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Que cherche Donald Trump en provoquant le Mexique ?

lundi 30 janvier 2017 par Romaric Godin

En déclenchant une crise ouverte avec Mexico sur la question du mur, le nouveau président des États-Unis défend moins une rationalité économique que l’affirmation d’un unilatéralisme agressif en passe de devenir sa nouvelle doctrine.

Une semaine après son entrée en fonction officielle, Donald Trump, le nouveau président des États-Unis, connaît déjà sa première crise internationale autour d’une des principales idées défendues pendant la campagne électorale : la construction d’une « barrière physique » à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Après avoir fait reprendre en chœur à ses troupes dans les meetings que le voisin méridional paierait pour la construction de ce mur, le nouvel hôte de la Maison Blanche a tenté d’obtenir de Mexico le financement de ce mur. Comme le gouvernement mexicain n’est pas demandeur de ce mur, par ailleurs assez humiliant pour lui, Donald Trump s’est naturellement heurté à un refus qui a conduit à l’annulation du déplacement prévu à Washington du président mexicain Enrique Peña Nieto.

Construisant sa nouvelle doctrine économico-diplomatique, Donald Trump a donc tenté de construire une voie unilatérale pour obtenir du Mexique, malgré sa volonté, l’argent nécessaire pour construire ce mur, soit, dans le meilleur des cas une quinzaine de milliards de dollars. « Je veux prendre une route différente », a expliqué le nouveau président des États-Unis lors d’un point presse à Philadelphie en critiquant le refus de payer de Mexico, ajoutant : « nous n’avons pas le choix ». Ces quelques mots pourraient constituer le fondement de la nouvelle doctrine unilatéraliste étasunienne : réclamer l’impossible à ses partenaires et prétexter une « mauvaise volonté » de ceux-ci pour agir seul.

Une taxe à l’importation ?

Dès lors, Donald Trump a inauguré l’idée d’une « taxe de frontière » dans le cadre de la réforme fiscale en discussion au Congrès qui frapperait les importateurs et permettrait ainsi de récolter, dans son esprit, l’argent nécessaire. Le porte-parole de la présidence, Sean Spicer, a évoqué une taxe de 20 % sur les biens importés du Mexique et espère ainsi gagner une dizaine de milliards de dollars par an. Le prix du mur étant évalué de 15 à 20 milliards de dollars, le « Mexique » paiera ainsi, nolens volens, la barrière.

L’idée est simple, voire simpliste. Car, en matière économique, l’application d’un simple taux sur un flux passé pour évaluer une recette fonctionne rarement, le flux étant impacté par le taux.

Les consommateurs étasuniens paieront

D’abord, évidemment, une telle taxe viendra frapper directement les détaillants qui ne manqueront pas de reporter, partiellement ou totalement, cette taxe sur leurs prix et, pour préserver leurs marges, à engager des mesures de réduction de coûts frappant les emplois aux États-Unis. Ce serait alors moins le Mexique que les ménages étasuniens qui paieraient pour le mur. Les partisans de la taxe peuvent cependant répondre que celle-ci aura un impact sur la relocalisation aux États-Unis d’une partie des activités délocalisées au Mexique. D’autant que les industriels étasuniens bénéficieront alors d’une baisse des impôts sur les sociétés.

La réindustrialisation favorisée ?

Mais alors surgit le problème de la substitution des importations mexicaines par de la production étasunienne. Cette substitution peut être parfois possible, mais ce n’est pas toujours le cas. Lorsque les États-Unis n’auront pas ou plus les moyens de produire les biens importés du Mexique, il faudra bien faire transmettre dans les prix finaux la taxe Trump. Les déficits commerciaux concernant les autos et les équipementiers automobiles, mais aussi les poids lourds, sont les plus considérables. Il n’est pas sûr que les producteurs puissent rapidement construire les produits dont l’économie a besoin. Il faudra alors continuer à importer, du Mexique ou d’ailleurs.

Lorsque cette substitution est possible, elle n’est cependant pas certaine. En effet, relocaliser aux États-Unis sous-entend des investissements importants que la seule baisse des taxes ne suffira pas forcément à rendre attractifs. D’autant que la baisse du peso va permettre de rendre la production mexicaine meilleur marché, ce qui compensera en grande partie la taxe aux importations.

Il n’est donc pas à exclure que les entreprises importatrices préfèrent des hausses de prix à des relocalisations. D’autant que les entreprises étasuniennes seront incitées à nouveau à dégager des marges considérables par un secteur financier dérégulé qui ne manquera pas de promettre des rendements de rêve, et par des marchés financiers en hausse qui inciteront à des opérations de rachats d’action. L’actionnaire des firmes des États-Unis pensera d’abord au rendement de son titre avant de songer à la relocalisation industrielle.

