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Le bilan du Manifeste PKWN (Comité Polonais de Libération Nationale ») et des réalisations de la Pologne Populaire – une première tentative de construction d’un État socialiste polonais

samedi 12 mai 2018 par Monika Karbowska

Le rôle du Manifeste du Comité Polonais de Libération Nationale dans la fondation de la République Populaire de Pologne.

C’est un paradoxe tragique que la réalisation d’un programme de gauche en Pologne n’a pu avoir lieu que suite à la catastrophe de la Seconde Guerre Mondiale et parce qu’une armée étrangère, celle de l’Union Soviétique, stationnait sur le territoire du pays. Le Manifeste du Comité de Libération National Polonais de juillet 1944 est le symbole de ce paradoxe. Il est document important de l’histoire la gauche polonaise. Toute l’histoire de la République Populaire de Pologne peut se résumer à la mise en place des actions annoncées dans ce texte. Mais il est ausi le symbole de l’arrivée de l’Armée Soviétique, de la mise en place d’un régime communiste non choisi par la population et de l’intégration forcée de la Pologne dans un bloc militaire et politique sous influence soviétique.

Certes, le Manifeste n’est pas le seul document de la Résistance anti-nazie annonçant la création d’une Pologne pour le peuple. Même l’Armée de l’Intérieur était consciente qu’il sera impossible de revenir au régime capitaliste et semi-féodal d’avant la guerre et a formulé un programme de transformation sociale visant à construire un système de« socialisme coopératif » (Drwęski 2014).

Mais les communistes ont effectivement réalisé qu’ils ont annoncé dans leur texte qui ne fut donc pas un catalogue de voeux pieux : la réforme agraire avec la terre donnée aux paysans, la construction d’une société de sécurité sociale, l’accès massif à l’éducation de tous les échelons, la construction des logements pour tous, et enfin « Une Pologne indépendante, aux frontières stables, un accès large à la mer, avec une politique étrangère basée sur la sécurité collective, une frontière orientale pacifiée et la coopération et l’amitié avec la Grande Bretagne, la France et les Etats Unis » (texte du Manifeste). Qui parmi les Polonais/es d’hier et d’aujourd’hui n’aurait il pas souhaitévivre dans un tel pays ?En commentant ce dernier extrait nous nous apercevons que le Manifeste ne prônait absolument pas la rupture des liens avec l’Occident mais au contraire une politique de coopération multilatérale !
La Pologne Populaire est allée plus loin dans certains domaines qui ne sont pas mentionnés dans le Manifeste. La séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’égalité des femmes et des hommes dans la famille et la société, le mariage civil et le droit au divorce dès le décret du 25 septembre 1945, l’égalité des enfants nés dans le mariage et hors mariage, le code de la famille égalitaire de 1960 ne figurent pas dans le Manifeste alors qu’ils constituent une des réalisations les plus remarquables de la politique modernisatrice de la Pologne Populaire. C’est un héritage dans lequel nous vivons en grande partie aujourd’hui malgré les assauts des cléricaux et conservateurs de tous bords.
Que pensaient les Polonais de 1989 du Manifeste du Comité de Libération National ?
Dans la République Populaire de Pologne, le 22 juillet, date du Manifeste du Comité de Libération Nationale, était le jour de Fête Nationale. Au coeur de l’été et des vacances les citoyens se pressaient plus aux fêtes foraines qu’ils ne se posaient de questions existentielles sur le rôle de cette date historique. En effet, un certain consensus règnait : le Manifeste était vu comme le début d’une nouvelle ère historique, celle d’une Pologne moderne et juste. Même l’opposition de Solidarnosc se gardait de critiquer le Manifeste, tellement les acquis de la Pologne Populaire semblaient alors inattaquables. Plus, mis à part l’extrême droite « nationale chrétienne » qui fustigeait déjà le droit à l’avortement comme « destruction de la substance nationale polonaise », les opposants de Solidarnosc voyaient leur combat comme une consécration de la modernisation débutée en 1945. La liberté d’expression et d’association ainsi que les élections véritablement libres devaient être l’aboutissement d’une marche vers la modernité polonaise. Ce n’est pas si étonnant si on se rappelle que le Manifeste annonçait en 1944 le retour à la Constitution libérale et démocratique de 1921. C’est précisemment parce que l’opposition de Solidarnosc n’avait jamais ouvertement prôné la destruction des acquis de la Pologne Populaire que l’imposition du capitalisme néolibéral fut un tel choc, appelé même par ses artisans « le choc de la transformation ». Cependant même encore à l’orée des années 2000 les libéraux voyaient dans la Pologne Populaire une espèce d’époque « d’absolutisme éclairé » précédent la « Révolution » démocratique de 1989. Le discours étatique actuel imposant de penser que la Pologne Populaire fut un « régime communiste criminel » est un phénomène nouveau, surprenant même alors queplus le temps passe plus notre expérience concrète de cette période historique s’éloigne.
La Pologne en 1944 et l’histoire du Manifeste
Au moment de la publication de Manifeste, l’offensive soviétique libérant le territoire polonaise des nazis venaient de débuter. L’ampleur des destructions matérielles, humaines et morales dues aux nazis n’était pas encore connue. On ne se rendait pas encore compte de l’Holocaust, l’anéantissement des 3 millions de personnes composant la commaunauté juive polonaise. Le texte reflète donc une vision trop optimiste des Libérateurs et des communistes polonais sur la capacité de la Nation à se régénérer et à construire un avenir radieux alorsque le nazisme était loin d’être vaincu. La deuxième tare du Manifeste, celle qu’on lui reproche le plus aujourd’hui, est qu’il fut écrit à Moscou pour être publié à Chelm, première ville libérée par les Soviétiques sur la ligne Curzon. Le Comité de Libération Nationale Polonais émanait du Conseil National Polonais KRN, embryon d’un gouvernement polonais pro-soviétique voulu par Staline. Mais à l’époque cela n’avait rien de scandaleux , les Alliés s’étaient en effet mis d’accord lors des diverses négociations que l’ouverture du front occidental le 6 juin 1944 s’accompagnerait de création de Comités de Libération dans tous les pays libéréset englobant toutes les forces antifascistes de chaque nation.
De même il est de bon ton aujourd’hui de dénoncer le fait que le Manifeste proclamait l’illégitimité du gouvernement en exil à Londres. Mais c’est oublierque pour les Polonais de 1944, ce gouvernement issu de la Constitution d’avril 1935 imposée par un coup d’état militaire n’étaient pas vraiement légitime. Le rétablissement de la légimité démocratique passait par le rétablissement de la Constitution de 1921 bafouée par les colonels de Pilsudski. De plus, de nombreux Polonais, s’ils reconnaissait au gouvernement en exil le mérite d’avoir mené la Résistance avec l’Armée de l’Intérieur, s’interrogeait sur la responsabilité des colonels au pouvoir en 1939 dans la rapide défaite et la solitude de la Pologne face à Hitler.
Le Manifeste PKWN pose déjà les frontières de la nouvelle Pologne en discussion alors par les Alliés : la ligne dite « Curzon » à l’Est, du nom du diplomate britannique qui voulait l’imposer aux Polonais au Traité de Versailles, et les rivières Oder et Neisse à l’Ouest. Les détracteurs de la Pologne Populaire se gardent bien de critiquer ces frontières dont nous avons héritées, dans lesquelles nous vivons et dont l’Union Européenne a fini par s’accomoder en 1990 lors de la signature du Traité « 2 plus 4 » – Allemagne réunifiée et les quatre Puissances vainqueurs de la guerre. Les silences d’aujourd’hui masquent ainsi la lutte ardue menée par la Pologne Populaire et ses alliés pour la reconnaissance de cette frontière. En 1958 lors des premières négociations de Charles de Gaulle avec Konrad Adenauer, le Chancellier allemand a brossé au Président français l’avenir d’une Pologne croupion, qui deviendrait « un espèce de protectorat des Nations Unies » (Documents diplomatiques Français depuis 1954. Vol 12, 1958 : N°156, 26.11.1958). De Gaulle n’a jamais acquiescé à ce programme et a toujours défendu la frontière Oder – Neisse. C’est pour cette raison qu’il a été aussi populaire auprès des dirigeants et du peuple polonais. Cet exemple montre que la propagande communiste sur le « revanchisme » allemand recouvrait une certaine réalité.
