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Chili : La nouvelle Constitution donne le pouvoir aux travailleurs

jeudi 18 août 2022 par Jacobin Mag, Pablo Abufom, Karina Nohales

Après des décennies d’une constitution datant de l’époque de la dictature qui a réduit de façon drastique les droits des travailleurs, des femmes et de bien d’autres, une nouvelle constitution est en cours d’élaboration au Chili. Le projet ouvre la voie à des droits syndicaux du travail, à des soins de santé publics et à bien d’autres choses encore.

Entretien avec Karina Nohales

La première étape vers une nouvelle constitution au Chili est maintenant terminée. Le projet de la nouvelle Magna Carta a été officiellement remis le 16 mai, ouvrant la voie à des changements majeurs dans la société chilienne, notamment dans les domaines des droits sociaux, de la parité femmes-hommes dans la participation politique et de la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones.

En termes de droits sociaux, la nouvelle constitution reconnaît les revendications qui ont été la bannière des luttes des organisations populaires depuis la contre-révolution néolibérale d’Augusto Pinochet dans les années 1970. Elle garantit l’accès à la santé, au logement, à l’éducation, à des retraites décentes, à une éducation non sexiste et au droit à l’avortement, le tout regroupé dans le cadre d’un « État social et démocratique » qui se reconnaît comme plurinational, interculturel et écologique.

Pablo Abufom de Jacobin Amérique Latine s’est entretenu avec Karina Nohales quant à tous les changements auxquels on peut s’attendre avec la nouvelle Constitution. Nohales, qui est également la porte parole d’Alondra Carrillo, membre de la Convention constitutionnelle chilienne, a analysé la pertinence des normes nouvellement approuvées, en particulier celles liées au travail et aux droits du travail, et a expliqué les défis que cette nouvelle période constitutionnelle pose à la classe ouvrière au Chili.

Pablo Abufom  :
L’une des étapes les plus importants de la Convention constitutionnelle a été l’approbation d’une série de droits sociaux, pour lesquelles nombre d’organisations populaires s’étaient battues pendant des décennies. Il s’agit notamment d’un ensemble de droits du travail qui étaient attendus depuis la fin de la dictature. À votre avis, quels sont les plus importants ?

Karina Nohales :
Tout d’abord, il faut souligner la dimension féministe évidente des nouveaux droits du travail. Le féminisme est entré dans la Convention avec la force d’une vague de mobilisations et au milieu d’importantes discussions programmatiques, de sorte qu’il était prêt à façonner en termes constitutionnels tant la reconnaissance du travail domestique que le travail de soins. Plus précisément, le féminisme socialiste a eu une influence dans le processus visant à reconnaître que le travail domestique et de soins est un travail socialement nécessaire, qu’il est indispensable à la cohésion globale de la société et, que par conséquent, il doit être soutenu au niveau de l’état par un système complet de soins.

Cette nouvelle approche déprivatise le travail de soin, en se plaçant au delà de ce qui avait été un féminisme plus libéral qui ne dépasse jamais les politiques de coresponsabilité entre les sexes — certes nécessaires, mais qui restent cantonnée à la sphère du foyer et de l’espace privé. Aujourd’hui, nous avons progressé en installant une véritable socialisation de ces emplois.

Il y a ensuite les règles qui relèvent de la sphère du droit du travail individuel salarié. Dans ce domaine, la constitution consacre les principes et les paramètres du droit international, notamment ceux de l’OIT (Organisation internationale du travail). Pour le Chili, il s’agit d’un progrès par rapport à ce qui existait jusqu’à présent : puisque depuis la Constitution d’Augusto Pinochet, le travail a été complètement dissocié de la sphère des droits, se limitant à consacrer que le seul droit garanti est la « liberté du travail », c’est-à-dire la prétendue liberté du travailleur de choisir son lieu de travail et la liberté des entreprises de choisir librement leurs employés.

Enfin, l’une des avancées les plus pertinentes concerne les droits collectifs du travail. La nouvelle Constitution reconnaît le droit à la liberté d’association dans ses trois dimensions : syndicalisation, négociation collective et grève. En reconnaissant ces droits, la nouvelle constitution démantèle les principaux remparts juridiques stratégiques imposés par la dictature et la transition démocratique.

