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Pourquoi le Kazakhstan a basculé dans la violence ?

dimanche 9 janvier 2022 par TV5 Monde+AFP+Bruno Drewski(ANC)

Quand TV5 Monde découvre soudainement la Lune et décide de laisser parler un (vrai) chercheur ... Ah ? Tiens ??? le libéralisme ????? a bon !!! Lire à la fin de l’article quelques données récoltées par Bruno Drweski de l’ANC.

Le 2 janvier, des Kazakhs descendaient dans la rue pour protester contre la hausse des prix du gaz. Des scènes de violences ont éclaté face aux forces de l’ordre. Plusieurs dizaines de morts sont à déplorer. Qu’est ce qui a vraiment provoqué ces révoltes ? Peut-on craindre une déstabilisation régionale ? Précisions.

Incendies, fusillades, arrestations par centaines, les protestations ne faiblissent pas au Kazakhstan, principalement au sud du pays. Si le président Kassim-Jomart Tokaïev a qualifié les manifestants de "bandits" avec un "plan clair, des actions bien coordonnées", que disent ces révoltes populaires de l’état du pays ?
Qu’est ce qui a provoqué ces émeutes ?

Le 2 janvier, des manifestants, furieux de la hausse des prix du gaz naturel liquéfié (GNL), descendent dans la rue de la ville de Janaozen dans la région de Mangystau, très dépendante de l’industrie extractive (pétrole et gaz). Les manifestations, rares dans ce pays autoritaire d’Asie centrale, s’étendent peu à peu jusqu’à la grande ville régionale d’Aktau, sur les bords de la mer Caspienne.
Deux jours plus tard, la révolte gagne la ville d’Almaty, la capitale économique du Kazakhstan.

De la fumée sort de la mairie pendant la manifestation à Almaty, au Kazakhstan, le 5 janvier 2022. AP/Yan Blagov

Cette augmentation des prix est le résultat de réformes économiques libérales mises en place par le président Tokaïev, au pouvoir depuis 2019, selon Benjamin Levystone, chercheur au Centre Russie/Nouveaux États Indépendants à l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) :

  • « Le gouvernement a voulu mettre fin aux subventions des prix du Gaz Naturel Liquéfié pour les consommateurs, avec un marché qui, à la place, fixe les prix. Ces derniers jours, les prix au litre de GNL sont passés de 60 tengues à 120. Ça a donc doublé en quelques jours. »

Il y a un rejet d’une caste qui est agrégée autour d’un homme qui a confisqué pendant 30 ans tous les pouvoirs de ce pays. Benjamin Levystone.

Une hausse de prix qui reste importante pour une ressource très utilisée par les habitants dans la région :

  • « À Mangystau, les automobilistes roulent entre 70% à 90% au GNL. Ce que cette période révèle aussi, ce sont les conditions socio-économiques compliquées de beaucoup de Kazakhs, qui vivent en dehors des grands centres urbains », renchérit le chercheur.

Comment les autorités ont-elles réagit ?

Le 4 janvier, le président Tokaïev, exhortait la population à "ne pas céder aux provocations". Dans la soirée, les autorités ont même fait marche arrière et ont concédé à une réduction du prix du GNL en dessous de son prix d’origine, à 50 tenges (0,1 euro). Ce retour en arrière n’arrivera cependant pas à calmer les protestations.

Le président décrète alors l’état d’urgence à Almaty, ainsi que dans la capitale Nur-Sultan à partir du lendemain, avec un couvre-feu nocturne. Les messageries WhatsApp, Telegram et Signal sont désormais inaccessibles.

Le 5 janvier, le président décide de limoger le gouvernement. L’intérim du Premier ministre est alors assuré par le vice-Premier ministre Alikhan Smaïlov. Dans la foulée, Tokaïev fait appel à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) face à la "menace terroriste" des émeutes, qui ont vu la foule prendre d’assaut des bâtiments gouvernementaux.
Cette organisation rassemble autour de la Russie plusieurs anciennes républiques soviétiques, dont le Belarus et l’Ouzbékistan. Des milliers de soldats sont envoyés pour sécuriser la zone.

Depuis dimanche, le #Kazakhstan vit une révolte populaire, provoquée par la hausse des prix du gaz. Depuis mardi, plusieurs centaines de manifestants dans le sud-est du pays ont été arrêtés, plupart relâchés le jour même sous la pression de la rue. pic.twitter.com/THwbzkueIG
— Andreï VAITOVICH (@andreivaitovich) January 5, 2022

Deux jours plus tard, Kassym-Jomart Tokaïev annonce à la télévision nationale que « l’ordre constitutionnel a été largement rétabli dans toutes les régions » tout en autorisant les forces de l’ordre à ouvrir le feu « sans avertissement » pour mettre un terme aux émeutes. Il en profite pour remercier chaudement son homologue russe et allié Vladimir Poutine pour l’envoi de troupes : « Je remercie tout spécialement le président russe Vladimir Poutine. Il a répondu très rapidement, et surtout de manière amicale, à mon appel ».