Du côté de la frontière orientale nous savons aujourd’hui par les travaux d’Ewa et Władysław Siemaszko,que l’armée des nationalistes ukrainiens de OUN UPA forte de 10 000 hommes poursuivait impitoyablement le génocide des populations polonaises en Wolhynie et que ces populations n’ont dû leur salut qu’à l’arrivée de l’Armée Soviétique. L’URSS mis presque 10 ans à nettoyer ce territoire des „soldats de la forêt » bandéristes. Jamais la République Polonaise, quelle qu’en soit son regime, n’aurait été capable de venir seule à bout des fascistes ukrainiens si elle avait dû gérer ce territoire. Ces faits montrent que les frontières de la République Populaire de Pologne sont donc les meilleurs frontières dont la Pologne dispose de toute son histoire, des frontières qui à la fois protègent la Pologne de l’expansionnisme de ses voisins tout comme elles protègent les pays voisins du nationalisme traditionnel polonais.
Les Alliés Occidentaux concèdèrent à l’URSS la nécessité pour ses intérêts d’avoir comme voisin un « gouvernement polonais ami ». C’est dans le cadre de ce compromis que nait le Gouvernement Provisoire de laRépublique de Pologne fin juillet 1944. Il est matérialisé par le voyage à Moscou de Stanislaw Mikolajczyk, chef du Parti Paysan à Londres. Mikolajczyk accepte de participer au gouvernement d’Osobka Morawski suite aux amicales pressions de Churchill (Czubiński 1992 : 21). Pendant les négociations à Moscou la direction de l’Armée de l’Intérieur donne l’ordre de l’insurrection de Varsovie. Pour tous les chefs de la Résistance en Europe, cette insurrection dont le but est de libérer la capitale polonaise toute seule afin d’accueillir Staline en vainqueur, n’a aucune chance et va aboutir à un véritable génocide de la population civile et la destruction totale de la cité. L’insurrection de Varsovie est le symbole de ce qu’il ne faut pas faire comme l’exprime le chef des FFI français Jacques Chaban Delmas pour qui l’essentiel est d’éviter que « Paris ne devienne Varsovie »(Levisse-Touzé C2010).
Le gouvernement de compromis est formé le 31 décembre 1944 et il est rapidement reconnu par les capitales des pays libérées du nazisme et n’ayant pas collaboré, principalement alors Prague et Belgrade, mais aussi par la France du Général de Gaulle. Lorsque l’Armée Soviétique et l’Armée Polonaise entrent à Lublin et que le Comité de Libération Nationale crée immédiatement les structures d’administration locales, les Conseils Nationaux, de très nombreuses structures clandestines sortent de l’illégalité : les partis politiques, les syndicats, les organisations de partisans paysans, les associations de jeunesses paysannes et l’Association de Luttes des Jeunes. Une vie civile et politique renait malgré toutes les difficultés, la peur, les destructions, la faim… Mais l’espoir est bien présent et ce sont des faits, même si la droite nationaliste y voient « une trahison horrible de la nation polonaise » tandis que la gauche socialiste et communiste les qualifie de « ‘véritable révolution nationale et populaire ».
Après 45 ans de Pologne Populaire et 27 ans de Pologne capitaliste il est bon de s’interroger qui étaient ces Polonais batisseurs des structures du nouvel Etat ? Combien et qui étaient ceux qui ont cru honnêtement construire une Pologne socialiste et voyaient en elle une chance d’émancipation sociale et personnelle ? Les Polonais d’aujourd’hui ne sont majoritairement pas originaire de la noblesse mais des familles paysannes de 1945. Chacun a dans son histoire familiale au moins un/e personne qui avait entre 15 et 25 ans en 1945-50 et a profité de la Libération pour rejoindre l’Armée Populaire Polonaise, les associations de jeunesses ou les Bataillons du Travail pour fuir un village misérable et une famille patriarcale et faire sa vie en ville, finir une scolarité, exercer un métier, obtenir un appartement, se marier avec un partenaire de son choix et construire une vie autonome. Si une recherche historique débarassée d’idéologie anti-communiste se penchait sur ces biographies individuelles, il s’avérerait que la Libération a apporté à des millions de Polonais une énorme, une inouie mobilité sociale vers une vie meilleure, indépendemment du fait que ces personnes aient cru ou non au communisme.
La réforme agraire – la plus grande réalisation de la Pologne Populaire naissante
L’acte le plus important et historique du Comité Polonais de Libération Nationale fut le décrit du 6 septembre 1944 portant sur la réforme agraire. Ce décret organisait la distribution des terres appartenant à l’aristocratie terrienne aux paysans sans terre en stipulant simplement que toute famille ne peut posséder plus de 50 ha de terre agricole. Ce décret mit fin à 100 ans de luttes intenses du mouvement paysan et de l’intelligentisa progressiste pour la fin de la misère des campagnes et l’inégalité de classe. Enfin, ceux qui travaillaient la terre eurent accès à ce premier moyen de production. Ainsi la Pologne Populaire fonda sa légimité primitive sur la réalisation de la plus vieille revendication paysanne et sur l’abolition des structures féodales prévalant encore dans cette région d’Europe.
L’acte fondateur de la Pologne Populaire est donc la mise à mort du rôle politique, social et économique de la noblesse, sans toutefois devoir liquider physiquement cette classe sociale -même si on ne peut s’empécher de penser que les déportations en Sibérie de réprésentants de la classe féodale par l’Union Soviétique au moment de l’occupation des territoires orientaux de la Pologne en 1939 ont indubitalement joué ce rôle et facilité plus tard la tâche aux communistes polonais. La parcellisation des latifundiums est encore de nos jours le principal objectif des luttes forces progressistes en Amérique Latine, dans des pays comme l’Indeou certaines régions d’Afriques. En Pologne les paysans ont accédé à la justice historique grâce à la Pologne Populaire.
Ce fait est à la fois indubitable et honteusement tu. Indubitable car tous les Polonais ont dans leur arbre généalogique quelqu’un qui a profité de la réforme agraire. En conséquence, toucher à ce décret, le critiquer comme “un crime communiste” a longtemps été tabou. L’opposition même la plus radicale ne pouvait annoncer qu’elle allait abolir la réforme agraire et rendre la terre aux féodaux. Si cela avait été le cas, les paysans, qui comptaient encore pour 30% des Polonais en 1989, auraient chassé les impudents “réformateurs” avec leurs fourches légendaires ! Ne pouvant affronter les paysans, les ultralibéraux ont détruit la force politique indéniable de la paysannerie polonaise par d’autres moyens : en l’exposant à la concurrence mondiale dès 1990 et en organisant la faillite des exploitations familiales avec la Politique Agricole Commune. Mais la gauche et les partis paysans ne sont pas innocents : la Pologne Populaire a commis l’erreur de ne pas être fière de sa réforme agraire, de ne pas financer de travaux historiques sur cet événement politique. L’absence de discours de valorisation de la politique communiste vis à vis des paysans a conduit aux idées erronées répandues dans les années 80 sur le theme que la réforme agraire se serait faite “toute seule” comme “un mouvement autonome de l’Histoire”. Il n’en était rien, comme on peut le voir avec la reféodalisation grandissante des campagnes polonaises – la reconstitution de grandes propriétés terriennes aux mains de politiciens oligarques ou d’entreprises occidentales.
Il est intéressant de remarquer que la noblesse polonaise n’a pas combattu le décret de réforme agraire car elle était consciente que son rôle historique de possédant était fini. Même si in fine les familles de propriétaires n’ont pas gardé 50 mais au plus 3 à 6 ha du fait de la pression exercée par les communistes dans les villages, le capital culturel possédé leur a largement permis d’accéder à des positions sociales enviables dans une nouvelle société en pleine mobilité. Ils et elles sont devenues professeurs d’université, médecins, chercheurs, personnalités de la culture et en réalité ce n’est pas de leur rang qu’est sortie la plus grande contestation du régime communiste. Si la restauration capitaliste n’avait pas été un processus aussi brutal et destructeur qu’elle le fut, il est fort possible que les antagonismes de classe historiques eurent pu appartenir au passé après la démocratisation de 1989 et ainsi la Pologne aurait pu devenir un Etat à la légimité politique incontestable et une nation relativement unie.
