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Union soviétique et monde socialiste : la répression contre les intellectuels dissidents était-elle justifiée ?

samedi 22 septembre 2018 par Gilles Questiaux

"Si tu ne lis pas de livre, tu redeviendras vite analphabète" (affiche soviétique des années 1920). Le peuple doit créer ses propres intellectuels.

Dans l’atmosphère politique des années 1960 et 1970, les intellectuels de gauche occidentaux prenaient leurs distances avec l’URSS à cause des persécutions réelles ou supposées qui s’y produisaient à l’encontre d’intellectuels dissidents (par esprit de corps en quelque sorte, sans s’interroger du tout sur le contenu réel des idées de Soljenitsyne ou de Sakharov).

L’image de tyrannie qu’elles dessinaient a causé énormément de tort à la cause du socialisme, et a contribué à la formation de l’idéologie néo-impérialiste actuelle, qui permet aux descendants de ces intellectuels "de gauche" de justifier n’importe quelle guerre au nom des droits de l’homme. Nous admettrons que l’Union soviétique de ses années-là, issue de la révolution d’octobre 1917, de la collectivisation, des plans économiques des années 1930, et de la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 conservait la caractéristique d’avoir un régime politique issu directement de la dictature du prolétariat, malgré des signes graves d’essoufflement. D’où la question, à laquelle on peut tenter de répondre avec le recul historique :

La dictature du prolétariat, notamment sous la forme qu’elle a revêtu en URSS, était-elle une "dictature tout court" ? la répression qu’elle infligeait aux intellectuels exprimant des tendances bourgeoises était-elle justifiée ?
Ces questions méritent un vrai débat. Pour faire entendre mon point de vue, je dirais que :

1) Dans l’image que l’on se fait de la dictature révolutionnaire, il ne faut accorder aucun crédit à la critique émanant des adversaires du socialisme, et ce qui ne simplifie pas les choses, c’est qu’il y en a effectivement qui sont déguisés en partisans du socialisme. Démasquer ces derniers est une tâche ingrate et nécessaire. Quant aux faits de l’histoire des révolutions tels qu’il sont rapportés par l’histoire et les sciences humaines bourgeoises, ils sont présentés voire créés dans un storytelling séculaire, de manière à diffuser la peur chez les professionnels de la pensée, l’éclectisme invertébré chez les étudiants, le conservatisme prudent et la pusillanimité historique chez tous, ou parfois chez les plus indociles un romantisme révolutionnaire complètement désarmé.

2) Il n’existe pas dans la vie réelle de garanties absolues permettant d’éviter par avance les excès et les abus du pouvoir politique, et la superstructure juridique qui prétend les fournir, quelques soient les bonnes intentions des juges et des avocats de gauche, travaille structurellement à la protection de la propriété privée et à la conservation de l’ordre capitaliste. Les droits de l’homme ne sont que les droits du bourgeois, et ils n’ont jamais protégé personne en dehors de cette classe.

3) La dictature du prolétariat est un régime de transition où le parti du prolétariat exerce tous les pouvoirs. Il faut souligner le mot "transition" qui signifie qu’il s’agit d’un état d’exception provisoire, mais sans norme légale, comparable à la guerre .

4) S’il n’apparait pas à nouveau une génération révolutionnaire comme celle de 17, capable de perpétrer ces grandes "voies de fait" que sont les révolutions, le capitalisme règnera éternellement (c’est à dire pas très longtemps, jusqu’à ce qu’il ait détruit l’humanité).

5) Souvent le recul moralisant par rapport à l’histoire communiste s’explique par d’une part, le manque de détermination morale, d’autre part le refus inconscient des fins de la révolution prolétarienne, qui doit effectivement mettre fin à l’individu bourgeois, et à sa psychologie, qu’elle soit de nuance romantique, mégalomane ou conformiste.

6) Les intellectuels dans une société à un moment donné reflètent un passé et un état des contradictions dans cette société, où leur liberté créatrice et leur conscience est étroitement conditionnée. Ils n’aiment pas qu’on le leur rappelle, personne n’aime avoir à en rabattre sur son prestige et ses illusions. Et la situation qui les a créés est rapidement dépassée en période révolutionnaire, ce qui entraine leur glissement à droite rapide (on en voit un exemple en ce moment au Venezuela). Ce qui rend difficile le débat sur les questions culturelles est la sur-représentation de l’intelligentsia, en tant que groupes social, chez les militants de gauche qui prétendent avoir un mot à dire sur la révolution.

