaction inepte de bien de nos concitoyens, socialistes, Verts, féministes, devant les images venues d’Afghanistan, montrent qu’ils n’ont rien compris des leçons de Kaboul.
Mais plus encore parce que les « erreurs US » en Afghanistan sont aussi celles de la France impérialiste, et cela de façon tout aussi évidente.

La bourgeoisie possédante et dirigeante de la France n’a jamais varié depuis l’effondrement de son Empire colonial sous les coups des peuples en révolte. Contrainte de leur accorder l’indépendance nominale, elle n’a cessé depuis 1962 d’organiser SON impérialisme, qui est certes allié et second de celui des États Unis d’Amérique, mais n’en est pas moins très réel et nocif, notamment dans son « pré-carré » africain, ses anciennes colonies « indépendantes », corsetées par tout un lacis de sujétions économiques, militaires, politiques, qui assurent l’exploitation des richesses africaines par le CAC 40 français.

Et quand par aventure un dirigeant africain ose donner l’exemple de l’indépendance nationale comme Sankarah le Burkinabé, il est très vite éliminé par les complices locaux de l’Impérialisme, aidés par les services secrets de l’Occident et de la France, comme le démontre l’actuel procès de ses assassins à Ouagadougou.

Il serait pour nous, militants français, aberrant d’oublier le principe fondateur des Communistes de 1920, sous prétexte que les dirigeants de notre pays sont les seconds obéissants de ceux de Washington ou de l’Union Européenne.

Le devoir d’un militant révolutionnaire lucide est de combattre et dénoncer tous les impérialismes, sources de guerres et d’inégalités, et d’abord celui de son propre pays, et de le combattre en solidarité avec ses victimes.

Les gouvernements français successifs depuis un demi-siècle ont tous pratiqué ou parrainé les ingérences impérialistes, quels que soient par ailleurs leurs affiliations politiciennes, PS ou Droite. Pour nous en tenir aux plus récentes, la destruction par l’aviation française de l’État national de Libye et l’assassinat en 2011 de son chef Khadafi sur ordre du Président Sarkozy était tout aussi injustifiée que l’aventure US à Kaboul, et elle a eu des conséquences tout aussi dèstructrices, en créant le chaos sanglant actuel dans l’ensemble de l’Afrique saharienne et sahélienne et du Maghreb.

L’armée française est présente au Mali depuis 2013, et a prétendu y combattre le djihadisme islamiste avec les expéditions Serval, puis Barkhane. Sept ans de guerre débouchant sur un échec total, l’aggravation de l’insécurité et des déplacements forcés de foules paysannes, et le développement d’une véritable haine anti-française dans les masses africaines.

Avec les mêmes constantes qu’en Afghanistan, l’effondrement d’États corrompus incapables d’assurer la protection des citoyens. Autre similitude, de taille : l’humiliation de l’armée française et son stratège Macron, forcés d’engager le retrait des soldats et leur équipement ultra-moderne, devant le tollé des populations qu’on prétendait défendre, et l’arrivée probable de mercenaires russes à leur place.
Cette humiliante déculottée vaut bien celle des GIs à Kaboul, même si nos communicants n’en parlent pas. Cette défaite de l’Impérialisme français, nous la savourons, même si nous la savons incomplète, et qu’il est encore à combattre.

Car il se marque aussi par les ventes massives d’armes sophistiquées aux pays prédateurs dans le reste du monde, à l’Arabie Saoudite qui s’en sert pour détruire le peuple du Yémen, aux monarchies pétrolières du Golfe Arabique, qui, en retour, financent les djihadistes du Sahel, aux dirigeants réactionnaires de l’Inde, de l’Égypte, de Grèce, au risque de créer d’autres foyers de guerre.

Et ces mêmes dirigeants français ne sont pas loin, quand l’OTAN dont ils font partie menace d’enflammer l’Est de l’Europe et l’Ukraine contre la Russie, et quand ils observent avec satisfaction le renforcement des risques d’agression contre la Chine sur les rives du Pacifique.

Lutter contre les Impérialismes, à commencer par celui exercé par la France, c’est donc choisir la paix et l’égalité entre les peuples.

25/10/2021

   

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