En janvier 1945 le gouvernement estima que la réforme agraire a été un succès avec 262 000 familles paysannes qui accédèrent à 900 000 ha de terre. 9327 latifundiums furent divisés entre 1,7 millions de paysans sans terre. Mais si les paysans pouvaient avec une exploitation de 6ha faire vivre une famille de 5 à 8 personnes, ils furent très vite mécontents de l’imposition de livraisons obligatoires à prix fixes imposées pour nourrir les villes et naturellement des tentatives de collectivisation entreprises de 1950 à 1953. (Czubiński 1992 : 35).Hélas, les paysans n’ont donc jamais réellement soutenu la Pologne Populaire malgré la constructionde services publics dont ils furent les bénéficiaires dans les années 50 et 60 : éléctrification des villages, construction de système d’adduction d’eau potable, accès gratuit à l’école et à l’université pour les enfants de paysans, construction d’hôpitaux, de centres médicaux, de routes, de centres culturels, de bibliothèques, de transports publics… Jusqu’en 1989 exista un programme “d’affirmative action” à la polonaise avec des “points pour l’origine” que les étudiants issus de familles paysannes et ouvrières obtenaient pour accéder plus facilement à l’université et compenser le niveau moindre des lycées de province… Plus d’un manager d’une grande société occidentale en Pologne et plus d’un businessmen fier de lui doivent leurs études supérieures dans les université communistes à ce programme social.
Construction des structures de la République Populaire de Pologne et consolidation de ses fontrières
La consolidation des structures du nouvel Etat “ami de l’Union Soviétique” ne s’est pas faite uniquement par les réformes sociales auquelles aspiraient la population polonaise. Elle a aussi été marquee par une politique repressive organisée contre les opposants. Après la dissolution par décret de toutes les structures de la Résistance non intégrées à l’Armée Populaire Polonaise, ceux qui refusent le pouvoir du gouvernement provisoire dirigé par les communistes seront pourchassés comme criminels. Les “soldats maudits” vivant dans les bois perdent également leur aura de résistants en commettant des crimes sur les civils. Le 6 octobre 1944 est crée la Milice Citoyenne, police du nouveau régime doublée par l’appareil du Service de Sécurité UB formé par les hommes du NKWD aux méthodes expéditives. Staline ne s’embarrasse pas sur ses arrières de l’existence d’une opposition armée polonaise : dès juillet les dirigeants de l’Armée de l’Intérieur Okulicki et Puzak sont invités à Moscou pour des négociations et c’est à Moscou qu’ils sont jugés et exécutés. Ajoutons à cela que nombres d’officiers de l’appareil repressif appartenaient aux minorités discriminées par la Pologne d’avant guerre (Juifs, Ukrainiens…) on comprend aisément que la Pologne Populaire souffrait dès son début d’un manque de légimité incontestable malgré la popularité du résistant de l’Intérieur Gomulka et sa critique précoce des méthodes staliniennes (Czubinski 1992 : 18-19, Lesiakowski 1996, Friszke 1994).
Les gouvernements successifs de la République Populaire de Pologne répétèrent pendant des décennies de propagande leurs états de services concernant la consolidation des frontières polonaises, la récupération des “territoires de l’Ouest” que les Alliés attribuèrent à la Pologne de concert avec Staline comme dommages de guerre pris sur les Nazis, la mise en valeur de ces “terres recouvrées”… Mais rien de tout cela ne put effacer le péché originel d’avoir été “apporté avec les baionnettes russes”. Le mythe de Jalta fut exploité abondamment par les médias occidentaux et adopté avec enthousiasme par les nationalistes polonais. Selon ce mythe les Occidentaux auraient cru à Jalta que Staline laisserait la démocratie s’intaller en Pologne et auraient été pris au dépourvu par la trahison de celui ci. En réalité les sources montrent qu’outre le fait qu’à Jalta rien n’a de particulier n’a été décidé pour la Pologne, les chefs occidentaux comme Churchill s’accomodaient parfaitement d’un régime semi-dictatorial et autoritaire qu’ils jugeaient, selon les préjugés racistes de leurs classe, adéquat pour des populations barbares de l’Europe de l’Est, à l’image du régime fasciste que Churchill installe en Grèce dans sa propre sphère d’influence. La Conférence de Jalta ne montre rien d’autre que la place périphérique et subordonnée de pays comme la Pologne dans le système politique impérialiste de l’Occident. En 1945 les Occidentaux se mettent juste d’accord avec la Russie sur la façon dont les puissances vont gérer lesdits barbares. En 1988 l’un des acteurs du processus, l’Union Soviétique, se retire du compromis et la Pologne retrouva la place qu’elle n’avait jamais quitté pour la bourgeoisie occidentale : fournisseur de main d’oeuvre bon marché, de matières premières et terrain de jeu pour conquérir la Russie pacifiquement ou militairement.
Le problème est que les élites polonaises de 1989, qu’elles soient communistes ou issues de Solidarité, entretiennent l’illusion d’un peuple polonais souverain qui aurait crée une démocratie en négociant autour de la “Table ronde” et aurait ainsi décidé souverainement de son avenir. Rien n’est plus faux. Aujourd’hui nous connaissons bien mieux l’influence des fondations étrangères, think thanks, lobbistes de multinationales occidentales qui ont déversé des millions de dollars sur ces élites pour leur faire accepter l’imposition du capitalisme neolibéral. Cette illusion a été payée au prix fort par les classes populaires polonaises par le chômage de masse, la destruction du tissue industriel, des services publics, la déclassation, la misère et l’émigration de masse. (Kozłowski 2011, Dakowska 2014)
Education et culture enen Pologne Populaire
Jusqu’aux années 2010 la majorité des Polonais étaient convaincus que l’éducation et la culture étaient des domaines de grande réussite de la République Populaire de Pologne. Dans les années 90 la privatisation programmée de l’éducation était soigneusement cachée par les nouvelles élites tellement cette perspective était inenvisageable par le public. L’éducation pour tous gratuite, laïque et publique était une decision du Comité de Libération National et une des plus grande oeuvre de la Pologne Populaire. Concrètement l’école se composait de 8 ans de cursus primaire et de 3 à 5 ans de cursus secondaire, tous les deux gratuits et obligatoires. L’éducation secondaire était composée d’écoles professionnelles de 3 ans, de lycées avec baccalauréats professionnels ouvrant droit aux études supérieures et de lycées de 4 ans avec baccalauréats généraux. A cela il faut ajouter la formation professionnelle pour adultes et les campagnes d’aphabétisation des années 50 et 60, la création de Lycées pour Instituteurs pour l’instruction primaire, l’ouverture massive de crèches et d’écoles maternelles. Un héritage de cette oeuvre est la persistance dans la Constution polonaise actuelle du droit à l’instruction garanti jusqu’à l’âge de 18 ans alors que ce droit ne dépasse pas 16 ans dans les pays occidentaux.
La République Populaire de Pologne a construit continuellement des écoles pendant les 45 ans de son existence, mais la croissance a été particulièrement spectaculaire au début du régime : de 300 écoles en 1945 on passe à 5666 écoles ouvertes en 1946 et 1601 en 1947. (Czubiński 1992 : 89). La Pologne Populaire a aussi ouvert des nouvelles universités et écoles polytechniques, dans les Territoires de l’Ouest mais aussi dans les régions de l’Est particulièrement pauvres, en nationalisant nombres de batiments de congrégations religieuses et des châteaux de la noblesse. Le symbole fut très fort de voir les enfants de paysans étudier dans les demeures de leurs anciens maîtres, tellement fort que le régime capitaliste ne put reprivatiser ces bâtiments immédiatement en 1989. Il a dû ruser avec l’indignation populaire face à l’expulsions de ces écoles hors de leurs murs et s’appuya sur les réglementations de l’Union Européenne et sur les arguments de dénatalité pour les fermer.
Les classes populaires accomplirent ainsi un saut civilisationnel inédit : le départ des enfants de paysans pour faire des études en villes constituait une amélioration majeure de leur statut social et une condition importante du soutien des campagnes au régime. De son côté les autorités avaient besoin de spécialistes pour l’industrie et les services qui furent le moteur de l’industrialisation et de la modernisation du pays. La croissance économique dynamique assura ainsi des emplois et une carrière professionnelle appreciable aux jeunes diplômées. Lorsque vint la crise des années 80 le enfants élevés dans la mythologie de l’ascension sociale de la Pologne Populaire n’arrivaient pas à admettre que cette situation de plein emploi étaient une période exceptionnelle qui ne se répèterait plus en Europe (Kozłowski 2011).
