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Burkina Faso : À Gountouri, Ismaël et son père coincés entre le marteau et l’enclume

vendredi 13 janvier 2023 par Kalidou Sy

Pour Ismaël (prénom d’emprunt) et sa famille, les ennuis ont commencé lorsque son père, un chef de village du Soum menacé par les djihadistes, a décidé, pour se protéger, de ne plus donner d’informations aux forces de sécurité. Leur histoire illustre la position intenable des civils, condamnés - au Burkina comme au Mali - à choisir leur camp dans cette guerre.

Lorsque j’ai donné rendez-vous à Ismaël (prénom d’emprunt), je m’attendais à rencontrer un homme meurtri et marqué par les conséquences de l’insécurité qui frappe le nord du Burkina Faso depuis 2015. Mais en ce mardi de septembre, j’ai affaire à un garçon calme et timide. Je dirais que derrière ce visage enfantin se cache plutôt de la méfiance, car comme il le dira plus tard : « Ici, on se méfie de tout le monde, on ne sait pas qui est qui. Même à Ouagadougou... »
Venu à moto, comme tout bon Ouagalais, le jeune homme de 23 ans commence par se présenter : « Je suis du Soum. J’habite à environ 45 km de Koutougou dans un village nommé Gountouri. C’est ici que j’ai été à l’école primaire. »

« J’ai arrêté l’école en 3e pour m’inscrire dans un centre de formation de santé. Ma formation n’a duré qu’une année. Je n’avais plus les moyens de payer », ajoute-t-il. Actuellement sans emploi, Ismaël est bénévole au sein d’une association. Ce qui lui permet de vivre grâce à quelques commissions.

Ismaël est issu d’une famille assez traditionnelle : « Ma mère est ménagère et mon père est le chef coutumier du village. Il est aussi le 1er adjoint du maire de Koutougou. J’ai environ [il réfléchit] 14 frères et sœurs car mon père est polygame. Il a 3 femmes. »
Il explique que Gountouri n’avait jamais connu de réels problèmes de violences religieuses ou ethniques. À Gountouri, et comme dans la plupart des villages du Soum, à chaque communauté son métier : « Mon village est essentiellement composé de Bellas et d’une minorité de Peuls. Les gens vivent de l’agriculture et de l’élevage. »

Lorsque les premières violences sont apparues, en 2014, Ismaël avait 16 ans. « Au départ, ça se limitait aux braquages », dit-il. Pas de quoi l’effrayer. Jusqu’au jour où des hommes sont venus du Mali... 

« Ils ont bunkérisé le village »

Ismaël se souvient qu’à leur arrivée, ces hommes disaient venir prêcher l’islam. Certains membres du village étaient séduits par leurs discours a priori pacifiques. Puis un jour, ils ont contraint chaque propriétaire de bovins à payer une zakat. « Par exemple, si tu avais un troupeau de quarante chèvres, ils t’obligeaient à leur en donner cinq. C’est comme une taxe, explique-t-il. Ils disaient que Dieu a recommandé de faire ça aux musulmans. Ils étaient armés. Et si tu avais le malheur de ne pas répondre à leurs exigences, ils te tuaient. »

Petit à petit, ces hommes ont imposé leur loi à Gountouri. De la mise en place de « taxes » au pillage des vivres des villageois, la situation est devenue invivable. « Ils nous ont obligés à prier, à couper nos pantalons et à laisser pousser nos barbes. Nos femmes devaient se voiler et étaient interdites d’aller au champ. Ils nous ont dit de ne pas mettre nos enfants dans des écoles occidentales. L’école du Blanc... »

Les enseignants ont pour la plupart pris la fuite. Fin 2022, 6 253 établissements scolaires étaient fermés au Burkina Faso, affectant plus de 1 million d’élèves, selon des chiffres du ministère burkinabè de l’Éducation nationale.

« Ils ont carrément bunkérisé le village. Personne ne peut y sortir sans qu’ils ne soient au courant. Moi, j’ai fui avant que la situation ne nous échappe. Cela fait deux ans [1] que je n’ai plus été dans mon village », explique Ismaël, plein de dépit, en baissant la tête.

Index en l’air comme pour jurer, Ismaël m’assure qu’aucun Bella de ses connaissances n’épouse l’idéologie des groupes djihadistes [2].

