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Contre l’offensive générale, le débordement général

jeudi 22 mars 2018 par Frédéric Lordon pour le blog du Diplo

Si ceux qui ont quelque responsabilité dans la « conduite » des mobilisations qui s’annoncent ne comprennent pas que le mouvement ne doit pas être « le mouvement des cheminots » ou le « mouvement contre les ordonnances SNCF », alors le mouvement échouera – une fois de plus. Que le mouvement doive aussi être cela – mouvement des et pour les cheminots –, la chose est tellement évidente qu’elle devrait aller sans dire. Mais si le mouvement n’est que cela, il est perdu d’avance.

Ordonnances SNCF : l’occasion

C’est que, comme on disait jadis, toutes les conditions objectives sont réunies pour que le mouvement déborde de partout – quand, précisément, tout l’enjeu est de le faire déborder. Rarement si grand nombre de secteurs de la société sont arrivés ensemble à un tel point d’épuisement, d’exaspération même, ni n’ont été maltraités avec une telle brutalité par un gouvernement qui, en effet, a décrété l’« offensive générale » [1].

C’est bien simple : ça craque d’absolument partout. Ehpad, hôpitaux, postiers, inspecteurs du travail, retraités, paysans, profs, étudiants, fonctionnaires bientôt, et surtout l’immense iceberg des salariés brutalisés du privé, dont la pointe a été sortie des eaux glacées par le désormais mémorable Cash Investigation spécial Lidl&Free – et le tout, c’est là l’esthétique particulière de l’époque, pendant que les plus riches sont invités à se goinfrer dans des proportions sans précédent sur le dos de tous ceux-là !

" Lire aussi Serge Halimi, « L’offensive générale », Le Monde diplomatique, mars 2018. "Serge Halimi rappelle cette stratégie vieille comme le néolibéralisme du blitzkrieg généralisé, attaque simultanée sur tous les fronts visant à produire un effet de sidération qui laisse les opposants, totalement désorientés, courir dans tous les sens, avoir toujours un train de retard, pour finir défaits dans tous les compartiments du jeu.

À l’évidence Macron en est là. Ce qui est étonnant avec tous ces « modernes », c’est combien ils pensent vieux [2]. Macron croit dur comme fer à la théorie du ruissellement – Reagan. Faux. Il veut privatiser les chemins de fer – Thatcher. Désastreux (mais c’est également le propre de ce « réalisme », et de ce « pragmatisme », d’ignorer jusqu’aux enseignements les plus élémentaires et du réel et de l’expérience). Le voilà maintenant tenté d’émuler la brillante stratégie d’un ministre des finances néo-zélandais des années 1980. Il n’est pas exclu qu’il se trompe.

Il faut toute la médiocrité intellectuelle des gens de presse pour avoir fait de Macron un « président intellectuel ». Hormis être capable de penser autrement que par recettes et de reproduire mécaniquement un passé disqualifié, un président « intellectuel », disons machiavélien (ce qui n’a rien à voir avec « machiavélique »), prêterait attention au fait que des procédés politiques ne valent que dans les conjonctures qui leur ont donné leurs conditions de possibilité.

2018 n’est pas le 1984 de Margaret Thatcher, ni le 1989 de Roger Douglas, le ministre des finances néo-zélandais. Pas non plus le 1995 des grandes grèves [3]. Tout a changé et, dans un environnement différent, les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets. Ce qui a changé pour l’essentiel tient à dix ans de crise « financière » qui ont produit de sérieux ébranlements dans les têtes, et jusque dans les couches de la population qu’on croyait résistantes, fidèlement acquises au système : les cadres.

