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« Catarina et la beauté de tuer des fascistes »

samedi 15 octobre 2022 par Marina Da Silva

Qui a vu mourir Catarina ne pardonne pas.

Tiago Rodrigues met en scène une pièce créée au Portugal et déjà controversée. En Italie, Fratelli d’Italia, le mouvement post fasciste de Giorgia Meloni vainqueur des récentes législatives, a exigé publiquement son interdiction.

ls sont sept, réunis dans la maison familiale. Apprêtés comme pour un jour de fête. Hommes et femmes dont les âges s’égrènent sur plusieurs générations. Toutes et tous vêtus de jupes longues et amples. Toutes et tous se prénomment Catarina. Toutes et tous ont tué ou vont tuer un fasciste. C’est une tradition dans cette famille du sud du Portugal : lorsque l’un des siens atteint ses 26 ans, il se soumet à ce rituel initiatique. Depuis déjà quelque soixante-dix ans.

Dans Catarina et la beauté de tuer des fascistes [1], Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène, va droit au but et nous projette dans une fiction où l’extrême droite a pris le pouvoir par les urnes, et s’attelle à démanteler la démocratie.
Que faire ?
Que faire face à ces discours de haine qui se propagent dans l’Europe entière, à ces programmes politiques homophobes et racistes qui entendent rétablir le socle « famille-patriarcat-patrie » ?

Croisant une mémoire intime et l’histoire nationale, entremêlant passé, présent et futur, Tiago Rodrigues compose, dans des tableaux de toute beauté scénographiés par F. Ribeiro, ce qui relève à la fois d’un huis-clos familial, d’une cellule révolutionnaire et, dans son adresse frontale au public, d’une assemblée citoyenne.

La Catarina — c’est une femme — qui fête ses 26 ans, sous le regard de sa mère, de sa petite sœur, de trois oncles et d’un cousin, étrangement silencieux. Elle a attendu ce moment avec impatience, nourrie aux chants et à la mémoire des combats antifascistes.

La Catarina originelle, c’est Catarina Efigénia Sabino Eufémia, ouvrière agricole née en 1928, dans l’Alentejo, à Baleizão, et abattue à bout portant le 19 mai 1954, son bébé dans les bras, par un lieutenant de la Garde nationale républicaine au cours d’une grève où elle réclamait « du travail et du pain ».

José Afonso, icône du chant engagé portugais, lui dédia Cantar alentejano, dans l’album Cantigas do Maio (1971), où il souligne : « Qui a vu mourir Catarina ne pardonne pas à qui l’a tuée [2] ».

La pièce a été créée et (peu) jouée fin 2019, juste avant le confinement de mars 2020, puis reprise en tournée en 2021 et 2022. Elle est actuellement à l’affiche des Bouffes du Nord, à Paris, jusqu’au 30 octobre.

Tiago Rodrigues, qui n’avait pas encore été nommé à la tête du Festival d’Avignon, y creusait ce sillon de réflexion et d’invention philosophique et poétique qui caractérise ses pièces, dans une approche toujours renouvelée. Il est parti d’un fait d’actualité qui avait secoué le pays entre 2017 et 2018, lorsqu’un juge avait diminué les peines de prison de plusieurs hommes qui avaient sauvagement agressé leurs compagnes, arguant qu’elles auraient été responsables d’avoir déclenché leur violence.

Le dramaturge portugais y voyait le fondement et la perpétuation d’une dictature qui a duré plus de quarante ans et a trouvé de nouveaux visages lors des élections législatives de 2019, où l’extrême droite a pris place à l’Assemblée : « Le fascisme redevient la possibilité du futur. Il n’est plus un héritage mais une menace. »

Dans sa pièce, qu’il situe en 2028, l’extrême droite vient de gagner la majorité absolue au Parlement et annonce qu’elle va changer la Constitution. L’homme que Catarina a kidnappé, que l’on verra assis en fond de scène, muet et figé, et qu’elle s’apprête à exécuter, n’est autre que celui qui écrit tous les discours du premier ministre.

Mais au moment de faire feu, Catarina vacille et ne peut se résoudre à tuer de sang-froid. Comme si la légitimité de son acte appartenait à l’histoire de son arrière grand-mère assassinée, mais pas à la sienne : « Peut-être que ce n’est pas comme çà qu’il faut combattre le fascisme ? », interroge-t-elle. Ce qui révulse sa mère, passionaria magnifique, pour qui « on ne peut être tolérant avec les intolérants » et qui n’en peut plus d’entendre « qu’on ne peut pas dire fasciste parce que le fascisme est un mouvement historique » ou que « les traiter de fascistes est une façon de radicaliser le discours et de polariser inutilement la société ».

Entre les deux Catarina, écartelées dans leur amour l’une pour l’autre, l’affrontement politique et affectif, argument contre argument, est passionnant et ne laisse pas le spectateur passif.
Il traverse le plateau mais aussi toute la salle.

Il faut dire que si Tiago Rodrigues a subtilement laissé ouvert le questionnement et l’interpellation des Catarina mère et fille, il a aussi imposé à tous, dans un final qui ne tranche pas, d’entendre le discours de l’otage.

Puisqu’il n’est pas tué et qu’il recouvre la parole, il faudra se plier à entendre longuement déferler un programme et une vision du monde qui donnent la nausée et propulsent la colère.
Éprouvant et efficace !

Incarnée par des comédiens de haute volée (Antonio Fonseca, Beatriz Maia, Isabel Abreu, Marco Mendonça, Pedro Gil, Romeu Costa, Rui M. Silva, Sara Barros Leitão), la pièce a fait vivement réagir le public au Portugal, qui lors de plusieurs représentations était prêt à franchir le quatrième mur et à s’inviter dans le débat et la mêlée.

Elle a aussi réveillé quelques chroniqueurs de droite qui n’ont pas hésité à prétendre que Tiago Rodrigues faisait l’apologie de la lutte armée et en appelait à la guerre civile [3].

Mais au théâtre aussi, « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.  [4] »

Théâtre des Bouffes du Nord (Festival d’automne à Paris et Saison France-Portugal 2022)
Jusqu’au 30 octobre 2022

Comédie de Caen, CDN de Normandie
les 10 et 11 novembre

Le Trident, Scène nationale de Cherboug-en-Cotentin
les 16 et 17 novembre

Maison de la Culture d’Amiens
les 22 et 23 novembre

Théâtre de Liège
du 1er au 3 décembre

Théâtre de la Cité, CDN Toulouse-Occitanie
du 7 au 10 décembre

Teatre Lliure, Barcelone
les 21 et 22 décembre

Voir en ligne : https://blog.mondediplo.net/qui-a-v...


[1Traduction Thomas Resendes, éditions Les Solitaires intempestifs, 2020.

[3Voir « “Catarina e a beleza de matar fascistas” : o teatro a pensar a política » ; Le Monde diplomatique, éditions portugaise, avril 2021.

[4René Char, Fureur et mystère, Gallimard, Paris, 1948.

   

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