Le ministère de l’Intérieur annonce que 26 « criminels armés » ont été tués. Des centaines de blessés et autant d’arrestations sont à comptabiliser.

Quelle est la situation politique actuelle au Kazakhstan ?

Alors qu’il était au pouvoir depuis l’indépendance, l’ex-président Noursoultan Nazarbaïev a décidé de céder sa place en mars 2019. Âgé de 81 ans, celui-ci a régné sur le pays de 1989 à 2019 et conserve toujours aujourd’hui une grande influence sur les prises de décisions.

  • « Nazarbaïev n’est jamais vraiment parti », affirme Benjamin Levystone. « Il s’est maintenu à la tête du Conseil national de sécurité qui est la structure qui chapote toutes les forces de sécurité du pays. En dessous de lui, il y a un président en exercice qui est plutôt un super Premier ministre et qui gère la politique intérieure et les mesures économiques. On a affaire à une sorte de présidence bicéphale. »

Le président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokayev pendant son annonce à la télévision nationale le 5 janvier 2022. AP

« Le vieillard dehors » pouvait-on entendre de la part des protestataires à Almaty, en référence à l’ex-président Nazarbaïev. Une statue de l’ex-président a même été déboulée dans la ville de Taldykourgan, non loin d’Almaty. Les manifestants s’en sont aussi pris à la résidence présidentielle, où ils ont incendié quelques bâtiments alentours, tout comme la mairie, et brièvement l’aéroport.

Se faire une statue et la voir déboulonner, alors que t’es toujours vivant. La vie d’un dictateur n’est jamais facile. #Kazakhstan https://t.co/s1aAnQs0J0 pic.twitter.com/rjX6EUNOwK
— Andreï VAITOVICH (@andreivaitovich) January 7, 2022

  • « C’est le système oligarchique qui a capté l’ensemble des ressources pétrogazières qui est aujourd’hui dénoncé. Il y a un rejet d’une caste agrégée autour d’un homme qui, pendant 30 ans, a confisqué tous les pouvoirs de ce pays. C’est cette problématique qui d’un coup explose », poursuit le chercheur à l’IFRI.

Selon plusieurs médias kazakhs, Noursoultan Nazarbaïev et sa famille auraient fui le Kazakhstan.

Peut-on craindre une déstabilisation régionale ?

Après avoir obtenu leurs indépendances en 1991, les cinq pays d’Asie centrale ont constitué des liens économiques politiques et stratégiques d’importance. Le voisin russe, dont le Kazakhstan est le seul des cinq à partager une frontière, tient aussi fortement à la stabilité du pays, au moins symboliquement.

  • « Vladimir Poutine ne souhaite pas montrer qu’il peut laisser le chaos s’installer à ses frontières », analyse Benjamin Levystone.

Cependant, la situation au Kazakhstan reste inédite dans l’histoire moderne de la région, notamment pour le pays de 18 millions d’habitants, connu pour être « le pôle de développement et le havre de paix » parmi les cinq pays d’Asie centrale.

  • « Ce qui se passe au Kazakhstan est clairement une mauvaise nouvelle pour la région. Cela peut avoir des effets déstabilisateurs surtout pour le Kirghizistan, qui nous a beaucoup plus habitué à ce qui se passe au Kazakhstan actuellement. Les conséquences peuvent être d’autant plus graves car les liens économiques entre les deux pays sont forts. Si jamais il y a une fermeture des frontières, ce serait une catastrophe. »

Des policiers arrêtent un manifestant à Almaty au Kazakhstan, le 5 janvier 2022. AP/Vladimir Tretyakov

Des tensions internes pourraient aussi être à craindre entre le Sud du pays, contestataire, et le Nord, peuplé majoritairement de Russes, qui se réclament du pouvoir russe plutôt que du pouvoir kazakh. Un scénario qui reste toutefois hypothétique, tempère Benjamin Levystone :

  • « En tout cas, ce qui se passe au Kazakhstan reste historique et totalement inattendu. Il y aura un avant, et un après. »

Bruno Dreweski.

Bref, c’est très très compliqué et multifactoriel. Ce pays n’est pas uniquement "une succursale russe" comme certains le présent, mais aussi un lieu d’affrontements d’intérêts divergents. C’est évidemment aussi un pays clef pour le développement du gigantesque projet chinois de coopération internationale "une ceinture, une route".

Je viens d’écouter l’intervention d’une heure et demi d’un géopolitologue polonais bon connaisseur de l’ex-URSS, Mateusz Piskorski, et qui souligne plusieurs choses méritant d’être prises en compte. Il est connu pour ses positions anti-OTAN et il a été emprisonné en Pologne pendant trois ans sous le prétexte grotesque "d’espionnage en faveur de la Russie et de la Chine".

Aujourd’hui libéré grâce au verdict du comité des Nations unies contre les arrestations arbitraires mais son procès politique se poursuit.