Il s’en faut pourtant que des esprits ébranlés deviennent des corps en mouvement. Toutes sortes de choses les retiennent, matérielles notamment. Mais d’une autre nature aussi, une en particulier : l’absence d’une parole assez forte qui saurait les rassembler. Que l’éparpillement soit la première ressource du pouvoir, c’est vieux comme la politique. En 2017, Jacques Chastaing qui, pour le Front Social, surveille le front des luttes invisibles, comptabilisait plus d’un million de journées de grève sur deux mois [4] – toutes, ou presque, passées sous les écrans radars. Mais ce million n’est que de la poussière de grève. Il faut le compacter pour en faire une grève générale. Dont en réalité tous les éléments sont là – mais pas le principe unificateur.

À qui reviendrait-il normalement de le fournir ? Aux confédérations syndicales évidemment. Il suffit d’énoncer la réponse pour se voir au bord du désespoir. Faisons un tri rapide : on ne parlera pas de la CFDT (« Yellow is the hottest colour ») ; non plus de FO qui rivalise avec elle au jeu idiot de « l’interlocuteur privilégié ». Des plus grosses confédérations, reste la CGT. Écartons d’emblée tout malentendu : il n’est question ici que des directions, et non des bases. Ce que les bases, spécialement celles de la CGT, recèlent d’admirable combativité, nul ne l’ignore. Si la CGT était un alambic, les vapeurs s’élèveraient. Or ici tout reste à fond de cuve – où d’ailleurs ça glougloute méchamment. Mais dans les tortillons à Montreuil : rien.

L’enlisement institutionnel

Ou plutôt si : un mélange de dégénérescence bureaucratique (prévisible dans n’importe quelle organisation de cette taille) et, plus encore, d’incrustation dans le système institutionnel d’ensemble, mélange qui a fini par produire une sorte de passion de l’échec. Retraites 2010 : échec. Loi El Khomri 2016 : échec. Ordonnances « code du travail » 2017 : échec. Si l’on se contente d’extrapoler à partir de la tendance, l’épisode « SNCF 2018 » ne s’annonce pas au mieux… Mais, précisément, il s’agirait que quelque chose d’autre se passe. Ce qui suppose de déjouer la tendance – donc de commencer par s’en faire une idée.

Il y a d’abord la force de phagocytose propre à tout système institutionnel. C’est d’ailleurs une vérité très générale : tous les malins qui se la racontent en imaginant qu’ils vont courageusement rentrer dans le système pour le « changer de l’intérieur » finissent Gros-Jean comme devant – ou plutôt attablés avec leurs nouveaux amis, serviette autour du cou. Sauf rarissimes exceptions, on ne change pas le système de l’intérieur, c’est lui qui vous change de l’extérieur. On dira que les confédérations n’ont pas le choix et qu’elles doivent bien participer au jeu. On dira ça. Et puis, en longue période, on observera les effets.

Il faut situer convenablement cet argument : que les sections et les délégués d’entreprise aient, eux, à se battre, donc d’abord à négocier, c’est-à-dire à « jouer le jeu », la chose est évidente – pour le coup, pas trop de choix… Mais ça n’est pas de ça qu’il est question ici. Il est question de savoir ce que signifie vraiment « jouer le jeu », au niveau confédéral, quand le jeu, depuis tant d’années, a pris la tournure qu’on lui connait. Soyons coulants et cherchons une position de compromis : il y a des systèmes avec lesquels il peut rester du sens à jouer le jeu institutionnel « de l’intérieur ». Celui auquel nous avons affaire a cessé depuis belle lurette d’appartenir à cette catégorie. À un moment, il s’agit de s’en rendre compte.

La direction de la CGT a d’autant plus de mal à y venir que le système institutionnel ne la tient pas seulement par toutes les pernicieuses onctuosités de la sociabilité des « décideurs », mais aussi par les parties financières. Sur 46 millions de recettes (comptes 2016), 13,5 viennent des cotisations (30 %), le reste de « subventions d’exploitation », de mystérieuses « contributions », et « autres produits » aussi clairement identifiés – en fait, pour l’essentiel, des subsides d’État. Dont on comprend qu’on y regarde à deux fois avant de lui mordre la main.

