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Inde : l’alibi de la vache

jeudi 15 mars 2018 par Badia Benjelloun

« A mesure que vous l’approchez, il semble s’élever dans les airs »
C’est l’impression que ne manque pas de produire sur le visiteur Taj Mahal, le poème d’amour en marbre blanc. Cette élégie, l’un des sommets de l’art architectural moghol, dit encore aujourd’hui la complainte d’un homme épris d’une femme trop tôt disparue, il y a plus de trois cents ans. Le gracieux monument se contemple au couchant, serti dans le ciel, réfléchi dans son plan d’eau. Nul doute que Macron ait ressenti lui aussi l’intense émotion esthétique assez commune qui saisit le pèlerin ou le touriste face à cet hymne.

Prétendre comme il le fit que l’Inde a su au travers de cette œuvre accomplir un mariage réussi entre différentes religions relève d’une savante inculture ou mieux d’un cynisme complaisant.

Shah Jahan, cinquième souverain de la dynastie moghole et maître d’œuvre du mausolée, n’a pas fait montre d’une tolérance particulière à l’égard des Hindouistes pendant son règne. Il est revenu à un Islam plus fondamental, au contraire de son grand-père Akbar qui avait conçu une religion Din al Illahi [1], syncrétisme fait d’emprunts à l’Islam, au christianisme et au Jainisme. Akbar voulait surtout donner une religion unique à ses sujets et conquérir à l’Islam au-delà des basses castes et des Intouchables, vite acquis à une idéologie égalitaire.

Macron peut méconnaître les subtilités de l’histoire de l’Inde musulmane dont l’essor économique fut tel qu’on estime qu’elle avait le PIB le plus élevé du monde au 17e siècle. Mais comment ne saurait-il pas l’actuelle situation faite aux Musulmans par le parti au pouvoir Bharatiya Janata Party (BJP) ?

Le BJP, créé en 1980, est l’émanation politique d’une organisation paramilitaire la Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) fondée en 1925, promouvant une conception raciale du peuple indien. L’un de ses anciens membres a assassiné Mahatma Gandhi en 1948. Le RSS a été interdit 3 fois depuis l’indépendance. Le groupe est responsable de violence allant jusqu’au meurtre de chrétiens [2], de musulmans et de communistes.

La criminalisation des non adorateurs de la Vache.

En prévision des élections de 2019, une véritable campagne de dénigrement et de discrimination vise les minorités religieuses, en particulier les Musulmans. Cette polarisation a pour but de renforcer les rangs de l’actuel parti au pouvoir au sein d’une alliance faite de partis régionaux de droite qui a centré l’identité indienne sur la religion hindouiste.

Un député [3] du BJP réclame que les Indiens Musulmans quittent le pays pour le Pakistan ou le Benglasesh. Aucune condamnation publique n’est venue sanctionner de tels propos. Le Premier Ministre Modi n’a pas jugé utile de réprouver un discours de plus en plus ouvertement hostile à la minorité musulmane indienne.

En réponse à ces provocations répétées en faveur de son transfert, le président de l’IAMIM [4] a proposé une loi punissant ceux qui désignent leurs concitoyens de confession musulmane de ‘Pakistanais’. Narendra Modi était chef du gouvernement de l’État du Goujarat en 2002 lorsque eurent lieu les violences antimusulmanes qui firent en trois mois près de 2000 morts [5].

L’idée que Musulmans et Chrétiens étaient des ennemis intérieurs de la nation hindoue figurait déjà dans un livre-testament écrit par le deuxième chef suprême du RSS en 1966 [6].

Depuis l’arrivée au pouvoir du BJP en 2014, de nombreux cas de violence sont recensés à l’encontre de Musulmans soupçonnés de transporter ou de manger de la viande bovine. Dans l’État de Haryana, le sacrifice des bovins et leur consommation sont prohibés, punissables de dix ans d’emprisonnement et de 1500 dollars d’amende. Une commission publique prélève [7] des échantillons dans des restaurants et gargotes pour analyser si les plats proposés contiennent de la viande de l’animal sacré. Des escadrons de volontaires et de vétérinaires participent à la chasse à l’éventuel contaminant bovin.

Deux musulmanes ont été victimes d’un viol en septembre 2017, dans le district de Mawar de l’Haryana, leurs attaquants ont argué qu’elles ont consommé de la viande interdite et n’ont écopé que de trois ans de prison. Le nombre de ces groupes de volontaires de vigilance ‘gau rakshaks’ ne cesse de croître. La vache est un animal sacré mais cette vénération est entrelacée avec le sentiment de l’Hindouicité de la nation indienne. Les incidents mettant en jeu d’éventuels consommateurs de viande bovine et des conseils de vigilance se multiplient, conduisant à de véritables lynchages.

