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L’affaire Audin dans l’Histoire

samedi 22 septembre 2018 par Alain Ruscio

Nous publions en avant-première les bonnes feuilles relatives à l’affaire Audin dans l’ouvrage d’Alain Ruscio, "Les Communistes et l’Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962", à paraître aux Éditions La Découverte en février 2019.
Ce chapitre retrace utilement les réactions et les mobilisations en France, où Pierre Vidal-Naquet a joué un rôle important, dans les mois et les années qui suivirent l’assassinat du jeune mathématicien membre du parti communiste algérien par les parachutistes français.

Maurice Audin était membre du Parti communiste algérien depuis 1950 — il avait alors dix-huit ans. Mathématicien brillant, assistant à la faculté d’Alger, il s’apprêtait à soutenir une thèse et à devenir ainsi un des plus jeunes docteurs ès sciences de France.

Son directeur, René de Possel, témoigna de la qualité exceptionnelle des travaux de celui qui était un des espoirs de la recherche française [1]. Après l’interdiction du PCA en septembre 1955, ses dirigeants avaient estimé qu’Audin, qui n’avait pas de responsabilités politiques de premier plan et n’était pas forcément fiché, serait plus utile dans un travail discret que dans la lutte armée.

Il hébergea des militants traqués, stocka de la documentation, etc. Il participa également à des activités dangereuses, comme par exemple l’exfiltration vers les pays socialistes du secrétaire général Larbi Bouhali en septembre 1956 : ce fut en quelque sorte une affaire de famille, Maurice Audin ayant assuré la logistique avec sa sœur Charlie et son beau-frère Christian Buono.

L’affaire Audin, l’« affaire de la France »

L’engrenage se met en place le 9 juin 1957. Le docteur Georges Hadjadj, membre du PCA, est arrêté. Torturé, il résiste durant trois jours, mais craque devant la menace de torturer sa femme : il finit, le 11 dans la soirée, par dire qu’il a soigné Paul Caballero, un dirigeant communiste de premier plan, au domicile de la famille Audin. Les paras s’y précipitent. C’est là, à 23 heures, en présence de sa femme et de ses enfants, que Maurice Audin est arrêté. Josette proteste, sa fille aînée Michèle – trois ans – donne même des coups de pieds aux paras [2].

Le prisonnier est transporté à El Biar, dans un immeuble « réservé », où déjà Ali Boumendjel avait été assassiné. Là, les tortionnaires, joignant l’imbécillité à la bestialité, persuadés d’avoir capturé un « gros poisson », passent immédiatement à la « manière forte ». Le docteur Hadjadj est mis en sa présence aux environs d’une heure du matin. Audin a déjà été torturé, donc deux heures après son incarcération…

Henri Alleg est arrêté au domicile d’Audin le lendemain, 12 juin. Dans la soirée, il est mis en présence de son ami et camarade : « Il faisait chaud. Maurice portait une chemisette. Je revois son visage défait. Son bourreau l’a amené devant moi et lui a crié : “Audin, dis à ton ami les horreurs qu’on t’a faites hier soir. Ainsi, ça lui évitera de les subir, lui aussi !” Maurice m’a regardé. Il a juste lâché dans un souffle : “C’est dur, Henri…”  [3]. »

Le 21 juin, le drame atteint son point de non-retour. Les tortionnaires tuent leur prisonnier. Mais il faut immédiatement maquiller le crime. Une partie de la presse métropolitaine bruisse encore des échos de la protestation contre les exactions de la bataille d’Alger. Si des « disparitions » de ce type sont alors nombreuses, il ne s’agit la plupart du temps « que » de « musulmans ».

Dans le cas Audin, il s’agit d’un jeune homme, père de famille et assistant à l’université, sans aucune activité terroriste. C’est à ce moment qu’est imaginée la version « tentative de fuite », cafouilleuse, mal ficelée et non crédible même chez les partisans de la guerre. Le 1er juillet, elle devient pourtant la thèse officielle.