« Ce sont des faussaires. Ce ne sont pas des messagers de l’islam. Leurs messages n’existent pas dans le Coran », m’explique-t-il avec des trémolos dans la voix. Il dit regretter que quelques « parents peuls » de son entourage aient rejoint les rangs « terroristes ».
Selon lui, la cohabitation était pacifique avant l’arrivée des djihadistes. « Entre Bellas et Peuls, c’étaient des relations de bon voisinage. Avant ce phénomène, il n’y avait pas de problèmes, on pouvait s’asseoir ensemble et discuter. » Mais depuis l’arrivée des extrémistes dans son village, la donne a changé. Ismaël avoue que son regard envers les Peuls n’est plus le même.
Petit à petit, méfiance et crainte se sont installées à Gountouri.

« Plus en sécurité en prison que dehors »

Ismaël reste circonspect. Pour lui, une personne instruite ne devrait pas se laisser séduire par la propagande djihadiste : « Ceux qui sont instruits ne peuvent pas être des terroristes. Je ne sais pas si c’est par contrainte ou volontairement qu’ils rejoignent ces groupes armés... » Il parle en connaissance de cause : « J’ai des amis qui ont rejoint les rangs terroristes. J’en connais personnellement cinq. Je n’ai plus de leurs nouvelles depuis... Ce n’étaient pas de bons amis mais des camarades de classe. Ça m’a vraiment surpris qu’une personne qui a fait l’école devienne comme ça. Nous n’avions jamais parlé de religion avant. Ce n’était pas un sujet de discussion », dit-il.

Pour sa famille, les difficultés ont commencé quand son père, chef de village « depuis l’époque de Sankara », a été arrêté par les gendarmes, en avril 2018. Il était suspecté – à tort selon Ismaël - de collaborer avec les djihadistes [3].

Son père était entre le marteau et l’enclume : d’un côté les forces de sécurité ; de l’autre côté les groupes djihadistes. « Les terroristes ont su que mon père informait les services de renseignement car ils ont des complices au sein du village. Après cela, il ne pouvait plus informer les forces de sécurité sous peine d’être abattu par les terroristes. Donc il a déménagé à Koutougou », explique-t-il.

Mais il a été très vite rattrapé par la patrouille : « À partir de ce moment, certains l’ont accusé de collaborer avec les terroristes ».
Ismaël affirme au contraire que son père a été une source précieuse pour les forces de sécurité : « Il les a beaucoup aidées en matière de renseignements. Gendarmerie, armée, police... Tous ont bénéficié de ses informations. Et ils l’ont conduit directement à la prison de haute sécurité. Alors que le dossier est vide. Ils n’ont rien contre lui ! » peste-t-il.

Après réflexion il se demande toutefois si l’arrestation de son père n’est pas un mal pour un bien, car les menaces des djihadistes devenaient invivables. « Cela peut paraître paradoxal, mais mon père est plus en sécurité en prison que dehors aujourd’hui. »

Ciblé à son tour

Après l’arrestation de son père, Ismaël a décidé de collaborer avec les forces de sécurité. « Depuis, je suis directement visé par les groupes terroristes », affirme-t-il. Un jour, il a failli y laisser la vie : « J’ai été victime d’une embuscade en 2017 avant mon arrivée à Ouaga. J’ai échappé à une tentative de meurtre... »

Ses ennemis d’aujourd’hui sont ses camarades d’hier.
Ils le connaissent très bien. Il représente donc une cible facile. « Depuis mon exil à Ouagadougou, je reçois des messages téléphoniques de certains “amis” qui ont rejoint leurs rangs et qui avaient mon numéro de téléphone. »

Le jeune homme ne va plus dans son village et a rarement des nouvelles de sa famille : « Ça fait deux ans que je ne suis pas retourné dans mon village. La dernière fois que j’ai parlé à ma mère, c’était il y a un mois. Depuis, le signal est coupé. Il n’y a plus de réseau. » Il s’inquiète pour leur sort : « Ma famille a tenté de fuir le village mais ils ont été rattrapés par les groupes armés. Aujourd’hui, je me demande comment ils arrivent à manger... »

Pour Ismaël, le salut de Gountouri et du Burkina Faso passera par une réponse sociale : « Je pense qu’il faut former les jeunes de mon village, développer des activités économiques qui leur permettront de générer des revenus. Il faut également intégrer ces jeunes au sein des forces de sécurité. Sans la collaboration de la population, le problème ne sera jamais résolu ».

Photo :
Dans la province du Soum, dans le nord du Burkina Faso.
© International Federation of Red Cross / flickr.com


Voir en ligne : https://afriquexxi.info/A-Gountouri...


[1L’interview a été réalisée en 2019.

[2NDLR : En réalité, les groupes djihadistes recrutent dans l’ensemble des communautés vivant au Sahel.

[3NDLR : En réalité, les groupes djihadistes recrutent dans l’ensemble des communautés vivant au Sahel.

   

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