Une des force de la politique communiste fut d’accompagner l’exode rural par le développement dynamique de la culture et l’organisation massive de l’accès des populations à celle ci. Dès la fin de la guerre des dizaines de périodiques, des journaux, de nouvelles stations de radios furent créés, on fonda la société de production “Film Polski” et la Télévision Polonaise. Entre 1945 et 1970 des dizaines de maison d’édition virent le jour, d’innombrables cinémas, théatres, biblitothèques, salles de lecture, centres culturels. Les élèves, les étudiants et les travailleurs étaient incités à fréquenter ces endroits. Cette politique active d’organisation des loisirs culturels n’avait pas d’équivalent dans les Etats capitalistes du même niveau de développement. Dans les entreprises les comités de travailleurs organisaient des excursions touristiques pour que la population, qui jusqu’alors ne voyageait
que pour chercher du travail, apprenne à découvrir les beautés de sa patrie, les villes, les monuments, les paysages. Le tourisme devait toujours en effet être lié à la culture et à la découverte. Si aujourd’hui nous aurions tendance à voir dans ces incitations une “biopolitique” de contrôle des esprits, en réalité pour la plupart des citoyens polonais les loisirs, les sorties, les bals, les visites de monuments et les voyages dans la montagne et à la mer étaient quelque chose de tout à fait nouveau, accessible en 1939 uniquement pour les plus riches. Aujourd’hui la fréquentation des lieux culturels a drastiquement baissé en Pologne et les loisirs créatifs ainsi que les vacances sont à nouveau l’apanage des plus fortunés – preuve que seule une politique volontariste peut empécher la regression culturelle des classes populaires, aujourd’hui condamnées à rester devant les jeux vidéos et les reality show à la télévision.
Illusions aveugles et victoires illusoires
“Nous sommes les hôtes de ces lieux. Une fois le pouvoir conquis, nous ne le rendrons plus jamais” – cette phrase prononcée par Wladyslaw Gomulka en 1946a aujourd’hui un goût bien amer. Car les communistes ont renduen 1989 pacifiquement leur pouvoir à leurs ennemis croyant naivement que la population avide de démocratie, de transparence et d’honnêteté reconnaitra et sauvegardera l’essentiel de leur oeuvre. Certes, la fraude électorale organisée pour gagner le référendum de 1946 apparait comme absurde compte tenue de la légitimité dont jouissaient les actions réelles des autorités, la reconstruction du pays, les réformes sociales et la paix. Ces manipulations ainsi que la répression aveugle des révoltes ouvrières de 1970 et 1976 discrédita les élites du régime. Aujourd’hui les mouvements socialistes des pays du Sud ont analysé ces erreurs et ont compris que la construction du socialisme ne peut se faire sans légimité démocratique.
La véritable tragédie de Pologne Populaire est que tant que vivaient les générations habituées à une gestion politique autoritaire traditionnelle, le régime ne souffrait pas de grandes contestations. Mais lorsque la première génération grandie dans le confort socialiste arriva à maturité, elle réclama “les roses en plus du pain” – la démocratie. Dans cette brèche ouverte se précipitèrent les ennemis du socialisme et “la génération de Solidarnosc” prépara ainsi le retour des capitalistes occidentaux sur les bords de la Vistule. De plus les communistes des décennies 70 et 80 étaient à l’image de l’ensemble de leur société : leur formation marxiste étaient superficielle et leurs valeurs celles de l’individualisme et du consumérisme. Ils contribuèrent donc au retour du capitalisme au lieu de défendre les acquis de la Pologne Populaire.
Les communistes polonais n’ont hélas pas non plus su combattre l’idéologie nationaliste ancrée dans le pays. En organisant en mars 1968 la campagne antisémite qui se solda par le départ et l’annulation de la citoyenneté de 12 000 cadres de l’Etat d’origine juive, souvent les plus fidèles à la Pologne Populaire, le Parti Ouvrrier Unifié Polonais ouvrit une brèche pour sa destruction programmée (Starnawski 2017). Dans les années 80 le parti et l’Etat ne menait pas vraiment de lutte active contre le fléau du racisme et de l’antisémitisme. L’Etat laissait même descongrégations religieuses et des paroissses catholiques imprimer des textes antisémites et les diffuser dans des magazines comme “Rycerz Niepolakanej” (archives privées). Dans les années 50 et 60 cependant l’Etat communiste n’a rien cédé à l’Eglise sur le terrain de la construction d’une société laïque (retrait de la religion des écoles, droits des femmes, code de la famille égalitaire..). Il a meme su s’allier avec une frange patriotique du clergé pour accompagner la colonisation polonaise des territoires obtenus sur l’Allemagne, car sans la présence de l’Eglise les croyants n’auraient jamais cru en la pérennité du pouvoir
polonais sur ces regions. L’Etat a alors su ménager le sentiment religieux des citoyens sans céder ses intérêts au Vatican. Il en a été autrement en 1985-89 lorsque Jaruzelski négociait avec les dirigeants de Solidarnosc par la médiation du primat de l’Eglise Glemp. Cette immixion de l’épiscopat devint tellement régulière qu’elle fut officialisée par la création d’une institution illégale au regard de la Loi polonaise : la Commission Commune de l’Etat et de l’Episcopat. Ce groupe informel composé d’évêques et de politiques se réunit tous les 3 mois depuis 1989. Les représentants de l’Etat y informent les évêques de tous les projets de lois touchant les femmes, les enfants et l’Eglise. Ainsi cette dernière possède un pouvoir exhorbitant sur la vie des citoyens polonais et en a profité pour des interdire l’avortement en 1993, empécher toute politique d’éducation sexuelle moderne, limiter le droit au divorce et bien entendu s’enrichir en récupérant l’équivalent de 6 milliards de Zlotys de bien immobiliers nationalisés. En 1995 la signature du concordat par le président socio-libéral Kwasniewski sonna le glas de l’oeuvre de la Pologne Populaire en matière de laïcité.
La Révolution de 1956 et ses conséquences en Pologne Populaire
Le soulèvement populaire d’octobre 1956 qui a amené au pouvoir Wladyslaw Gomulka et amorcé une profonde déstalinisation du système a toujours eu une bonne presse, même après la chute du système communiste et même parmi les historiens de droite. L’opinion publique, les historiens, les journalistes louaient la critique du “stalinisme” et même l’authenticité du movement des comités ouvriers pour l’autogestion. Ce qu’on ne disait pas, c’est que Gomulka fut soutenu par la Chine Populaire de Chou en Lai qui convainquit l’Union Soviétique de ne pas intervenir (Drweski 2017).
La première generation de l’intelligentsia issue des classes populaires exigeait la liberté d’expression, l’indépendance de l’Etat face à son puissant allié, tandis que les ouvriers organisaient des comités d’autogestion dans leurs entreprises. Dans les années 80 jusqu’à la fin des années 90 les historiens et les politiciens de droite voyaient dans 1956 un évenement précurseur de Solidarnosc car celle-ci se présentait comme un mouvement en faveur de l’autogestion. D’autre part, l’analyse des documents des Organisations de Bases du Parti -POP- montrent que les membres de ces organisations de masse croyaient construire une une société socialiste en mettant en pratique l’augestion ouvrière (Karbowska 1995 : 12-13). De ces documents se dégage la foi d’un peuple qui exprime l’idée que la Pologne peut devenir un Etat appartenant réellement au peuple. En ce sens l’Octobre polonaise est plus proche de du Printemps de Prague que de l’insurrection anticommunist de Hongrie. Ce qui rapproche Octobre 1956 des mouvements 68 est l’apparition d’un discours personnel : l’individu, jusqu’à présent inexistant car intégré dans une famille ou un collectif, commence à dire “je” et à exprimer ce qu’il pense sans se préoccuper du rôle social qu’il est censé jouer. Il apparait que la volonté de se libérer des contraintes des normes sociales et de la domination hiérarchique est le résultat de la dissolution de la société traditionnelle patriarcale qu’entraine l’industrialisation et l’urbanisation massive conduites par les communistes polonais depuis 1945 (Bratkowski Red 1996, Friszke 1994).
