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Jupiter en Russie, ou les âmes mortes...

lundi 4 juin 2018 par Guillaume Berlat pour Proche et Moyen Orient

« La diplomatie ignore la sentimentalité » nous rappelle fort justement Stefan Zweig dès 1938. Or, les diplomates d’expérience le savent bien, une diplomatie réaliste tient compte de l’idéal chez les autres sans se laisser égarer par le sien, quand elle en a un.

Il ne suffit pas de rendre visite au président de la Fédération de Russie fraîchement réélu, Vladimir Poutine, les 24 et 25 mai 2018 (en marge du Forum de Saint-Pétersbourg) pour que tout aille pour le mieux dans la relation bilatérale franco-russe passablement chahutée au cours des dernières années, des derniers mois (Crimée, Ukraine, Syrie, sanctions, expulsions de diplomates…).

Le pouvoir de séduction de Jupiter, si grand soit-il, atteint rapidement ses limites surtout au pays des tsars. « C’est toujours une force de disposer d’une grande confiance en sa propre capacité, jusqu’au moment où elle ne suffit plus. L’audace est un atout précieux mais elle ne doit jamais se départir de la lucidité » [1].

Et cela vaut particulièrement pour la relation franco-russe. Nous en avons une petite idée depuis les récits du marquis de Custine au milieu du XIXe siècle [2] jusqu’à l’analyse plus récente de l’un de nos anciens ambassadeurs à Moscou, Jean de Gliniasty [3].

Avant de tirer quelques conclusions sur le déplacement en Russie d’Emmanuel Macron après qu’il ait reçu en son Palais le 23 mai 2018, le président rwandais, Paul Kagame et les géants du numérique (« Tech for Good » en bon français), il importe de replacer cette visite dans son contexte mondial et au regard de ce qu’est la diplomatie russe.

Nous pourrons ensuite examiner ce qu’étaient les promesses médiatiques préalables de cette épopée lyrique avant d’en apprécier tous les résultats concrets à la lumière de ce que l’on veut bien nous dire et ne pas nous dire.

Le Monde change, la diplomatie russe reste...

Face à un monde passablement secoué depuis le début du XXIe siècle, la diplomatie possède un avantage incomparable et incontestable par rapport à celles des principaux pays occidentaux, sa stabilité et sa solidité.

Un monde en perpétuel changement

Hasard ou coïncidence, le président de la République, Emmanuel Macron est reçu le 24 mai 2018 par son homologue russe, fraîchement réélu, Vladimir Poutine quelques jours après que ce dernier se soit entretenu, successivement, avec Bachar Al-Assad et Angela Merkel à Sotchi ! [4] Ce déplacement programmé de longue date, intervient en plein milieu d’une crise entre Washington et ses alliés européens portant sur l’avenir de l’accord 5+1 conclu le 14 juillet 2015 à Vienne (Cf. le discours musclé de Mike Pompeo le 21 mai 2018 devant la Heritage Foundation). Elle met à mal la solidarité transatlantique et la cohésion européenne.

D’autres signaux forts sont inquiétants [5] : bruits de bottes dans la région (échanges musclés entre Iran et Israël) et menaces de sanctions commerciales brandies contre les entreprises européennes tentées de commercer avec Téhéran auxquelles Bruxelles entend répliquer par un dispositif mis en place en son temps pour contourner l’embargo américain contre Cuba. Le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem a ravivé les haines recuites entre Israéliens et Palestiniens (Cf. le bilan humain des tensions).

L’on doit à une discrète médiation de l’Égypte une baisse rapide de la tension à Gaza. D’autres signaux faibles sont plus réconfortants tels les espoirs d’une réconciliation entre les deux Corées [6] et d’un sommet productif entre Donald Trump et Kim Jong-un à la mi-juin 2018 à Singapour si rien ne vient mettre un grain de sable dans une mécanique parfaitement huilée par le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo [7] qui a fait, à plusieurs reprises, le voyage au pays de Satan et de « l’axe du mal » [8]. Ce qui est désormais le cas depuis l’annonce du 24 mai 2018 faite par Donald Trump. Le ton baisse dans les discussions commerciales entre Pékin et Washington [9].

En Syrie, le régime de Bachar Al-Assad – dont le brillant Laurent Gaffius annonçait doctement la chute sous trois mois à la fin du mois d’août 2012 – regagne le terrain perdu au fil des mois grâce à l’aide déterminante de l’Iran et surtout de la Russie devenue désormais incontournable sur le dossier syrien. Désormais, ce n’est plus l’Occident qui dicte son agenda à la planète » comme le relève justement François Hollande qui n’est pourtant pas une lumière sur le plan diplomatique [10].

Humiliée après l’effondrement de l’URSS et l’avènement d’un monde unipolaire, la Russie joue désormais sa participation avec brio et cela qu’on le veuille ou non. La grammaire des relations internationales change de manière drastique ! On ne peut raisonnablement faire comme si de rien n’était à Paris.