L’affaire commence à faire grand bruit. Le rôle de Josette, son épouse, est central dans son déclenchement. C’est en grande partie grâce à elle que l’assassinat du jeune homme est devenu l’« affaire de la France [4] ». Maintenue de force à son domicile durant les quatre premiers jours qui suivent l’arrestation de son mari, elle s’engage dès qu’elle peut prendre contact avec l’extérieur.

Elle exige des entretiens auprès de l’état-major, puis auprès d’une Commission de sauvegarde des libertés. Informée le 1er juillet par le colonel Trinquier de la version officielle, l’évasion, elle dépose plainte dès le 4. Le procès qui s’ensuivra s’achèvera par un non-lieu.

Les communistes commencent alors une campagne de dénonciation du crime, même si bien des éléments échappent encore aux contemporains. Le 16 juillet, Jacques Duclos interpelle le gouvernement et cite pour la première fois à la tribune de l’Assemblée nationale les noms de Maurice Audin et d’Henri Alleg.

Après avoir évoqué la thèse officielle, il interroge : « Qu’y a-t-il de vrai dans cette information ? Nous savons que de prétendues évasions peuvent cacher des assassinats. » Le 25 septembre, nouvelle interpellation. Cette fois, Duclos n’émet plus une hypothèse tragique mais affirme : « Je demande qu’on nous dise dans quelles conditions et par qui Maurice Audin a été assassiné. »

L’Assemblée s’enflamme. L’échange est littéralement haché par des invectives, des interruptions, des cris, reproduits au Journal officiel. Le ministre Lacoste répond : « Vous avez dit que M. Audin a été assassiné. Qu’en savez-vous ? Alors, il vous suffit, M. Duclos, de dire à la tribune de cette Assemblée qu’on a tué, qu’on a assassiné, sans que vous apportiez aucune preuve, et il faut que nous, nous supportions le poids de forfaits qui n’ont pas été commis ! »

Comme il est pressé par les députés communistes qui répètent sans cesse « Où est Maurice Audin ? », il lâche : « Qui a tué Maurice Audin ? C’est vous les assassins ! Vous avez tué des femmes et des enfants à Alger ! » Le ministre était un sanguin. Il n’a donc pas contrôlé son langage et a dit le même jour à la tribune de l’Assemblée, à la fois qu’Audin s’était évadé et qu’il avait été tué… Le cynisme rejoint ici la bêtise : le ministre était à ce moment nécessairement informé de la fin tragique du jeune militant [5].

Par la suite, la presse communiste informera régulièrement ses lecteurs des démarches de Josette Audin et mènera campagne [6]. Mais contrairement à ce qui s’était passé durant la guerre d’Indochine (affaires Henri Martin et Raymonde Dien), le PCF ne prend pas en main — en tout cas pas seul — la protestation.

On retrouvera la même pratique lors de l’affaire Henri Alleg. Choix de l’efficacité ? Difficultés à faire seuls de l’agit’ prop’ ? Ou, plus simplement, volonté d’intellectuels anticolonialistes de se libérer totalement de la tutelle du PCF ?

À suivre Ici avec un témoignage : 1957 Déclaration de Paul Teitgen contre la torture.

Extrait du film "Destins" d’André Gazut consacré à l’attitude du Général
de Bollardière face à la torture.


[1René de POSSEL, « Mon assistant, Maurice Audin », Les Lettres françaises, 19 décembre 1957.

[2Michèle AUDIN, Une vie brève, L’Arbalète/Gallimard, Paris, 2013.

[3Henri ALLEG, La Question, éditions de Minuit, 1958.

[4Titre de l’éditorial (non signé) des Lettres françaises, 29 mai 1958.

[5Pierre BRANA et Joëlle DUSSEAU, Robert Lacoste (1898-1989). De la Dordogne à l’Algérie, un socialiste devant l’histoire, L’Harmattan/Fondation Jean Jaurès/OURS, Paris, 2010.

[6Josette AUDIN, « Lettre à Me Maurice Garçon », L’Humanité, 26 septembre 1957 ; numéro spécial, France nouvelle, 2 décembre 1959.

   

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