Aujourd’hui, certains analystes de gauche (Szumlewicz, Fidelis) estiment que le soulèvement de 1956 ne fut pas un progrès mais une régression notamment pour les femmes. En effet le gouvernement de Gomulka a abandonné l’objectif de l’émancipation des femmes par leur entrée dans les secteurs de travail “masculin” et a promu la cantonnement des ouvrières dans des branches d’industried décrétées “féminines” dans lesquelles le système n’investissait que peu et qu’il rémunérait faiblement. De même, une fois le “stalinisme” fini, il n’a jamais plus été question de politique de partage des tâches ménagères et c’est ainsi que les Polonaises se
sont retrouvée à faire la “triple journée” – emploi, ménage et éducation des enfants jusqu’à la fin de l’existence de la Pologne Populaire. Contrairement à l’Union Soviétiques les femmes de la Pologne Populaire n’ont jamais eu accès aux métiers prestigieux, aux honneurs civils et militaires et aux postes à haute responsabilités et grand pouvoir. La stagnation était particulièrement visible dans ce domaine dans les années 80 : que l’ont songe que dans cette dernières décennies, alors que le pays ne manquait pas de femmes diplômées et compétentes, le Comité Central du POUP ne comptait aucune femme ! Oubliant les principes marxistes d’émancipation de l’individu et doncde la femme, le système a creusé sa propre tombe. En effet ces anomalies ne passaient pas inaperçues aux yeux des jeunes générations qui les comparaient au capitalisme avancé occidental et ne manquaient pas d’en tirer la conclusion que ce dernier est plus progressiste. Pire, il advint que les femmes nées en Pologne Populaire et bénéficiaires de toutes les avancées ne s’indentifiaient plus à l”Etat et par conséquent ne l’ont pas défendu en 1989. Par leur attitude largement passive les Polonaises ont permis non seulement la reconquête capitaliste mais également le retour du patriarcat clerical. Elles ont donc été les premières à perdre leurs droits comme le droit à l’avortement, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’école laïque et le mariage civil. Si certaines femmes, dont l’auteure de ces lignes, ont organisé l’important mouvement pour la défense de l’Etat laïque et contre l’interdiction de l’IVG dans les années 1989-1992, leur initiative était trop faible pour stopper le bulldozer des “transformations” voulues par les puissances occidentales associées au Vatican. Par ailleurs, nos consoeurs plus âgées, dirigeantes éminentes de Solidarnosc de 1981 à 1989 comme Anna Bikont, Helena Luczywo, Joanna Szczesna ont préparé le terrain de notre défaite en aidant le syndicat à survivre à la clandestinité et puis à détruire les conquête de l’Etat socialiste (Shana Penn).
Les réalisations de la Pologne Populaire dans le domaine de la politique étrangère
Parmi les oeuvres positives de la République Populaire de Pologne il importe de mentionner un domaine rarement évoqué : la politique étrangère. Pourtant ce sont les communistes “gomulkistes” qui sous l’égide de Zygmunt Modzelewski, – important militant communiste d’avant guerre et père du futur dissident de gauche Karol Modzelewski- ministre des affaires étrangères dans les années 1945-51, ont reconstruit le Ministère des Affaires Etrangères et l’ont tranformé en une institution résolument moderne. Zygmunt Modzelewski a gardé dans le giron de l’institution une partie des anciens cadres d’origine noble afin qu’ils forment le nouveau personnel provenant, pour la première fois dans l’histoire de la Pologne, directement des classes ouvrière et paysanne. Les diplomates expérimentés enseignaient aux nouveaux venus non seulement le droit international et consulaire, mais aussi les secrets du protocole, les us et coutumes du milieu, les langues étrangères ainsi que le savoir vivre. Un autre élément de l’efficacité du système fut l’embauche dans le nouveau ministère de jeunes issus de l’émigration polonaise en France et en Belgique. Ces Polonais ont apporté au ministère une haute conscience politique car ils et elles étaient souvent des militants chevronnés d’organisations communistes occidentales, parfois d’anciens membres actifs de la Résistance anti-nazi dans ces pays. Ces jeunes fonctionnaires francophones ont fait preuve d’une grande loyauté vis à via de la Pologne Populaire qui leur a permis de faire de brillantes carrières. Avant que la Pologne Populaire ne forment ses propres élites, les “Français polonais” furent un pilier de la reconstruction des structures du Ministère des Affaires Etrangères. Souvent membres du POUP, leur départ à la retraite coincida avec la fin de la Pologne Populaire (Karbowska : archives privées – témoignages de Adam Karbowski, Maria Borucka Garstka, Sylwester Garstka, Halina Matejczuk).
En arrivant au pouvoir en octobre 1956 Gomulka et son gouvernement ont repris le cours de la politique étrangère débuté en 1945 et interrompu par le stalinisme et la guerre froide imposée par l’Occident. Naturellement, le socle de cette politique reposait sur l’alliance vitale avec l’Union Soviétique, mais cette alliance devait être basée sur la réciprocité. C’est ainsi que Gomulka a rapidement obtenu la signature d’une accord bilateral avec l’URSS encadrant le fonctionnement les bases militaires soviétiques en Pologne. Dans le cadre de cet accord les soldats soviétiques étaient soumis aux juridictions polonaises ce qui devait faire taire les susceptibilités nationales des élites intellectuelles qui restaient dans les années 60 dans le giron idéologique de la droite nationaliste. Les Gomulkistes voulaient également renforcer le Pacte de Varsovie en tant qu’alliance multilatérale ainsi que le COMECONen tant que bloc économique de coopération mutuellement profitable (Czubiński 1992 : 333-341).
Pour les communistes polonais, l’alliance avec les pays socialistes était évidente pour des raisons idéologiques mais également en raison des intérêts bien compris de la Pologne car seule l’Union Soviétique garantissait l’intangibilité de la frontière occidentale ainsi que l’accès à des marchés du même niveau de développement de forces productives. Même pour les Polonais aux opinions nationalistes, la Pologne en ruine ne pouvait survivre en ne comptant que sur le seul pays occidental favorable à ses frontière, la France, d’autant plus que la France sortie de la guerre considérablement affaiblie. Il ne faut jamais oublier que dans la première phase de la guerre froide de 1950 à 1955 et de la fondation de la République Fédérale d’Allemagne, les Etats Unis et la Grande Bretagne soutenaient le point de vue ouest allemand et plus ou moins ouvertement remettaient en cause la frontière Oder-Neisse. Il est visible que dans les années 1945-1972 l’Occident ne soutenait pas les intérêts vitaux de la Pologne. Tant que sur le territoire allemande l’idée de retour aux frontières de 1937 restait vivante et constituait même le socle idenditaire de la nouvelle Allemagne d’Adenauer, la Pologne n’aurait pas pu défendre seule ses intérêts face à un pays rapidement reconstruit et lourdement remilitarisé par ses alliés anglo-saxons. Le peuple polonais, y compris sa composante nationaliste, restait traumatisé par l’invasion hitlérienne et il appuyait les alliances avec les pays qui avaient vécu le même cauchemar et cherchaient à se prémunir du “revanchisme allemand”. Wladyslaw Gomulka garantissait que l’alliance avec l’URSS ne soit pas une simple soumission parce que Gomulka cherchait à maintenir et à développer les relations avec l’Europe Occidentale et également, tant que cela n’obérait pas ses relations avec les soviétiques, avec la Chine (Drwęski 2017).
L’année 1956 débute une période de détente internationale. La déstalinisatioon de Khrouchtchev, le fiasco de la dernière expédition coloniale de l’Occident (l’attaque sur l’Egypte au moment de la nationalisation du canal de Suez), le changement générationnel des élites au pouvoir en Occident, les progrès rapides de la décolonisation, tous ces élements concourrent à la volonté de paix qui se fait jour parmi les peuples du continent européen et force les dirigeants à des compromis. L’arrivée du Général de Gaulle au pouvoir en France dans le cadre dramatique de la guerre de décolonisation de l’Algérie inaugure une nouvelle politique française d’indépendance face à la puissance états-unienne. De plus, de Gaulle était respecté en Europe en tant que leader de la France libre, ayant mené son pays à la position de vainqueur de l’Allemagne nazie, cofondateur des Nations Unies et membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. La Pologne qui entretient avec la France une relation spéciale depuis le 18ème siècle ne pouvait manquer une occasion aussi particulière de renouer et rénover cette vieille relation. L’amélioration rapide des relations entre la France et la Pologne, malgré leur appartenance aux deux blocs militaires ennemis commence dès 1956 sous l’impulsion de diplomates gaullistes et des politiques et fonctionnairesgomulkistes francophones et francophiles.