Une diplomatie russe solide

Rappelons, s’il en était encore besoin, que la diplomatie russe possède de sérieux atouts que n’ont pas les démocraties occidentales soumises au dégagisme des opinions publiques :

  • Longévité de ses dirigeants (Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov qui ont déjà vu défiler quatre président de la République, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron sans parler de la valse des ministres des Affaires étrangères),
  • Stratégie de long terme pérenne non contingente du buzz des médias (en Syrie, la stratégie russe n’a pas changé), hauteur et distance par rapport aux évènements (pas de réactions instantanées et pavloviennes),
  • Succès militaires et diplomatiques engrangés en Syrie (le gouvernement est en train de reprendre le contrôle de l’intégralité du territoire),
  • Respect du droit international si l’on prend comme point de référence les États-Unis (intervention en Syrie sur la base d’une demande des autorités) … [11]

Tout ceci pour dire qu’il faut compter avec la Russie si l’on veut contribuer au règlement des grandes crises qui secouent le monde, en premier lieu celle qui pèse sur la Syrie depuis sept ans déjà et sur laquelle la France a fait un tout faux remarquable grâce aux deux crânes d’œuf que sont Alain Juppé et Laurent Fabius [12]. Comme du reste sur l’approche des « révolutions arabes » [13]. Le déplacement d’Emmanuel Macron en Russie met en lumière tous les errements répétés de la diplomatie française au Proche et au Moyen-Orient au cours de la dernière décennie.

Cette visite intervient au moment où le prix du baril retrouve des sommets, 80 dollars et vient donner une bouffée d’oxygène à la Russie [14]. Au passage, on notera que Vladimir Poutine joue à la perfection de la désunion européenne en recevant/confessant les uns après les autres les chefs d’État et de gouvernement, Angela Merkel puis Emmanuel Macron dont les intérêts en Russie ne sont pas nécessairement convergents, pas plus qu’avec les États-Unis dans le domaine commercial [15].

Le fameux diviser pour mieux régner. Or, les 27/28 n’ont toujours pas tranché la question stratégique de savoir si l’Union européenne et la Russie doivent poursuivre une guerre froide larvée ou construire un nouveau partenariat stratégique sur la sécurité et la stabilité du continent ? [16]

Or, de la réponse à cette question existentielle dépend en partie l’avenir du continent européen au moment où les États-Unis mettent à mal le système multilatéral mis en place après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Force est de constater que la réponse n’est pas du tout la même en fonction des capitales européennes [17]. Le nuancier est aussi impressionnant qu’impressionniste.

Quelles sont les principales conclusions que nous pouvons tirer de cette virée russe au pays du tsar Poutine ?

La diplomatie du et par le vide...

Dans ce genre de déplacements diplomatiques à haute valeur symbolique, il importe toujours de faire la part entre ce que l’on annonce avant et ce qui se produit concrètement pendant. Il peut parfois exister un fossé assez large entre espoirs et réalisations.

Une visite bien préparée sur le plan médiatique

À quelques jours de l’échéance fatidique, et comme ils ont coutume de le faire avant un important évènement diplomatique (les fameux « pré-papiers »), les « spin doctors » du château procèdent à leur tir de barrage médiatique pour nous mettre en haleine. La méthode est toujours la même. Oyez, oyez, bonnes gens, il va se passer des choses importantes lors de cette rencontre internationale [18].

La visite est plus commentée avant qu’après. Et, surtout, Jupiter est attendu, entendu et va amener son interlocuteur a quia sur tous les sujets importants. C’est la même chanson que l’on nous avait fredonné avant la visite d‘Emmanuel Macron à Washington sur la question de la mise en œuvre de l’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015. On ne connaît que trop bien la suite. Donc, prudence et pas d’emballement. L’on ne connaît que trop les limites de la diplomatie tactile pratiquée avec talent par notre plus jeune président de la cinquième République.

Les milieux bien informés – c’est comme cela qu’on les désigne dans les médias – nous indiquent que le président de la République Emmanuel Macron sera reçu jeudi soir à Saint-Pétersbourg, à l’invitation du maître du Kremlin. Depuis leurs rencontres – à Versailles le 29 mai 2017, puis à Hambourg en marge du G20 en juillet 2017 –, le paysage géopolitique a bien changé, nous précise-t-on à nous les béotiens et les ignares. L’Élysée précise que « le dialogue a été maintenu » avec Moscou malgré l’affaire Skripal (manifestement remis de ses ennuis biologiques), du nom de l’ex-espion russe empoisonné à Salisbury, et bien que les cartes aient changé de mains en Syrie avec la reconquête du terrain par le régime de Bachar Al-Assad.

