Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > Voir aussi > Colombie : leurre du changement ?

Colombie : leurre du changement ?

jeudi 9 juin 2022 par Frédéric Thomas

Le candidat de gauche, Gustavo Petro, arrivé largement en tête du premier tour des présidentielles en Colombie, est suivi, à la surprise générale, par Rodolfo Hernandez, candidat « antisystème ». Le pays a plébiscité le changement ; reste à voir la forme que celui-ci prendra.

Alors que nombre d’observateurs craignaient la violence et la fraude, le premier tour des élections présidentielles s’est tenu en Colombie, le dimanche 30 mai, sans problèmes majeurs. Le second tour, le 19 juin prochain, présentera un scénario inédit.

Aucun parti traditionnel n’y participera. En effet, c’est Gustavo Petro, candidat d’une coalition de gauche largement inédite qui est arrivé en tête avec un peu plus de 40 % des voix, suivi par l’outsider populiste et « antisystème », jusque-là peu connu, Rodolfo Hernandez, avec 28 % des votes.
Le candidat de la droite traditionnelle, lui, n’a obtenu qu’un peu moins de 24 % des suffrages.

Ces résultats traduisent un rejet non seulement du gouvernement en place d’Ivan Duque, particulièrement impopulaire, mais aussi de « l’uribisme », du nom de l’ex-président (2002-2010) Alvaro Uribe, dont Duque est le dauphin, et qui dominait la vie politique colombienne depuis vingt ans, ainsi que, plus globalement, de la classe politique.

Les Colombiens ont plébiscité le changement ; un changement qui passe par une autre politique, des manières de faire différentes et d’autres acteurs. Au risque de s’illusionner sur ses chances véritables.

« Le petit vieux de Tik Tok »

Qui est Rodolfo Hernandez ? Entrepreneur, âgé de 77 ans, devenu millionnaire grâce à l’immobilier, son expérience politique se limite à son expérience de quelques années comme maire de Bucaramanga, une ville de 500.000 habitants, à l’intérieur du pays.
Il présente l’un des visages des victimes du conflit armé qui a secoué le pays, son père et sa fille ayant été enlevés par la guérilla. Ce n’est que ces deux dernières semaines que son nom a commencé à remonter dans les sondages. Plutôt que des meetings et des débats, il a organisé sa campagne via les réseaux sociaux, au point d’être surnommé « le petit vieux de Tik Tok ».

Son programme politique ?
Pour l’essentiel, il se résume à « en finir avec les voleurs et la corruption ». En ce sens, il constitue une version populaire de la candidate Ingrid Betancourt, autant choyée par les médias occidentaux qu’elle est dédaignée par l’électorat colombien.
Même personnalisation outrancière, même rejet de la classe politique et prétendu refus de la polarisation, même focalisation, enfin, sur la lutte contre la corruption, à défaut d’un projet de gouvernement.
D’ailleurs, Betancourt a annoncé son ralliement à Rodolfo Hernandez.

Jusqu’il y a peu, Hernandez était surtout connu pour ses sorties polémiques – il a ainsi affirmé que les migrantes vénézuéliennes étaient des « usines à faire des bébés » –, ses coups de gueule et ses déclarations fâcheuses, en se présentant par exemple comme « le disciple d’un grand penseur allemand qui s’appelle Adolph Hitler »… avant de se rétracter ; il l’aurait confondu avec Einstein.

Son absence dans les débats, qui lui a permis de ne pas s’expliquer sur son programme, son usage des réseaux sociaux et d’un langage simpliste, centré sur quelques idées chatoyantes, comme ne pas percevoir son salaire de président s’il est élu, et garantir à tous les Colombiens d’aller une fois par an à la mer, l’ont servi avantageusement.
En sera-t-il de même, maintenant, qu’il est au centre du débat ?
La question demeure ouverte au vu de la configuration des médias colombiens, partie prenante de la campagne anti-Petro, et du rejet populaire de la classe politique.

Deux versions du changement ?

Surnommé le « Trump colombien », en raison de ses sorties et de son imprévisibilité, Rodolfo Hernandez s’apparente peut-être plus au président salvadorien, Nayib Bukele. Ils ont d’ailleurs contracté le même consultant espagnol en communication pour leurs campagnes respectives. Et tous deux de miser sur le registre émotionnel et le ras-le-bol généralisé face à la corruption.

Le discours véhément du candidat colombien butte néanmoins sur la mise en cause de sa gestion comme maire ; une trentaine d’enquêtes seraient en cours.

Autre point commun entre Bukele et Hernandez : le « ni gauche ni droite ». Cette affirmation ne résiste cependant pas à l’analyse.
Mis à part le département d’Antioquia, traditionnellement conservateur, qui représente près de 30 % du total des voix obtenues par le candidat de droite, et de deux autres départements, arrachés par Petro, Hernandez a gagné dans toute la « Nation Uribe » ; à savoir les départements qui avaient voté « non » au référendum sur l’Accord de paix en 2016, jugé trop favorable à la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Outre sa base électorale, sa vision du pays – qu’il entend gérer comme une entreprise – et le choix initial comme vice-présidente d’une journaliste conservatrice et polémique, issue de l’élite (celle-ci a finalement refusé), le situe clairement sur l’échiquier politique.
Enfin, toute la droite colombienne s’est déjà ralliée à sa candidature ; il n’y a pas d’autre option pour faire barrage à un candidat de gauche perçu, contre toute évidence, comme un dangereux communiste.

La présence au second tour de Rodolfo Hernandez complique le positionnement de Gustavo Petro. Celui-ci avait centré sa campagne sur la rupture face à une droite qui gouverne le pays depuis toujours. Il se voit maintenant obligé de changer de focale ; non plus s’opposer au statu quo, mais différencier le changement « réel », « responsable » d’un saut dans le vide.

La réussite de cette démonstration se vérifiera aussi au taux de participation ; 55 % au premier tour.

Le retour de la révolte ?

La situation est doublement paradoxale. D’abord, parce que ce sont les partis traditionnels qui vont largement arbitrer la joute entre les deux candidats du changement. Ensuite, parce qu’il existe un fossé entre la soif de changement exprimée par la population et les perspectives concrètes de Gustavo Petro et de Rodolfo Hernandez.

C’est évident pour ce dernier, qui fait de la transformation sociale un spectacle plutôt qu’une lutte, mais le second, s’il l’emporte, se verra confronté à une opposition majoritaire au parlement, ainsi qu’à ses propres alliances.

Le désenchantement et la révolte, à l’origine des soulèvements populaires de 2019 et 2021, pourraient revenir au-devant de la scène au lendemain des élections.

Marx disait que l’histoire se répète ; d’abord comme tragédie, ensuite comme farce. La Colombie est peut-être en passe de brûler les étapes, en se jetant d’emblée dans la farce tragique.

Photo : Rodolfo Hernandez, surnommé le « Trump colombien », en raison de ses sorties et de son imprévisibilité. - Reuters


Voir en ligne : https://www.lesoir.be/445554/articl...

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?