Un succès qui serait un échec

Mais, si effectivement cette taxe conduit à des relocalisations et à une forte baisse des importations, son rendement baissera drastiquement. Ce sera le fruit de son succès. Or, dans ce cas, le mur ne sera pas financé par cette taxe. Il faudra utiliser les recettes de l’État fédéral pour financer le mur et renoncer au mantra « le Mexique paiera ».
On peut espérer que les recettes fiscales soient plus élevées, mais rien n’est moins sûr dans la mesure où le marché mexicain ne manquera pas de se fermer également aux exportateurs étasuniens (qui envoient 240 milliards de dollars de biens et services au Mexique chaque année) : le gouvernement de Mexico a promis des représailles douanières.

Or, avec un dollar fort, la compétitivité de ces produits sera difficile à maintenir. Dans tous les cas, il faudra, dans ce cas, puiser dans le budget des États-Unis pour payer le mur et peut-être avoir recours à des coupes claires dans les dépenses de l’Etat ou à des hausses d’autres taxes. In fine, les Étatsuniens paieront là aussi. Le paradoxe de la méthode Trump est donc que son succès signera son échec.

Reste enfin un paradoxe qui prêterait à sourire, si l’affaire n’était si tragique : la main d’œuvre et le ciment nécessaires pour la construction du mur seront... mexicains compte tenu des impératifs de prix et de terrain. Bref, l’argent versé par les contribuables ou les consommateurs des États-Unis finiraient par repartir au Mexique, notamment dans les caisses du géant du ciment Cemex.

La vraie raison de la crise

La rationalité économique de la méthode Trump est donc très faible. Et on comprend que Sean Spicer ait indiqué que la taxe à l’importation n’était « qu’une idée parmi d’autres ». Pour autant, l’objectif de faire payer Mexico a été réaffirmé et l’on réfléchit à d’autres moyens tout aussi inefficaces ou illégaux comme la taxation des transferts de fonds ou des revenus des Mexicains installés aux États-Unis.

Dès lors, il est peut-être utile de s’interroger sur la vraie raison de cette crise précoce avec le Mexique, pays sans doute le plus vulnérable à la menace étasunienne en raison de sa forte dépendance à son voisin du nord. La raison en est clairement politique. Il s’agit d’abord d’assurer ses électeurs que son programme sera réalisé intégralement. Mais il y a sans doute plus : il s’agit d’affirmer la nouvelle doctrine unilatérale.

En évoquant publiquement cette taxe, Donald Trump confirme sa volonté de se passer des grands accords de commerce dont font partie les États-Unis. Après le traité transpacifique, dont les États-Unis sont sortis cette semaine également, la création d’une taxe frontalière supposerait la sortie du pays de l’Alena, l’accord de libre-échange nord-américain, et même de l’Organisation mondiale du Commerce.

La nouvelle administration confirme ainsi qu’elle entend mener des partenariats bilatéraux. Mais elle affirme par la même occasion son désir d’imposer sa volonté, aussi absurde fût-elle (comme celle de ce mur payé par le Mexique), et de se donner les moyens de l’imposer. C’est l’application de cette politique de « grandeur de l’Amérique ». Les vrais adversaires déclarés de Washington, Pékin et Berlin au premier chef, sont prévenus.

Humilier le Mexique

Certes, les États-Unis ont toujours, dans les faits, donné la primauté à leurs intérêts, mais ils pouvaient le faire en créant des alliances et des sphères d’influence qu’ils protégeaient et favorisaient. Le Mexique en faisait partie. En faisant un exemple avec le Mexique, Donald Trump entend montrer au monde entier qu’il faudra désormais compter avec sa décision. Désormais, la planète devra aider Donald Trump à appliquer son programme ou en subir les conséquences.

Le fait que ce dernier ait jugé que le refus du Mexique de payer pour un mur dont il ne veut pas est « un manque de respect », est parlant de ce point de vue : résister à la volonté étasunienne sera perçu comme une agression directe.
Le Mexique est donc la victime malheureuse d’une politique de l’exemple. Ce n’est pas non plus une victime choisie au hasard.

Ce pays est, traditionnellement, vu par la droite étasunienne comme une dépendance des États-Unis, un pays qu’on aime à fustiger et à punir. Deux grands États des États-Unis, le Texas et la Californie, ont été arrachés au Mexique après une guerre débutée en 1846 et qui est un des fondements du nationalisme étasunien.

Le développement de l’immigration a encore renforcé cette détestation du voisin méridional par les milieux ultra-conservateurs, inquiets de voir se modifier la culture et la religion des États-Unis.

Dès lors, pour les Républicains trumpistes, commencer le mandat par une humiliation de Mexico serait une réaffirmation à la fois de la domination sur le Mexique et de la supériorité de la grandeur étasunienne.

Ce sera le rappel du fondement de l’unilatéralisme nouveau de Washington qui, en réalité, est moins économique que profondément nationaliste et idéologique.


Voir en ligne : Par Romaric Godin dans La Tribune

   

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