Voilà ce qu’il a dit :

  • ...Ce qu’on sait d’abord sur des situations mais aussi des rumeurs fonctionnant dans la société kazakhstanaise, autoritarisme, corruption, clanisme, manipulations du nationalisme, du panturkisme, de l’islamisme, russophobie, sinophobie, anticommunisme, inégalités criantes, etc. mais aussi que le Kazakhstan est depuis très longtemps l’objet d’une rivalité entre firmes transnationales de l’énergie occidentales et chinoises, et qu’il y a dans le pays une forte présence bancaire occidentale. ...Combiné à des liens sécuritaires étroits avec la Russie et les autres républiques d’Asie centrale.
  • Il y a eu plusieurs vagues de grèves depuis l’indépendance, en particulier dans le secteur énergétique mais organisées souvent par des syndicalistes formés en Angleterre, et que ce sont souvent des groupes formulant des slogans gauchistes et liés à des groupes trotskystes anglais qui organisaient des grèves mais uniquement dans les entreprises à capitaux chinois et non pas dans celles voisines à capitaux occidentaux alors que les salaires et conditions de travail sont quasiment identiques chez les uns et les autres.
  • Autre aspect, les manifestations qui viennent de commencer avaient des revendications strictement sociales et de gauche pendant les trois premiers jours jusqu’à ce que le gouvernement cède en partie aux manifestants, puis sont alors arrivés des groupes qui ont cherché à prendre les bâtiments publics et l’aéroport. On ne connait pas leur origine mais on sait qu’il y a en Syrie des groupes armés kazakhs dans la région "djihadiste" d’Idlib supervisées par la Turquie, et certains pensent qu’ils ont été rapatriés via la Turquie dans les jours qui ont suivi les premières manifestations.
  • Depuis, les revendications seraient devenues beaucoup moins sociales et plus "identitaires", antirusses par exemple, visant les Russes locaux. Très certainement il faut suivre les choses, mais comme les communications sont coupées c’est difficile, et nous sommes soumis à la loi des rumeurs, peu vérifiables par définition. En tous cas, les Russes ne sont peut-être pas trop mécontents de la situation car cela pourrait limiter l’influence occidentale dans le pays. En même temps, les compagnies énergétiques occidentales semblent craindre des excès qui pourraient se retourner contre leurs intérêts. Sans parler des conséquences sur le prix mondial du pétrole car le Kazakhstan est un important producteur.
  • Autre point, il n’y a pas que la hausse des prix du gaz comme sujet de mécontentement, il y a eu la réforme des retraites selon les conseils du FMI et plusieurs autres mesures économiques libérales qui ont été prises en même temps que le gaz augmentait ...au point où l’on se demande si les autorités kazakhstanaises, ou des clans en leur sein, n’ont pas voulu provoquer le mécontentement, mais aussi pourquoi le président Tokaiev s’est-il laissé si fortement entraîné sur le terrain du libéralisme économique comme s’il ignorait la réalité sociale de son pays.
  • On parle même que Tokaiev voudrait profiter des événements pour se débarasser de la tutelle toujours étouffante de Nazarbaïev jusqu’à il y a quelques jours, et du premier ministre qui vient d’être limogé et qui proche de Nazarbaiev. Plusieurs manifestants se sont d’ailleurs attaqués non pas au président mais à Nazarbaïev ...qui a disparu de la circulation depuis le début des manifestations mais vient de réapparaître pour soutenir le président ...après le limogeage du chef de la sécurité.

Y aurait il un coup d’état en même temps que des manifestations ?
Y aurait il un jeu russe ?
Y aurait il un jeu occidental ?
Y a-t-il un jeu turc, et aussi localement panturkiste ? etc etc etc...

Par ailleurs, il est intéressant de constater qu’il semble que le PC russe, le KPRF, à la suite des communistes kazakhstanais, soutienne grosso modo les manifestations au Kazakhstan, alors que le PC ukrainien, délégalisé comme celui du Kazakstan, semble analyser les événements là-bas sur le mode "maidan".

C’est intéressant car on peut se poser la question si cette position des communistes russes vient de leur propre analyse ou ne converge pas avec quelque chose de plus large en Russie et au Kazakhstan.

Bref c’est une situation compliquée, avec enlacement de contradictions locales et internationales qui ne se réduisent pas à un affrontement Est/Ouest dans la mesure où différentes entreprises transnationales ont des intérêts qui peuvent être contradictoires avec les intérêts des services d’espionnage des puissances et des réseaux "pro-démocratiques" occidentaux.

Bien sûr, tout cela se passe sur la "nouvelle route de la soie" reliant Asie orientale, Europe, Asie occidentale, ce qui ne peut laisser par exemple le Pentagone indifférent dans sa stratégie de "roll-back" de la Russie et de la Chine, au moment où s’ouvrent les négociations USA-Russie portant sur ce que fera l’OTAN et sur la question de la guerre ou de la paix.

BD-ANC


Voir en ligne : https://information.tv5monde.com/in...

   

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