Sans doute, ce qu’on nomme par facilité « la direction » est-elle en fait un objet bien plus composite, agrégeant dans des rapports en partie conflictuels la confédération proprement dite, les fédérations-baronnies et des structures locales. Paradoxalement, la CGT n’a rien du monolithisme qui lui est prêté par les clichés médiatiques – et il n’y a pas de « bouton rouge » de la mobilisation dans le bureau du secrétaire général à Montreuil. Le pouvoir de mobiliser est assez largement décentralisé, dans les fédérations, parfois plus bas, mais à des niveaux où la chaîne de la dépendance financière n’est pas moins réelle, ni serrée… sachant que la direction proprement confédérale dépend de ces soutiens-là pour se faire élire, et pour se maintenir.

En tout cas, l’habitus institutionnel, que contractent immanquablement ceux qui entrent dans les jeux institutionnels, et qui efface des esprits jusqu’à la possibilité d’attenter au jeu lui-même, se joint à la dépendance financière aggravée pour exclure toute épreuve de force significative qui, au-delà de la gêne pour tel ou tel gouvernement, conduirait non seulement à une modification du rapport de force avec l’État – en général –, mais, plus gravement encore, à la possibilité d’une contestation sérieuse de l’ordre social, dont cet État est le gardien.

Rien de cela n’arrivera – « on gère ». Par conséquent on gère l’échec. Et l’on sait parfaitement situer les points critiques, ceux dont il ne faut surtout pas s’approcher, ou desquels il faudrait organiser la déviation dans les sables, ou le reflux, si d’aventure une dynamique « mal maîtrisée » conduisait à les envisager de trop près.

Voilà déjà de quoi revenir à la question des conditions matérielles. Tous les délégués de site ne disent-ils pas la même chose : « on a du mal à mobiliser » ? Et les fédérations s’enveloppent de rationalité : on ne prendra pas le risque de mobiliser si c’est pour faire petit – et échouer. Ici, ne pas céder aux apories de l’œuf et de la poule. Les bases y regardent à deux fois avant de sortir parce qu’elles voient comme tout le monde la série des râteaux. Et qu’elles en sont affectées au premier chef. C’est que dans les stratégies qui servent les passions de l’échec, il entre en particulier de ne jamais appeler pour une journée de week-end, et d’imposer aux salariés de poser un jour de grève qui, pour certains, fait mal dans l’entreprise, pour ne rien dire du salaire perdu. Et à la fin, pour rien. On accordera que ça ne fait pas un système d’incitations formidable. Aussi le million de journées de grève reste-t-il bien comme on veut qu’il reste : à l’état pulvérulent.

Misère du syndicalo-syndicalisme

Il a d’autant moins de chance de se compacter qu’il lui manque plus cruellement encore son liant. Or le liant, c’est une signification d’ensemble – bien sûr sous condition que la conjoncture ne prive pas de sens l’idée même d’une telle liaison. Il y a tout lieu de penser que la condition est remplie aujourd’hui : les ordonnances SNCF ont à voir avec les lois travail qui ont à voir avec la managérialisation de l’université qui a à voir avec la sélection des étudiants qui a à voir avec l’emprisonnement des agriculteurs dans le glyphosate qui a à voir avec les suicidés de l’hôpital de Toulouse, avec ceux de Lidl, de Free, avec tous les fracassés de l’entreprise, et avec l’immense cohorte de ceux qui sont à bout.

Qu’il y ait toujours eu, dans tout état du monde social, des mécontents, la chose va de soi. Qu’il y ait aujourd’hui, et dans des couches aussi nombreuses, aussi variées, de la population, autant de poussés à bout, c’est peut-être une nouveauté, qu’il reviendrait à une épidémiologie sociologique et historique de documenter – que des DRH se mettent à écrire des livres pour libérer leur conscience des immondices que leur fonction leur a fait faire [5], que des médecins, peu connus pour leurs propensions séditieuses, en soient à se jeter par la fenêtre, n’est-ce pas quand même l’indice de quelque chose ?