Fin septembre, dans un village de l’État de Uttar Pradesh, un homme de 50 ans [8] fut lynché, suite à la rumeur lancée depuis un temple selon laquelle sa famille avait égorgé l’animal tabou. Un conducteur de camion [9] a péri de ses brûlures après avoir reçu dans le sud du Cachemire une bombe au pétrole, sur la simple suspicion d’être un mangeur de bœuf puisque musulman. Le nombre d’exactions augmente de façon inquiétante.

Un petit panorama des vrais problèmes de l’Inde.

Le taux officiel du chômage est annoncé à 7%. [10] Il ne reflète en aucun cas la réalité du sous-emploi des travailleurs qui n’effectuent qu’un petit nombre d’heures hebdomadaires, ni le secteur informel dans lequel s’emploient ceux qui ont renoncé à s’employer dans le formel. Malgré une croissance à près de 8%, l’économie indienne ne crée que 5 millions d’emplois par an versus les 12 millions à pourvoir chaque année.

On sait depuis dix ans que l’emploi est une bombe à retardement loin d’être arrivée à maturité [11]. Le développement industriel est à très haut rendement, informatique et services, et ne requiert que peu de main d’œuvre. Les données de 2017 [12] indiquent des écarts de PIB par habitant relativement à la moitié supérieure de l’OCDE considérables. Il existe de plus une très grande disparité de ce PIB selon les États, les castes, le secteur rural ou urbain.

Le continent indien, véritable géant démographique, avec 1,324 milliards d’habitants est en passe de rejoindre la Chine (1,379 milliards). La mortalité infantile est un bon indicateur de santé publique et du bien-être de la population, elle est de 6,2% contre 1,8% en Chine. Plus de la moitié de la population a moins de 25 ans avec une natalité qui commence à baisser, ce qui donne le profil d’une population avec plus d’actifs et moins de dépendants, enfants et personnes âgées, tout le contraire de son puissant voisin chinois où la pyramide des âges se rétrécit sérieusement à sa base en faveur de son sommet.

Cette caractéristique, la plus grande force de travail au monde ne sera un avantage que si l’Inde relève le défi de son ‘employabilité’ selon le jargon des analystes libéraux. Or elle est sous-éduquée et pas assez formée professionnellement. Le taux de diplômés du secondaire est relativement faible par rapport à la Chine ou au Brésil. Les recommandations des institutions financières et économiques est encore plus de souplesse dans le droit du travail.

La démonétisation surprise d’une partie des billets de banques à forte valeur faciale, destinée à remettre dans le circuit bancaire les transactions de l’économie informelle, a ralenti l’activité notablement sur plusieurs mois. Les règlements dans le domaine du bâtiment, paiement des prestataires et achat de logements s’effectuent en espèces dans une large proportion. Elle fut conduite en prenant prétexte de la volonté de réduire la corruption et le terrorisme. L’institution d’un équivalent de TVA dans un pays sans grande rentrée fiscale, seuls 5% de la population paie l’impôt direct, a été l’autre réforme importante entreprise par Modi.

L’agriculture occupe 50% de la population active tout en ne représentant que 15% du PIB. Elle ne progresse que peu, 1% en moyenne par an. La taille moyenne des exploitations se réduit en raison de la poussée démographique. L insuffisance des ressources hydriques et l’endettement des paysans pauvres malgré les remises de l’État pour les dettes bancaires sont un problème structurel majeur. La stagnation de l’agriculture, que n’a pas amélioré une pression sur les prix des produits agricoles par une politique d’importation, concourt de façon majeure à la crise de l’emploi qui devrait être le thème politique des prochaines élections.

Pour l’instant, le gouvernement Modi échoue à occuper cette immense population jeune. Est-ce pour cette raison que l’idéologie nationaliste hindouiste est mise en avant, plutôt que les succès économiques escomptés il y a quatre ans ?

L’Inde sera la cinquième économie du monde par la taille de son PIB en 2018, il lui faut laisser à d’autres ce petit jeu malsain de faire porter aux minorités religieuses le poids des échecs et des promesses non tenues.

En 2050, l’Inde sera le premier pays musulman au monde avec 300 millions de fidèles, ce qui constitue une minorité conséquente !

   

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