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Réforme de la Constitution : "Un verrouillage du Parlement assez inquiétant "

lundi 23 avril 2018 par Guillaume Jacquot pour Public Sénat

Les dispositions de l’avant-projet de loi constitutionnelle qui concernent le travail parlementaire vont dans le sens d’une diminution du pouvoir du Parlement au profit du gouvernement, analysent deux spécialistes de droit constitutionnel et du fonctionnement des assemblées. Ce qui conforte l’idée qu’il ne sert plus à rien de voter aux Législatives...Et l’on peut légitimement se poser la question de l’intérêt qu’il y aura à entretenir des sénateurs ?

L’avant-projet de loi constitutionnelle a été divulgué ces dernières heures dans la presse. Les articles 3 à 9, ceux qui modifient la procédure parlementaire, sont conformes à ce qu’a annoncé Édouard Philippe le 4 avril dernier, mais précisent les choses. Beaucoup semblent faire l’effet d’une bombe pour le pouvoir législatif.

« Ce sont clairement des dispositions antiparlementaires. Aucune des réformes envisagées ne conduit à croître d’une manière ou d’une autre les pouvoirs du Parlement, au contraire », réagit le constitutionnaliste Didier Maus. « Il y a une réduction, soit de l’espace possible pour le Parlement, soit une réduction de sa délibération […] C’est une réduction de sa sphère d’autonomie. »

« La tonalité générale, c’est un affaiblissement général du pouvoir d’initiative des parlementaires, de leur liberté, et une restriction du champ d’expression du Parlement par rapport à un gouvernement qu’on trouve totalement omniprésent », nous explique Benjamin Morel, docteur en science politique à l’ENS Paris-Saclay. Il estime que cette révision se traduit par « un verrouillage du Parlement assez inquiétant ».

Une procédure abrégée et dans l’ombre du gouvernement, après la commission mixte paritaire

Un point devrait faire tousser le Sénat, et plus largement le Parlement. La navette parlementaire après la commission mixte paritaire (CMP), cette instance qui réunit des députés et des sénateurs pour tenter d’atteindre un texte commun, a du plomb dans l’aile. L’article 45 de la Constitution est l’un des articles qui pourrait être le plus réécrit par la réforme constitutionnelle. Elle marquerait la fin de la séquence suivante : nouvelle lecture au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, suivies d’une lecture définitive à l’Assemblée nationale.

Si la réforme était adoptée, le Sénat serait – et c’est une nouveauté – saisi en premier après l’échec de la CMP et devrait statuer sur le dernier texte adopté par l’Assemblée nationale. Des délais serrés seront imposés : la Chambre haute aurait 15 jours pour statuer.

L’Assemblée nationale aura ensuite huit jours pour statuer sur le dernier texte qu’elle a adopté, et non celui du Sénat.

« Ce qui avait fait l’intérêt du bicamérisme – le dialogue entre les chambres et l’échange d’arguments – disparaît. On est dans une procédure directe de dernier mot donné à l’Assemblée nationale. Au bout du compte, le rôle du Sénat, en tant que relecteur des textes, de poil à gratter de l’Assemblée nationale, va en grande partie disparaître », analyse Benjamin Morel, auteur d’une thèse sur « le Sénat et sa légitimité ».

Avec cette nouvelle lecture qui n’en sera plus vraiment une, c’est l’esprit du bicamérisme qui est fragilisé, estime le constitutionnaliste Didier Maus, qui voit dans cette disposition de la réforme « une restriction évidente des droits du Sénat ». Avec ce changement, « on a une chance de moins qu’un accord puisse se former entre l’Assemblée et le Sénat ». Ce cas de figure était « extrêmement rare », mais s’était déjà produit, selon lui. « Il peut arriver que dans une nouvelle lecture, après CMP, on arrive à améliorer la rédaction de la loi », met-il également en avant.

Une autre évolution est à mentionner. Les députés n’auront pas de réelle marge de manœuvre pour modifier leur copie. Seuls les amendements adoptés ou déposés au Sénat sont « recevables avec l’accord du gouvernement ». « On a un droit de veto du gouvernement sur l’initiative des parlementaires », réagit Benjamin Morel.

Une répartition de l’ordre du jour qui favorise le gouvernement

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le gouvernement et le Parlement disposent d’un partage égal de l’ordre du jour des sessions. L’exécutif dispose de deux semaines pour l’examen de ses projets de lois. Quant aux deux semaines des parlementaires, elles sont se divisent en une semaine de contrôle et une semaine d’initiative législative pour l’examen des propositions de loi.