En tout cas, tout ça sort du même « lieu », de la même matrice – qu’on appelle usuellement « néolibéralisme » pour faire sténographique [6]. Ce n’est pas parce que ce lieu est abstrait que ces contours ne sont pas nets. Ils sont très bien identifiés même – on ne compte plus les travaux qui se sont attachés à les cerner. Ce sont des idées qui infestent toutes les têtes dirigeantes, dans tous les secteurs où l’on prétend diriger : gouvernement, haute et moyenne administration, universités, entreprises, chefferies médiatiques.

Pour notre malheur, il semble qu’il n’y ait qu’un secteur du système institutionnel où l’on n’accède pas à la généralité de la chose : les directions confédérales (on parle bien sûr de celles qui n’ont pas trouvé enthousiasmant ce nouvel ordre du monde). Qui sait, peut-être qu’on y accède. Mais alors on se retient bien de le dire, et de construire avec le moindre discours – qui précisément, viendrait lier ensemble des fractions du salariat autrement abandonnées à leurs antagonisme catégoriels : « les privilèges des cheminots », éructeront les cadres qui sont devenus eux aussi candidats à la défenestration ! et, en dernière analyse, pour les mêmes raisons qui vont mettre les cheminots à l’arrêt !

Mais, de cette dernière analyse, on ne trouvera trace dans aucune grande confédération. La certitude de la démission intellectuelle et politique a été définitivement acquise avec les très grosses manifestations de janvier et mars 2009. Sans aucune raison « institutionnelle » particulière, aucun projet de loi, aucune attaque gouvernementale vicieuse, des millions de personnes étaient descendues dans la rue, révulsées du désastre bancaire de l’automne 2008 et des conditions dans lesquelles on s’apprêtait à l’éponger.

Si l’on peut au moins reconnaître aux confédérations le mérite d’avoir « appelé », elles n’avaient rien trouvé d’autre, pour donner sens à cette colère profondément politique, que de lui adjoindre quelques indigents mots d’ordre à base de « conditions de travail » et « d’augmentation des salaires ». Des mots d’ordre de conventions collectives face à rien de moins que l’ébranlement du capitalisme financiarisé. Des mots d’ordre auxquels, du reste, les gens n’ont prêté aucune attention : eux savaient bien pourquoi ils étaient dans la rue et quel était l’objet réel de leurs écumantes colères.

Voilà cependant où conduit immanquablement la pauvreté des appels du syndicalo-syndicalisme : à la volatilisation en deux coups d’une formidable énergie politique qui s’était levée, et qui avait tout pour faire du chemin. À la condition évidemment d’être reconnue et encouragée dans ce qui l’intéressait. Deux mois plus tard, tout était retombé, et le 1er mai 2009 fut atone – comme d’habitude.

Il faut en effet appeler syndicalo-syndicalisme cette incurable maladie confédérale qui fait mettre la tête dans le sable aussitôt qu’apparaît de la politique. Même pas seulement la politique au sens institutionnel du terme – la politique des partis et des élections –, celle dont la charte d’Amiens prohibe le contact. Mais la vraie politique, la politique au plus haut sens du terme, celle des idées qui interrogent dans sa globalité le monde où l’on vit, et qui porte le désir d’en changer – une politique, et cela fait partie de ces nouveautés que Macron, Machiavel de sous-préfecture, ignore complètement, une politique qui depuis 2008 s’est répandue dans les têtes comme jamais.

Car, à part les ravis de la « classe nuisible » [7], il n’est plus une personne qui ne voie pas que le monde comme il va, va très mal. Mais trouver que le monde va mal, trouver même qu’il est odieux, c’est demander de la vraie politique, c’est vouloir prendre la rue pour de la vraie politique, et pas pour des histoires de tickets-restaurants.

Disons-le au cas où : c’est très important les « histoires de tickets-restaurants » (généralement comprises). Il y a un nombre affolant de salariés pour qui ça revêt une importance dramatique. Mais à force de ne vouloir sauvegarder que les tickets-restaurants, en se refusant à parler de quoi que ce soit d’autre, les confédérations arriveront par nous faire perdre jusqu’aux tickets-restaurants.