7) Ce n’est pas le stalinisme, quoiqu’on entende exactement par ce terme, qui fut le fossoyeur du socialisme, c’est le retour en force de la culture bourgeoise en URSS comme partout ailleurs dans la seconde moitié du XXème siècle. Ce retour est une conséquence du retard de la révolution culturelle sur la révolution économique, sachant que cette révolution culturelle n’a que très peu de rapport avec la creuse culture d’avant-garde diffusée partout qui s’est développée au XXème siècle dans la bohème internationale, de Paris à New York et de Berlin à la Californie, et qui est devenue l’académisme du "nouvel âge du capitalisme". Le prétendu "stalinisme", n’est rien d’autre que la contre-violence exercée par des révolutionnaires déterminés engagés en terre inconnue, sur une voie où personne ne les avait précédés.

8) Dans la société bourgeoise, les intellectuels (littérateurs, professeurs, juristes, journalistes ...) se voient attribuer le rôle de spécialistes de la conscience et de la liberté, au détriment des hommes sans qualité, et revendiquent plus ou moins consciemment à ce titre un statut dérogatoire sur tous les plans, qui leur permettrait d’échapper à toute responsabilité, et à tout jugement, moral, esthétique, historique ... Mais ce groupe social n’est que le coté jardin du maintien de l’ordre social, dont la police et les tribunaux sont le coté cour.

9) Les grands intellectuels actuels n’expriment que le programme du capitalisme, dont ils sont souvent les salariés directs à ce titre, et ses contradictions qu’ils ne parviennent pas à dissimuler, et cela bien moins librement qu’au XXème siècle.

L’analyse des difficultés rencontrées par les révolutionnaires réels réellement parvenus au pouvoir peut aboutir à deux conclusions opposées : celle qui prévaut dans les médias et dans l’Université mainstream, pour lesquels la révolution n’est, au vu de l’expérience, vraiment pas souhaitable. Et celle du prolétariat pour qui la prochaine révolution devra aller beaucoup plus fort et beaucoup plus loin. Il lui va falloir reprendre le pouvoir dans la culture (le smart power utilisé par la bourgeoisie qui use simultanément de raison, de séduction, de ruse et de contrainte) en posant l’évidence que la révolution qui conduit à la prise du pouvoir du prolétariat est un droit absolu, qu’elle est même le fondement de tous les droits futurs.

Faire la révolution implique de détruire beaucoup de choses consciemment, mais cette table rase, paradoxalement, est davantage à la portée du prolétariat aujourd’hui qu’en 1917, au vu des destructions culturelles dues au capitalisme lui-même : la nature, les nations, les villes, le langage, l’art, le respect humain, la morale élémentaire et le savoir-vivre sous toutes leurs formes sont passés à l’as au cours du vingtième siècle, écrasés par le rouleau compresseur de la marchandise et par la soif du profit.

La dictature du prolétariat était-elle (est-elle) une "dictature tout court" ? Évidemment oui !

La répression qu’elle inflige aux intellectuels exprimant des tendances bourgeoises est-elle légitime ? fondamentalement, oui ! Est-elle toujours souhaitable ? Non, dans la mesure où la critique de bonne foi renforce ce qu’elle critique. Mais il n’existe plus guère de critique de bonne foi provenant de la bourgeoisie.

GQ, août-novembre 2017 - février 2018

PS : De même qu’il y a nombre de faux révolutionnaires qui se prennent pour des vrais dans l’Université et même dans les médias, il y a aussi de grands intellectuels "faux conservateurs", dont le plus illustre aura été Balzac, source d’inspiration inépuisable pour Marx. On peut y adjoindre Kafka, l’explorateur des contradictions du capitalisme du XXème siècle, qui fascinait Georges Lukacs. Et, contre ses intentions conscientes, Dostoïevski qui a transmis dans un cadre inversé mais magnifié par l’art du récit la parole au grand révolutionnaire Tchernichevski, dont la figure magnifique hante littéralement ses romans, à commencer par Crime et Châtiment.


Voir en ligne : http://www.reveilcommuniste.fr/2017...

   

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