L’article 8 de l’avant-projet de loi constitutionnelle modifierait l’article 48 de la Constitutionet donnerait le droit au gouvernement d’inscrire en « priorité » à l’ordre du jour des assemblées des « textes relatifs à la politique économique, sociale, ou environnementale » qu’il juge « prioritaires ».

Dans l’état actuel de la Constitution, cette possibilité n’est offerte que dans certaines exceptions, comme les projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, ou encore les « projets relatifs aux états de crise ».

Le 4 avril, Édouard Philippe a assuré qu’il n’était pas question de « revenir » sur « l’équilibre » dans l’ordre du jour des assemblées, permis par la révision constitutionnelle de 2008 adoptée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Unanimes, Didier Maus et Benjamin Morel voient au contraire un retour à la situation d’avant 2008. « On a vu de 1958 à 2008 que le gouvernement avait toujours des urgences et que l’ordre du jour des parlementaires se réduisait comme peau de chagrin », rappelle le docteur en science politique.

L’article 9 de l’avant-projet de loi permet d’intégrer dans la semaine de contrôle des parlementaires l’examen de projets ou de propositions de loi prenant en compte les remarques formulées dans les rapports d’évaluation.

Accélération des discussions sur le Budget

Le gouvernement espère également réduire le temps réservé à l’examen du budget, qui occupe une part importante des débats parlementaires chaque automne. Le projet de loi devrait raccourcir plusieurs des délais limites encadrés par les articles 47 et 47-1 de la Constitution. Actuellement, si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans les 40 jours suivants le dépôt d’un projet de loi de finances, le gouvernement peut saisir le Sénat. Après réforme, ce délai serait abaissé à 25 jours. Pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale, le délai passerait en revanche de 20 à 25 jours.

Si la réforme était adoptée, les dispositions du projet de loi de finances pourraient être mises en œuvre par ordonnance dans le cas où le Parlement ne se prononce pas sur le texte dans un délai de 50 jours (contre 70 actuellement).

Autre évolution notoire : le projet de loi de financement de la sécurité sociale pourrait être examiné en même temps que celui le projet de loi de finances, en « tout ou partie ». Une loi organique en fixerait les conditions.

« Frappé » par la « volonté de réduire le temps du débat parlementaire », le constitutionnaliste Didier Maus estime que cette restriction est « encore beaucoup plus forte que ce qu’on aurait pu imaginer au début de la Ve République ».

Benjamin Morel y voit surtout une « contradiction » avec l’objectif présidentiel de donner « plus de moyens d’action » aux parlementaires. « Il ne suffit pas de pouvoir agir, il faut avoir le temps d’agir, il faut qu’un parlementaire ait un minimum de délais pour aller au fond d’un texte, surtout un texte budgétaire ».

Encadrement du dépôt d’amendements

Si le gouvernement a abandonné la proposition explosive d’un contingentement du nombre d’amendements en fonction de la taille des groupes parlementaires, le projet de loi constitutionnelle comprend bien une restriction du droit d’amendement, à laquelle s’opposent plusieurs sénateurs. Ne seront « pas recevables » les amendements « sans lien direct avec le texte » (ce sont les cavaliers législatifs) ou qui sont « dépourvus de portée normative ».

« Là, on est dans des choses assez floues. La jurisprudence va être appliquée de manière discrétionnaire par les présidents des chambres et également le gouvernement », analyse Benjamin Morel. Alors que l’irrecevabilité financière des amendements est généralement prononcée par les commissions, « là le gouvernement se fait le censeur du droit d’amendement », ajoute-t-il.

Accorder plus de place à la fabrique de la loi en commission

C’était un point annoncé dès le congrès de Versailles, la révision constitutionnelle permettra de légiférer davantage en commission, toujours dans une logique d’ « efficacité » (donc de rapidité) du travail parlementaire voulue par le président de la République. Voulant s’inspirer de ce que le Sénat met en œuvre depuis la modification de son règlement en 2015, le gouvernement veut, grâce à l’article 4 du projet de loi constitutionnelle, pouvoir mettre en discussion en séance « tout ou partie » des textes qui auront été adoptés en commission « en présence du gouvernement ». Les conditions doivent être précisées dans le cadre d’une loi organique. Plusieurs interrogations demeurent en l’état : par exemple, un avenir pourra-t-il ou non être assuré en séance aux amendements rejetés en commission ?

La révision constitutionnelle s’annonce délicate. Ce sont autant de points qui devraient brusquer les parlementaires, et qui pourraient menacer l’adoption des dispositions consensuelles, comme la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ou la fin de la présence de droit des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel.


Voir en ligne : https://www.publicsenat.fr/article/...

   

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