Or, « quoi que ce soit d’autre », c’est la politique. Et nous y sommes. L’affaire de la SNCF est une affaire de politique : il y est question des principes d’un ordre entier. La racaille éditorialiste, qui n’a pas désarmé depuis 1995 [8], est déjà sur les dents. Le tir de barrage va être immonde, phénoménal.

Auprès de la population, il mettra dans le mille à chaque fois qu’on tentera de tenir la crête « des cheminots », si entièrement légitime soit-elle. Il est assez évident que nous ne réussirons qu’à la condition de faire entrer les non-cheminots dans le conflit des cheminots. C’est-à-dire qu’à la condition de lier les cheminots à tout ce à quoi ils doivent être liés, et de les lier politiquement.

En produisant les preuves : ce qui agresse les cheminots et ce qui pousse des agriculteurs au désespoir et ce qui transforme des petits chefs en tortionnaires et ce qui suicide des salariés et ce qui réduit l’université à la misère et ce qui brise le cœur de soignants se voyant mal soigner, est la même chose : le même monde.

Or : des agriculteurs sont désespérés, des petits chefs sont dans un devenir tortionnaire, des salariés passent par les fenêtres, de l’eau de pluie coule dans les salles de classe, des soignants ont le cœur brisé, etc. Beaucoup de gens souffrent, terriblement même. Beaucoup trouvent ce monde haïssable et en passe d’être déserté par toute signification humaine. Ils le sentent. Là est la ressource du combat. Une ressource politique. Mais qui ne jouera qu’à la condition de rencontrer un discours politique.

Pour un syndicalisme politique

Que la direction de la CGT soit disposée à tenir ce discours, c’est ce dont il y a tout lieu de douter. Dans la situation actuelle, c’est pourtant la seule ligne capable de succès.

Lire la suite https://blog.mondediplo.net/2018-03-20-Ordonnances-SNCF-l-occasion


Voir en ligne : https://blog.mondediplo.net/2018-03...


[1Serge Halimi, « L’offensive générale », Le Monde Diplomatique, mars 2018.

[2Lire Martine Bulard, « Les recettes du vieux monde en échec », « Travail. Combats et utopies », Manière de voir, no 156, décembre 2017 - janvier 2018.

[3Voir le dossier « La grande révolte française contre l’Europe libérale » dans Le Monde diplomatique de janvier 1996.

[4Jacques Chastaing, « Un tournant dans la situation sociale », Blog Mediapart, 27 mars 2017.

[5Didier Bille, DRH, la machine à broyer. Recruter, casser, jeter, Cherche Midi, 2018.

[6Lire Pierre Bourdieu, « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars 1998.

[7Voir « Situation », Lundimatin, 13 juin 2017.

[8Lire Serge Halimi, « Les médias et les gueux », Le Monde diplomatique, janvier 1996.

   

Messages

  • 1. Contre l’offensive générale, le débordement général
    25 mars 2018, 09:51 - par Jean-Pierre Tricaud membre du CN de l’ANC


    Certains ont bien connu Jean François Autier, ancien cheminot et ancien responsable PCF de la Gironde.
    Je viens de lire le papier de Lordon que tu nous a fait passer. Je partage, hélas !
    Je te transfére, ci-après, des extraits d’un courriel que j’ai envoyé à un camarade le 16 mars.