La politique étrangère de la Pologne Populaire vis à vis de la France 1956-1970
Les diplomates français proches de de Gaulle considéraient la politique modernisatrice de la Pologne de Gomulka avec beaucoup de sympathie, en particulier Etienne Burin des Roziers, ambassadeur de France en Pologne de 1958 à 1962. Burin des Roziers, qui fut Secrétaire Général de l’Elysée après 1962, comparait même les défis auxquels le régime de la Pologne Populaire faisait face aux efforts entrepris par les gaullistes pour moderniser la France ! Dans ses rapports l’ambassadeur émet l’opinion que l’aide française conduira à une progressive démocratisation de la Pologne. Burin des Roziers était un partisan déclaré d’une intense coopération culturelle avec les élites de la nouvelle Pologne dans l’espoir que les échanges apaisés avec la France convaincront les scientifiques, les écrivains et les artistes polonais des bienfaits de la démocratie occidentale (Burin des Roziers, archives MAE, Série Europe, Sous Série Pologne N°564/EU, Pologne N°220, 27.11.1958). Il est intéressant de constater que cette théorie démontra sa justesse lorsqu’après 20 ans de coopération les élites polonaises issues du système communiste vont introduire dans leur pays le système politique occidental, mais pas dans une version gaulliste et française, mais anglosaxone et ouest-allemande.
Dans les années 60 les milieux scientifiques français s’intéressaient de près aux réalisations de la science polonaise. L’école polonaise du “marxisme révisionniste” avait atteint une renomée internationale. L’application de la métholodogie marxiste dans les sciences humaines telles que la sociologie, l’histoire, l’archéologie et naturellement l’économie a conduit à la formulation d’une “école polonaise de sciences sociales”. Les scientifiques français s’inspiraient des travaux des économistes Oskar Lange, Czesław Bobrowski, Włodzimierz Brusa, des historiens Tadeusz Manteuffel, Witold Kula, Marian Malowist, Julia Kurbis, Jerzy Gieysztor, du philosophemarxiste Adam Schaff. Ces chercheurs furent souvent invités à des colloques internationaux à Paris et leur travaux furent traduits et publiés en France (Daix 95). Ils collaboraient avec l’UNESCO dont le siège et les éditions se trouvent à Paris. Cette coopération avec l’UNESCO cadrait bien avec la politique de renforcement de la position internationale de la Pologne au sein du système des Nations Unies qui était le pivot de la politique étrangère de Gomulka. Le gouvernement de Gomulka participait activement aux agences des Nations Unies et la contribution au développement de cette importante agence faisait partie de son projet politique pour le pays. La Pologne Populaire participait alors à de nombreuses missions pour la paix des Nations Unies et elle était vue alors comme un Etat quasiment neutre car intéressé de façon vitale au maintien de la paix mondiale.
La coopération avec l’Académie des Sciences Polonaises PAN fut initiée par un historien français de renoméemondiale, Fernand Braudel, directeur de la 6ème Section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes spécialisée dans les sciences humaines. Braudel visita la Pologne dès 1956. Il était lié d’amitié avec Tadeusz Manteuffel, Directeur de l’Institut d”Histoire de l’Académie des Sciences de Pologne et historien médiéviste très connu et influent en Pologne. Les deux intellectuels organisèrent un mouvement d’échange actifs entre l’EPHE et les universités et instituts de recherches polonais. L’EPHE invitait les scientifiques polonaise à des colloques, traduisait et publiait leurs oeuvres et envoyait également les chercheurs français donner des conférences et des cours en Pologne. Un des axe importants de coopération furent les voyages des archéologues de l’Institut de Culture Matérielle de Varsovie qui participèrent à de nombreuses fouilles archéologiques franco-polonaises. Des médiévistes français aussi réputés que Emmanuel Leroy Ladurie et Jacques Le Goff ont forgé leur méthodologie au contact des archéologues polonais auxquels ils empruntèrent le concept de “culture matérielle”. Ces jeunes chercheurs avaient d’ailleurs des liens personnels très proches avec leurs homologues polonais tels queAndrzej Wyrobisz, Bronisław Geremek,
Karol Modzelewski, Henryk Samsonowicz qui venaient à ce moment là en France pour des bourses et des rencontres scientifiques (Karbowska 1995 : 26-29).
Le gouvernement français soutenait les actions de Fernand Braudel en attribuant des bourses aux doctorants et jeunes chercheurs polonais. Dans les années 1956-1962 la France a distribué jusqu’à 300 bourses par an, des bourses de 6 mois ou d’un an sans parler du soutien aux séjours de deux mois dispensé aux étudiants apprenant le Français (archives MAE, Série Relations Culturelles, Enseignement 1948-59, sous série Pologne, N°142-147). C’est un nombre de bourses bien plus important que du temps de la fameuse “transition démocratique” polonaise des années 90 pendant laquelle le gouvernement français n’attribuait pas plus de 50 bourses par an….De plus la France facilitait aux étudiants polonais l’obtention de visas scientifiques et de bourses pour des voyages dans d’autres pays d’Europe dont les gouvernements n’étaient pas amis avec la Pologne – vers l’Italie, l’Allemagne Fédérale ou les Pays Bas. Il est intéressant de rappeler que dans les années 60 nait un grand projet de recherche scientifique autour de la diaspora polonaise, comptant alors encore 1 milion de personnes. Cette recherche devait être menée par de jeunes scientifiques familiariséspar l’usage du marxisme dans la recherche en sciences sociales – Pierre Bourdieu, Henri Mendras et René Girard. Finalement le projet fut enterré à cause de l’hostilité du ministère de l’Intérieur dont l’objectif était l’assimilation rapide et sans vagues des migrants polonais.
De nombreux bénéficiaires des échanges scientifiques franco-polonais de cette période ont effectué de brillantes carrières politiques et scientifiques. Un exemple notable peut être la vie de Bronislaw Geremek. Geremek a été bénéficié d’une Bourse du Gouvernement Français pour son doctorat dans le domaine de l’histoire médiévale. Il a vécu 6 ans à Paris, d’abord de 1956 à 1958 en tant qu’étudiant puis en tant que Directeur du Centre de Civilisation Polonaise à la Sorbonne de 1962 à 1965. Cet homme politique qui fut par la suite un conseiller actif de Solidarnosc et un fossoyeur de la Pologne Populaire, fut dans sa jeunesse d’abord un bénéficiaire de la politique étrangère des années 60. La vie de Geremek reste emblématique de cette élite promue par le Parti Ouvrier Unifié Polonais – Geremek a jusqu’à 1968 été le secrétaire de la Cellule de Base du Parti à l’Agence Scientifique de l’Académie des Sciences Polonaises à Parie rue de Lauriston – qui dans les années 80 se sont résolument tournés vers le capitalisme et ont contribué à construire le système occidental dans leur pays quel qu’en soit le coût pour le peuple polonais et pour l’avenir du pays. Ami de Jacques Delors constructeur de l’Union Européenne libérale et fédérale, Geremek a fini sa carrière en tant que Ministre des Affaires Etrangères parachevant l’entrée de la Pologne dans l’Union Européenne, député européen et promoteur du Traité Constitutionnel Européen rejeté démocratiquement par le peuple français en 2005 ! Geremek est mort en juillet 2008 dans un accident de voiture suspect alors qu’il commençait à émettre des doutes sur le système politique perverti qu’il avait tant contribué à construire.
Les Français étaient à l”époque également intéressés par une coopération avec le secteur de l’enseignement supérieur qui se développait de façon très dynamique en Pologne. La France offrait aux Polonais une ouverture vers le monde occidental par le biais de la langue française. L’objectif gaulliste de faire du Français la première langue occidentale dans le bloc de l’Est rejoignait le projet des gomulkistes d’ouvrir rapidement la Pologne au monde en pleine transformation. L’Ecole Supérieure Pédagogique de Sèvres accueillait depuis 1956 des étudiants polonais, futurs enseignants de Français, interprètes et traducteurs, diplomates. Les professeurs de Français y obtenaient un soutien et du matériel pédagogique afin de faciliter leur travail d’enseignement dans de nombreuses villes de Pologne, dans les Universités, les Ecoles Pédagogiques et les Polytechniques du pays. Le but de ces échanges était de faire du
Français non seulement la langue de la littérature ou des sciences sociales, mais aussi la langues de la technique, des sciences exactes et des nouvelles technologies. Des universités et centres de recherche français invitaient de Pologne des mathématiciens, des physiciens, des chimistes, des biologistes, des géologues, des généticiens et des spécialistes de l’agriculture. Ces échanges ont conduit notamment à la fondation en 1960 de l’Institut de Linguistique Appliquée à l’Université de Varsovie dont les deux premières langues de travail furent le Russe et le Français. Suite aux cours dispensés en 1957 par le professeur Jacques Kayser à l’Institut des Sciences Politiques de l’Université de Varsovie un projet de coopération entre cette institut et le prestigieux Institut de Sciences Politiques voit le jour dans le but de former les futures diplomates polonais (Karbowska 1995 : 32).