Tout d’abord, elle garantit le droit des travailleurs des secteurs public et privé de former des syndicats et le droit de ces organisations de fixer leurs propres revendications.
Deuxièmement, elle établit la compétence exclusive des syndicats en matière de négociation collective, dans le cadre des négociations à tout niveau décidées par les travailleurs des secteurs public et privé, et fixe comme seule limite à la négociation le fait de dénoncer les droits du travail.
Troisièmement, elle garantit le droit de grève des travailleurs des secteurs public et privé, qu’ils soient syndiqués ou pas. Il est également stipulé que la loi ne peut pas interdire la grèves.

Ces trois éléments représentent une révolution copernicienne par rapport à la Constitution de 1980, qui ne mentionne le mot « grève » qu’une seule fois — pour l’interdire aux travailleurs du secteur public. C’est également un changement radical par rapport à la législation actuelle, qui n’autorise la négociation collective qu’au niveau de l’entreprise, de sorte qu’elle ne peut être exercée conjointement par les travailleurs de deux ou plusieurs entreprises différentes, et qui ne reconnaît l’exercice de la grève que dans le cadre du processus « légal » de négociation collective.

Dans un pays où plus de 40 % de la main-d’œuvre formellement salariée travaille dans des petites et moyennes entreprises, et dans un pays où un processus brutal de décentralisation productive a eu lieu, ce cadre juridique a réduit la négociation collective et la grève à une obsolescence presque totale. Même là où elle existe, la réalité s’apparente plus à des négociations « pluripersonnelles » qu’à des négociations collectives. Ce qui est renforcé par l’existence de ce qu’on appelle « groupes de négociation » qui peuvent être constitués de façon temporaire au sein des entreprises dans le seul but de négocier des conditions de travail communes — une pratique anti-syndicale extrêmement néfaste qui est légale au Chili.

Avec l’appropriation des syndicats de la négociation collective, la nouvelle Constitution mettra fin à une pratique qui permet aux entreprises de maintenir au sein d’une même unité de travail des groupes de travailleurs soumis à des conditions de travail différenciées. Autre excellente nouvelle : non seulement les employés du secteur public ne seront plus interdits de grève, mais ils bénéficieront de tous les droits collectifs.

Ce qui est surprenant, c’est que ces avancées ont été formalisées par un organisme qui n’est pas directement lié au monde syndical organisé. Je pense que cela doit nous amener à nous demander ce qui a rendu cela possible.

Pablo Abufom :
Il serait intéressant de discuter plus avant de cette question. Quelles autres normes associées aux luttes syndicales ou aux luttes des travailleurs non syndiqués ont-elles été adoptées ?

Karina Nohales :
Deux autres normes méritent d’être soulignées. D’une part, le droit des travailleurs à participer, par le biais de leurs organisations syndicales, aux décisions de l’entreprise est garanti. La manière dont cette participation doit être mise en œuvre fait l’objet du cadre juridique et, sans aucun doute, cela augure de débats intéressants dans un avenir proche.

D’autre part, inséparable de la question du travail, c’est le droit à la sécurité sociale qui serait garanti. La nouvelle loi aurait plusieurs caractéristiques remarquables. Premièrement, elle stipule que c’est à l’État de définir une politique de sécurité sociale sur la base de principes tels que la solidarité, le partage équitable et l’universalité.
Deuxièmement, elle rend obligatoire la création d’un système public de sécurité sociale qui couvrira des risques éventuels divers.
Troisièmement, elle précise que le système sera financé par les cotisations obligatoires des travailleurs et des employeurs et par les recettes nationales, de plus que cet argent ne pourra pas être utilisé à d’autres fins que le paiement des prestations.
Enfin, les organisations syndicales auront le droit de participer à la gestion du système public de Sécurité sociale.

Toutes ces caractéristiques représentent une rupture absolue avec le système de capitalisation individuelle qui existe aujourd’hui, un système géré exclusivement par des entreprises privées (les Administrateurs de Fonds de Pension, AFP) et financé par les cotisations des travailleurs (l’employeur ne contribue pas).
Cet argent est investi dans des actions en bourse par l’AFP, ce qui génère des pertes irrécupérables. En 2008, suite à la crise des subprimes, près de 40 % de l’épargne retraite des travailleurs chiliens a été perdue. Dans la mesure où l’AFP n’est pas destinée à payer les retraites, elle offre un revenu misérable à la fin de la vie active.

Lire la suite ICI.

Photo  : Le président du Chili Gabriel Boric reçoit le projet de nouvelle constitution des mains de la présidente de la Convention constitutionnelle, Maria Elisa Quinteros, et du vice-président Gaspar Domiguez, le 4 juillet 2022, à Santiago du Chili. (Marcelo Hernandez / Getty Images)

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises


Voir en ligne : https://www.les-crises.fr/chili-la-...

   

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