    Les divers rappels du passé me renvoient à ma naïveté, à ma confiance -a priori- dans les camarades, à ce que j’ai découvert -incrédule- peu avant de partir, à ce qui m’a été dit après mon départ.
    Je n’ai pas d’amertume ; me souvenant du poème d’Aragon au sujet de Gabriel Péri, je dirai simplement "Et s’il était à refaire Je referais ce chemin".
    J’ose même un mot : heureusement ; heureusement que le peuple de France ne nous a jamais mis en situation d’avoir à gouverner le pays.
    Bien entendu, non seulement ça ne remet pas en cause mon choix de classe, mais les développements du capitalisme montrent qu’il va vers sa fin : pourvu que son agonie ne coûte pas trop à l’humanité...
    Ce qui me semble particulièrement absent des luttes actuelles, c’est le silence sur l’illégitimité de ce gouvernement. Certes, il est légal mais totalement illégitime à faire ce qu’il fait.
    Il m’apparaît de plus en plus évident que les partis politiques, quels qu’ils soient, ne veulent absolument pas en finir avec le capitalisme.
    Je me demande jusqu’ou peut aller cet alignement légaliste. Il ne serait pas surprenant que le besoin, pour le capital, de désigner un ennemi pour faire marcher le peuple, voit la France, à la remorque de l’Angleterre et des États-Unis, déclarer la guerre à la Russie. Nos politiques suivront-ils la fleur au fusil ?
    Ce serait rêvé pour le capital : avec l’économie de guerre, finies les lois sociales, le peuple pourrait être pressuré sans vergogne. Je dis bien : déclarer la guerre, pas la faire ; au vu de ce qui s’accélère en Syrie depuis qu’un avion israélien a mordu la poussière et qui s’exprime dans l’hystérie des Britanniques sur la Russie...
    Autre préoccupation qui m’habite : c’est bien de souhaiter la fin du capitalisme mais, pour ceux qui ne veulent pas attendre qu’il finisse de sa belle mort, comment finit-il en l’absence d’une organisation de classe et de masse, d’un parti révolutionnaire ?
    Le mouvement de masse et de classe, y compris avec un contenu révolutionnaire, peut très bien exister sans parti révolutionnaire ; autre chose est de n’être pas qu’un feu de paille mais de s’inscrire dans la durée. Supposons que le mouvement revendicatif, prenne en compte l’illégitimité de Macron et obtienne son départ ; pour que ça change, on va aller voter "démocratiquement" ?
    Combien d’ouvriers ou d’exploités d’aujourd’hui savent ce que Tocqueville, Montesquieu pensaient de la démocratie ? Combien ont lu cette lettre du communard Élisée Reclus, girondin, à Jean Grave ?
    Quand la classe des exploités représente 90 % de la société, le rôle coercitif de l’État peut-il être assumé par des "élus" dont nous savons d’avance d’où ils viendront, surtout en l’absence d’un parti révolutionnaire ?
    Alors, le tirage au sort ? Mais ça aussi, qui en parle ? Jusqu’à présent, là où ils ont eu la direction d’un pays, les communistes ne pouvaient qu’y gérer le capitalisme parce que, même le volontarisme, ne pouvait pas faire "murir" artificiellement la contradiction capital-travail.
    Aujourd’hui, l’irruption de l’intelligence artificielle dans la production va provoquer, en même temps que la chute du taux de profit, la casse des forces productives humaines et l’augmentation du pillage de la classe des exploités.
    Autrement dit, créer les conditions objectives pour en finir avec le capitalisme.
    Mais les conditions objectives seulement. Comment faire pour que "quand une idée s’empare des masses, elle devient une force matérielle" ?
    Pour autant, ne serait-ce qu’à cause des développements inégaux des sociétés humaines, les nations n’ont pas encore fini leur rôle historique.
    Les mouvements migratoires, si utiles pour assurer la survie du capitalisme, ne doivent-ils pas être appréhendés clairement dans le cadre de la lutte des classes, alors que tout est fait pour qu’ils ne le soient qu’à partir d’un humanisme pleurnichard et désarmant ?
    Au moment où le capitalisme est mûr pour céder la place à une organisation supérieure de la société humaine, où le marxisme fait la preuve de son utilité, il y a -heureusement- en dehors des organisations communistes, des gens qui se réfèrent à Marx.
    Et qui me permettent de croire que nous ne vivons pas la fin de l’Histoire.

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