Il faut également mentioner les échanges organisés par les musées, les bibliothèques, les agences de santé, les organisations de jeunesses, pas uniquement liés au Parti Communiste. Dans les années 1956-58 de nombreux parlementaires français visitent la Pologne tandis que les représentants des collectivités territoriales polonaises mènent en France des négociations dans le cadre du mouvement des jumelages des villes.
Les actions de jumelages des villes constituent un moment important de la volonté de détente Est-Ouest en Europe dans les années 60. Alors que les deux blocs militaires antagonistes pointaient sur les villes ennemis tout un arsenal nucléaire terrifiant, des citoyens de base oeuvraient à la paix en organisant des voyages, des échanges culturels et des actions de coopération dans le cadre du mouvement des Villes Jumelées. Cette initiative débuta par les municipalités communistes en France, en Italie, en Grande Bretagne mais le mouvement de jumelages gagna rapidement des villes gérées par les sociaistes et les chrétiens democrats. Ces villes jumelées existent toujours et constituent même à l’époque de la mondialisation un symbole intéressant de ce que peut être la coopération interculturelle sur une base de la réciprocité et de l’égalité, loin des valeurs de concurrencequi sont la plaie de la civilisation contemporaine. Même l’Union Européenne, si prompte à taxer l’héritage socialiste et communiste européen de “totalitarisme” soutient les Jumelages en leur attribuant une subvention spéciale dans le cadre du programme “Une Europe pour les Citoyens”.
Wladyslaw Gomulka, son premier ministre Jozef Cyrankiewicz et son ministre des affaires étrangères Adam Rapacki conduisaient une politique économique de coopération active avec la France, malgré le problème de la dette polonaise datant d’avant guerre. En 1945 la Pologne Populaire ne refuta pas la dette de la Seconde République Polonaise et hérita donc de celle ci. Cette dette est composée des encours d’emprunts accordés par la France, la Grande Bretagne et les Etats Unis pour créer les structures de l’Etat polonais en 1918, son armée, sa banque centrale, des investissements essentiels à sa survie comme le port de Gdynia, le chemin de fer, les routes… Les puissance occidentales exigèrent en outre le remboursement des entreprises détenues par des capitalistes occidentaux et nationalisées par le premier gouvernement de Gomulka en 1946. Qu’importe que ces entreprises étaient en ruines après la guerre et que leurs propriétaires aient été des collaborateurs des nazis. Qu’importe que la Pologne eut payé la dette par le sang des soldats polonais qui participent à la Bataille de France en 1940 et luttent sur tous les fronts alliés pendant la guerre. En 1947 Zygmunt Modzelewski accepte de négocier le paiement de la dette. Mais la Pologne ne peut offrir à la France d’autres produits que ceux dont elle a besoin elle même pour survivre (charbon, produits agricoles). Le premier gouvernement de de Gaulle n’exigea cependant pas de paiement immédiat des 4,2 milliards de Francsde créances mais se contenta d’une formule de compromis consistant à préleverune somme fixe sur la balance de paiement entre les deux pays. Ainsi, l’augmentation de la somme dépendra de l’augmentation du volume des échanges commerciaux entre les deux
pays. Ce système arrange parfaitement le gouvernement communiste – Staline exige alors de la Pologne à renoncer à l’argent du Plan Marshall alors que le pays a cruellement besoin de fonds pour se relever des ruines, construire et équiper son industrie, réaliser les ambitieux projets éducatifs, culturels, sociaux et économiques du nouveau système. Ainsi, le gouvernement
&polonais lie son existance à la poursuite des échanges avec l’Occident et peut espérer désserrer un tant soit peu l’étau soviétique. En effet, le charbon polonais est toujours recherché en ces temps d’après guerre alors que la Pologne souhaite accéder aux technologies dont le capital français est propriétaire : équipement pour l’industrie sidérurgique et navale, technologies de construction des routes, aéroport, tunnels, centrales électriques… Il ne faut pas oublier qu’à cette époque l’Etat contrôle l’économie et le commerce extérieur via la planification dans les deux pays. La formule de 1947 reprise dans l’accord de 1957 apparait comme un système gagant gagnant(Archives du Ministère Français de l’économie et des finances, Direction du Trésor, Relations Bilatérales : série de B 556 à B 563).
Dès 1956 la Pologne envoie des spécialistes afin qu’ils se forment aux techniques françaises de construction des routes, autoroutes, ponts, aéroports, d’électrification des lignes de chemin de fer, de fonctionnement des centrales termiques, aux technologies d’extraction de charbon et de fonte d’acier. Un accord portant sur la construction d’une raffinerie de pétrole est signé entre l’Institut des Pétroles de Cracovie et l’entreprise française ELF Aquitaine. Le Commissariat à l’Energie Atomique signe un accord avec l’Institut Polonais du Nucléaire pour la mise en oeuvre d’un réacteur expérimental à Swierk. Les ingénieurs français forment les spécialistes polonais aux technologies modernes des industries agroalimentaires, aux nouvelles techniques de construction de logement. Justement la construction massive de logement en plaques de béton progresse rapidement dans les deux pays et elle est le fruit d’une coopération entre les ministères de la construction. Dans les deux pays il faut loger des millions de personnes et reconstruire des villes entièrement ravagées par la guerre. Les Français s’intéressent par contre aux solutions inventées par les architectes et les urbanistes polonais, aux découvertes des scientifiques polonais dans le domaine de l’agronomie et de d’agrobiologie. Des accords de coopération sont signés par les ministères de l’industrie et de l’agriculture. Dans la décennie suivante cette coopération aboutira à la production en Pologne sous licence de nombres de produits dont les procédés technologiques sont importés de France, dont par exemple toute une gamme de fromages comme le Rokpol, le “brie” et le “camembert” polonais… (Archives MAE, Série Europe, Sous Série Pologne, N°247).
La politique de la Pologne Populaire à lONU et face aux pays Arabes et Africains
Les élites au pouvoir en Pologne Populaire dans les années 60 s’intéressent de près à la naissance de la Communauté Economique Européenne mais elles soutiennent plutôt “l’Europe des patries” chère à de Gaulle qui correspond au patriotisme des gomulkistes. Cependant la vision d’Adam Rapacki n’était pas d’enfermer sa patrie dans le cadre étroit des problèmes européens. Au contraire, il est le premier homme d’Etat polonais à avoir théorisé la Pologne en tant qu’acteur sur le plan international dans le cadre des coopérations multilatérales de l’ONU (Czubiński 1992 : 333-336).La Pologne devient un promoteur important de la coopération économique internationale au sein du Conseil Social et Economique de l’ONU. La Pologne soutient la formation du GATT et souhaite signer un accord avec cette nouvelle institution (Karbowska 1995 : 41). La France soutient alors la Pologne dans cette demarche d’inclusion dans le nouveau système économique mondial, c’est la Grande Bretagne et les USA qui s’y opposent. Hélas, ces efforts d’intégration s’arrêteront
avec le départ de Rapacki et de Gaulle trouvera dans d’autres pays de l’Est des partenaires équivalents à la Pologne comme la Roumanie. La visite très officielle de de Gaulle en Pologne en mai 1967 est le point d’orgue de la décennie de coopération franco-polonaise. Mais elle signe aussi le début de la fin de cette relation originale. Lorsque des forces politiques libérales et pro américaines reprennent le pouvoir en France dès 1970, la Pologne retrouvera pour son partenaire occidental le statut qu’elle n’avait quitté que momentanément : celui d’un pays politiquement soumis, fournisseur de main d’oeuvre à bas prix et de matières premières.
La politique d’Adam Rapacki avait un double objectif : rendre la Pologne indépendante des puissances occidentales, mais également la renforcer face à la toute puissance de l’Union Soviétique. C’est dans cette optique que l’homme d’Etat fait participer son pays au renforcement des capacités des Nations Unies et qu’il diversifie les contacts afin de jeter les bases de nouvelles alliances avec de nouveaux partenaires. Rapacki signe un accord de coopération bilatérale avec l’Union Soviétique, la Tchécoslovaquie et la RDA. Mais il se rapproche aussi de la Yougoslabvie en 1958 et regarde avec sympathie le mouvement des Pays Non Alignés dont Tito est le chef de file (Kukułka 1994 : 151-155).