Les deux dirigeants participeront le lendemain au forum économique de Saint-Pétersbourg, auquel Emmanuel Macron est l’invité d’honneur avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe. Un an après leur première rencontre, au château de Versailles, MM. Macron et Poutine « prendront le temps d’échanger en profondeur en tête-à-tête » avec la volonté de « dégager des points communs face aux crises internationales », en particulier sur le conflit syrien ou le dossier du nucléaire iranien après la décision du président américain Donald Trump de sortir de l’accord de 2015, selon les communicants de l’Élysée.

Quel charabia incompréhensible qui veut vraisemblablement signifier que nous sommes d’accord sur presque rien ? Mais, l’on nous rassure aussitôt. Malgré les nombreux sujets de divergence entre Paris et Moscou de ces derniers mois, « le dialogue entre eux a été maintenu et les échanges téléphoniques ont été nombreux », précise la présidence de la République. « Dès la rencontre de Versailles, nous avons pris le pari d’un dialogue constructif mais franc. Quand il y a des désaccords, on le dit, mais cela n’empêche pas de travailler ensemble ».

Depuis l’annonce de M. Trump, MM. Poutine et Macron ont exprimé leur volonté de maintenir l’accord sur le nucléaire iranien, le premier réclamant son « application stricte » tandis que le second prône des discussions sur un nouvel « accord élargi » prenant en compte le contrôle de l’activité nucléaire après 2025, le programme balistique de l’Iran ainsi que la situation en Syrie et au Yémen.

Au cours de sa première visite en Russie, M. Macron, accompagné de son épouse Brigitte (cela change tout !), veut aussi « relancer la relation bilatérale dans tous les secteurs possibles : économique, universitaire, culturel, sportif… ». Des rencontres avec des entrepreneurs ou des membres de la société civile sont prévues, tandis que la visite se terminera par un hommage au théâtre Mariinsky à Marius Petipa, un chorégraphe français qui vécut l’essentiel de sa vie en Russie, pour le bicentenaire de sa naissance en 1818 à Marseille (sud-est de la France). Toute la panoplie classique de la diplomatie est de sortie, de la politique à l’économie en passant par la culture !

Voici pour la contextualisation médiatique de la visite. Qu’en est-il en réalité de la substance même de cette importante échéance diplomatique bilatérale ?

Pour le savoir, lire la suite de l’article Ici.


Voir en ligne : https://prochetmoyen-orient.ch/jupi...


[1François Hollande, Les leçons du pouvoir, Stock, 2018, p. 16

[2Marquis de Custine, Lettres de Russie. La Russie en 1839, Folio classique, 1975.

[3Jean de Gliniasty, La diplomatie au péril des « valeurs », L’inventaire, collection Valise diplomatique, 2017.

[4Isabelle Mandraud, Lestée par la diplomatie de Trump, Merkel renoue le dialogue avec Poutine, Le Monde, 20-21-22 mai 2018, p. 6.

[5Pierre Servent, Cinquante nuances de guerre, Robert Laffont, 2018.

[6Sébastien Falletti, Kim et Moon visent une paix sans armes nucléaires, Le Figaro, 28-29 avril 2018, pp. 2-3.

[7Gilles Paris, Trump n’exclut pas un report du sommet avec Kim, Le Monde, 24 mai 2018, p. 4.

[8Valérie Samson, Pyongyang menace d’annuler le sommet avec Trump, Le Figaro, 16 mai 2018, p. 7.

[9Pierre-Yves Dugua, Pékin promet d’importer plus des États-Unis, Le Figaro économie, 21 mai 2018, p. 19.

[10François Hollande, précité, p. 384.

[11Guillaume Berlat, L’incontournable Vladimir Poutine sur la scène internationale, www.prochetmoyen-orient.ch , 5 juin 2017.

[12Guillaume Berlat, Syrie : l’insoupçonnable légèreté des certitudes…, www.prochetmoyen-orient.ch , 20 mars 2017.

[13Guillaume Berlat, Cinq ans de « printemps arabes » ou la fin d’une chimère !, www.prochetmoyen-orient.ch , 1er février 2016.

[14Armelle Bohineust, Le pétrole cher fait son retour, porté par la crise iranienne, Le Figaro économie, 16 mai 2018, p. 20.

[15Pierre-Yves Dugua, L’Allemagne redoute des sanctions américaines sur l’acier européen, Le Figaro économie, 28-29 avril 2018, p. 20.

[16Nicolas Baverez, Europe et Russie : l’heure des choix, www.lefigaro.fr , 22 mai 2018.

[17Jean-Jacques Mével, Iran : l’Europe tente de rester unie face à Donald Trump, Le Figaro, 17 mai 2018, pp. 1-2-3.

[18Virginie Malingre/Marc Semo, Macron en Russie pour poursuivre un dialogue difficile avec Poutine, Le Monde, 25 mai 2018, p. 4.

   

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