Ne pouvant y adhérer sans risquer l’hostilité de l’URSS, la Pologne développe une coopération bilatérale avec les pays membres du mouvement. C’est dans cette décennie qu’est mise en place la politique arabe et africaine de la Pologne communiste. La Pologne ouvre des consulats et des ambassades dans tous les pays décolonisés : dès 1945-9 en Syrie, Egypte, au Liban, puis après 1956 en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Irak et en Libye, puis dans tous les pays d’Afrique au sud du Sahara dès 1960. La Pologne envoie des produits alimentaires et pharmaceutiques à la Guinée de Sékou Touré sous embargo suite à son indépendance. La mise en place de ces relations est également la preuve qu’une autre politique anti-impérialiste est possible, une politique de coopération “Est-Sud” et ce malgré la nécessité de garder des liens la France gaulliste qui reste une puissance néocolonisatrice sur le continent africain. Les diplomates polonais parviennent à résoudre habilement cet équation, convaincus que le respect des intérêts des peuples finira par avoir raison des ambitions imperiales déchues. De plus, pour communiquer avec les élites africaines et arabes, les Polonais emploient… la langue française, ce qui a pour effet d”accroitre l’influence du francophonie ! La langue française commence alors à acquérir une dimension de “langue de résistance” ce qui n’aurait pas été pour déplaire aux fidèles gaullistes…
La coopération culturelle est le domaine qui se développe le plus vite : les échanges englobent des domaines aussi varies que l’archéologie, l’histoire, la pédagogie, la médecine, la documentation, la muséologie. L’école polonaise d’archéologie et de conservation du patrimoine est connue dans tous les pays du Moyen Orient. Les archéologues polonais initient des découvertes culturelles majeures comme les fouilles de Palmire, d’Alexandrie ptolémaïque et bien d’autres sites. Les spécialistes polonais de l’Institut d’Archéologie Méditérannéenne sont mondialement connus. Leurs travaux donnent lieu à des expositions, des livres de vulgarisation scientifiques, des films. Pour la Pologne et pour les Polonais ces réussites sont source de fierté patriotique, mais également elles participent à ouvrir leur pays sur d’autres cultures et d’autres réalités que le face à face avec l’Occident. Les livres, les films et les émissions de télévision font découvrir la richesse culturelle des pays arabes, du Moyen Orient et de l’Afrique. Cette coopération scientifique et technique prépare ainsi le terrain pour la création des échanges touristiques dans la décennie suivante.
Sur la lancée de l’ouverture au “Tiers Monde”, les maisons d’éditions polonaises publient des traductions de livres issus du monde arabe. Pour cela elles ont besoin de traducteurs et on ouvredes instituts d’enseignement de langue Arabe et des langues africaines. Ces études sont considérées comme prestigieuses et la sélection à l’entrée est sévère. La plupart des étudiants finissent leur cursus en étudiant l’Arabe en Syrie. Des dictionnaires sont publiés, jusqu’à la monumentale édition en 11 volumes des “Mille et une Nuits” en 1975 richement illustrée de magnifiques miniatures. La Pologne Populaire n’est pas un pays de xenophobe islamophobes – en 1987 les queues se forment devant les librairies par les passionnés avides d’acheter la première traduction complète du Coran en Polonais ! Les pays de culture arabe et islamique sont alors considérés comme des alliés de la Pologne dans sa lutte pour la paix dans le monde et pour le développement social et économique. La Pologne accueille de nombreux étudiants issus de ces pays pour des études de médecine ou d’ingénierie. Les étudiants arabophones sont rejoints par leur homologues d’Afrique dans les années 70 et 80. Des coopérants ingénieurs et techniciens séjournent en Algérie, Lybie, Irak et Syrie ou ils construisent et font tourner des usines. Des infirmières et médecins continent cette coopération encore après la chute du communisme. Les Occidentaux se sont étonnés de la présence d’infirmières bulgares en Lybie, mais les citoyens de l’Europe de l’Est n’en n’ont pas été surpris car la coopération bulgare avec les pays arabes dans le domaine médical était notoire. Dans l’imaginaire populaire le séjour dans un pays arabe de coopération est tout autant une aventure culturelle et humaine intéressante qu’une bonne affaire économique, le technicien expatrié était alors payé correctement en dollars. Mais les longues années de coopération ont aussi rapproché les peuples, les familles, créent des liens amicaux, des mariages mixtes… Encore aujourd’hui la Pologne et les Polonais possèdent un capital de sympathie étonnant parmi les peuples de cette région. Il est directement issu de l’oeuvre pacifique de la Pologne Populaire alors même que le régime actuel a depuis longtemps adopté l’absurde idéologie fondamentaliste américaine de “choc des civilisations”.
En 1990 de nombreuses entreprises polonaises travaillaient en Irak et y employaient un personnel polonais. Les Etats Unis ont causé un préjudice énorme à ces sociétés en exigeant une rupture immédiate des relations diplomatiques et en s’accaparant à leur profit les informations que les services secrets polonais détenait sur le pays. Pour les Irakiens la soumission de la Pologne aux Etats Unis et la transformation des Polonais en supplétifs américains furent ressentis comme une grande et douloureuse trahison.
La politique arabe et africaine de la Pologne Populaire a été totalement oubliée. Aucune recherche historique complète n’a été effectuée à son sujet. La Pologne a fermé en 10 ans ses ambassades sur le continent africain les unes après les autres en ne gardant que Dakar, Abidjan et Nairobi. La fermeture de l’ambassade polonaise dans un pays aussi important que le Congo RDC en 2006 montre que la Pologne actuel n’a plus besoin de missions diplomatique parce qu’elle n’a plus de politique étrangère propre. Les missions existantes mènent une politique conforme aux intérêts de l’UE et de l’OTAN consistant principalement à stopper les fluxs migratoires et à fournir quelques informations aux vrais maitres de la politique polonaise sous couvert d’activité humanitaire ou de subventionnement d’ONG libérales. Les rares exemples d’une politique indépendante des diplomates polonais comme au Maroc dans les années 2001-2010 ont vite été repris en main.
Adam Rapacki voulait que la Pologne Populaire devienne un acteur de la paix dans la monde. ¨C’est ainsi qu’il souhaitait donner à son pays un rôle fort à l’ONU et qu’il proposa en 1960 le plan de démilitarisation de l’Europe connu sous le nom de “Plan Rapacki”. Ce plan prévoyait la creation d’une zone ou les armes atomiques seraient bannies et qui engloberait la Pologne,
l’Allemagne réunifiée et la Tchécoslovaquie. 15 ans après la guerre les Polonais étaient farouchement opposés à l’arme nucléaire. Ce projet était un symbole des intérêts vitaux de la Pologne pour la paix en Europe. Il était aussi un pas en direction d’une Pologne neutre, non membre d’aucun bloc militaire. C’est cette Pologne là, pacifique et promotrice de paix, solide dans ses amitiés et respectée de tous qui était l’idéal de Rapacki – et de nombres de ces concitoyens jusqu’en 1989. (Kukułka 1994 : 126).
Hélas le Plan Rapacki n’avait aucune chance d’être adopté. Même la France ne le soutint pas, de Gaulle étant sur le chemin de sa propre arme atomique qu’il ne voulait pas voir contestée. La Pologne est restée objet des alliances et après le départ de Rapacki en 1968 elle s’est contentée de la position “du baraquement le plus libre du bloc”. Petit à petit elle est retombée dans la vassalité de l’endettement, des crédits en échanges des technologies occidentales. En 1989 la Pologne a échangé son suzerain de l’Est pour celui de l’Ouest. Pendant ces 20 dernières années la vassalité de la Pologne a été dissimulée par son entrée dans l’Union Européenne. Mais le regain de tension entre la Russie et les Etats Unis à la faveur de la crise ukrainienne en 2014 a dévoilé la position subalterne et difficile du pays.
Prise entre les pressions américaines, la russophobie viscérale des élites autoproclamées depuis 1989 et la répugnance du peuple pour la guerre, la Pologne n’a plus rien d’un pays stable et prospère auquel ses citoyens aspiraient en acceptant bon gré mal gré la transformation.
Aujourd’hui nous voyons que la plus grande victoire de la Pologne Populaire fut la paix qui dura pendant 45 ans en Europe. Cette paix est menacée aujourd’hui et en examinant les réalisations de nos ancêtres, nous devons preserver ce qu’ils nous ont légué de plus précieux pour notre propre bien.
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Dokumenty Podstawowej Organizacji Partyjnej we Francji (Documents des Organisations de Base du Parti en France) : 237/XXII/662-665 ; 237/XXII/675-676 ; 337/XXII/682 ; 237/XXII/702-706 ; 237/XXII/790-791 ; 237/XXII/862


Voir en ligne : https://histoireetsociete.wordpress...

   

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