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L’Amérique latine est-elle toujours l’« arrière-cour » des États-Unis ?

samedi 17 novembre 2018 par Alexander Main

À la fin du printemps 2008, le prestigieux Conseil des relations étrangères (Council on Foreign Relations [1]) publiait un rapport intitulé : « Les relations États-Unis-Amérique latine : nouvelle orientation pour une nouvelle réalité » [2]. Programmé pour influencer l’agenda de la politique étrangère de l’administration américaine suivante [celle de B. Obama], le rapport affirmait : « l’ère qui a vu les États-Unis exercer une influence dominante sur l’Amérique latine est révolue ».

Au Sommet des Amériques d’avril 2009, le président Barack Obama semblait être sur la même longueur d’onde que les auteurs du rapport, promettant aux dirigeants latino-américains une « nouvelle ère » « de partenariat égalitaire » et de « respect mutuel ». Quatre ans plus tard, le second secrétaire d’État d’Obama, John Kerry, allait encore plus loin, en déclarant solennellement devant ses homologues de l’Organisation des États américains (Organization of American States, OAS – OEA en français [3]) que « l’ère de la doctrine Monroe était révolue ».

Le discours [4] – qui annonçait la fin d’une politique vieille de près de 200 ans [5] largement perçue comme un chèque en blanc à l’intervention des États-Unis dans la région – avait été chaudement applaudie et avait sans doute aidé à pardonner partiellement à John Kerry d’avoir, quelques mois auparavant, fait référence à l’Amérique latine comme à l’ « arrière-cour » des États-Unis.

Dans son approche de l’Amérique latine, l’administration du président Trump a tenu des propos d’un ton tout à fait différent de celui de l’administration Obama. Peu de temps après son installation à la Maison Blanche, le nouveau président annonçait qu’il allait revenir en arrière sur les politiques très largement applaudies de Barack Obama qui normalisaient les relations avec Cuba.

Au lieu de confirmer l’abandon de la « doctrine Monroe », le premier secrétaire d’État du président Trump, Rex Tillerson, déclarait qu’« elle avait clairement été un succès ». De peur que quelqu’un puisse douter de sa parfaite maîtrise de l’histoire de la doctrine, il avait fièrement fait écho aux sentiments de ses auteurs initiaux, le président John Adams et le secrétaire d’État James Monroe, et il soulignait au passage – à propos du développement des relations de la région avec la Chine : « l’Amérique latine n’a pas besoin de nouvelles puissances impériales » et « notre région doit rester vigilante et se protéger des puissances lointaines » [6].

Étant donné ces déclarations et d’autres faites par Donald Trump et son équipe, on est tenté de penser que l’actuelle administration américaine a l’intention de faire échouer la politique progressiste et éclairée qui a vu le jour sous Barack Obama. Mais une analyse plus étroite des politiques qui se dessinent suggère que, pour l’essentiel, l’administration Trump poursuit dans la région largement les mêmes objectifs politiques, économiques et sécuritaires que Barack Obama, même si c’est parfois avec une plus grande impudence et une agressivité plus marquée. Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de noter que l’agenda d’Obama pour l’Amérique latine – à l’exception importante et tardive de l’ouverture à Cuba – ne divergeait pas de façon significative de celle de son prédécesseur George W. Bush.

En fait, les administrations américaines ont poursuivi à peu près la même feuille de route en Amérique latine, du moins depuis le début du XXe siècle, même si la tactique employée a enregistré des changements significatifs au fil du temps. Les grands objectifs restent les mêmes : continuer à exercer l’hégémonie américaine sur la totalité de la région. Mais malgré un retour en force très important ces dernières années des acteurs régionaux de droite pro-américains en Amérique latine, les États-Unis pourraient, à long terme, avoir des difficultés à maintenir un contrôle stratégique sur la région, notamment du fait de leur évincement progressif en tant qu’acteur économique dominant dans l’hémisphère. Et le nationalisme exacerbé de Donald Trump est susceptible de contribuer à réveiller des élans nationalistes et anti-impérialistes à travers la région, comme cela s’est récemment produit au Mexique.

Des objectifs politiques inébranlables

Bien que souvent enrobée dans une rhétorique de promotion de la démocratie et des droits de l’homme, la stratégie politique de Washington en Amérique latine peut dans les grandes lignes se résumer comme suit : choyer les gouvernements et les mouvements qui soutiennent ses objectifs économiques, sécuritaires et de politique étrangère et essayer d’éliminer ceux qui ne le font pas.

De ce point de vue, Barack Obama a réussi à prêter main plus que forte à Donald Trump. Tandis qu’à l’époque de l’arrivée d’Obama à la Maison Blanche en 2009 la majorité des Latino-Américains vivaient sous des gouvernements progressistes qui, d’une manière générale, avaient cherché à accroître leur indépendance à l’égard des États-Unis, lorsqu’il a quitté le pouvoir, seule une petite poignée de pays étaient encore dirigés par des gouvernements de gauche.

Barack Obama n’a pas joué un mince rôle dans l’instauration de ce changement politique tectonique. En 2009, lui et sa première secrétaire d’État, Hillary Clinton, ont prêté main forte à un coup d’État de droite victorieux au Honduras, fomenté avec l’aide de l’armée, en entravant les efforts faits pour rétablir le président de gauche Manuel Zelaya [7].

L’année suivante, les États-Unis intervenaient dans les élections haïtiennes et réussissaient, en faisant pression sur les autorités du pays, à obtenir qu’elles modifient [8] arbitrairement le résultat du scrutin afin d’assurer la victoire d’un candidat de droite pro-américain.

En 2011, le Département d’État américain faisait échec aux efforts de la région pour inverser un « coup d’État parlementaire » qui destituait le président de gauche du Paraguay à l’issue d’un processus très largement contesté [9].

Durant l’été 2016, le gouvernement Obama a soutenu au Brésil, de tout son poids diplomatique, les acteurs politiques corrompus de droite qui ont chassé du pouvoir la présidente de gauche Dilma Rousseff en mettant en œuvre une procédure de destitution entachée d’irrégularités et très controversée [10].

À peu près au même moment, l’administration américaine s’opposait à des prêts multilatéraux au gouvernement de gauche de Cristina Kirchner, aggravant une situation économique tumultueuse qui a contribué à sceller la victoire du candidat multimillionnaire de droite Mauricio Macri aux élections présidentielles de 2015.

La défaite de la gauche au Brésil et en Argentine a signé l’effondrement de deux des piliers du mouvement progressiste d’intégration en Amérique latine au début du XXIe siècle. Un pilier est resté debout, en résistant obstinément aux tentatives répétées de Washington de déloger son gouvernement : le Venezuela.

Barack Obama à fait tout ce qu’il pouvait pour chasser les « chavistes » du pouvoir dans ce pays. En 2013, son administration a refusé de reconnaître la victoire électorale de Nicolas Maduro, malgré l’absence prouvée de fraude électorale [11].

En 2015, en même temps qu’il prenait des mesures pour normaliser les relations avec Cuba, le président américain classait le Venezuela parmi les pays présentant une « menace extraordinaire pour la sécurité nationale » afin de justifier l’imposition de sanctions ciblant de hauts responsables [12] du gouvernement de ce pays. Toutefois, en août 2017, Trump marquait un point sur Obama, en imposant de sévères sanctions économiques qui réduisaient très fortement l’accès du Venezuela aux marchés financiers internationaux, exacerbant ainsi la crise économique que traversait ce pays [13]. Des sources de la Maison Blanche ont révélé que le président américain avait même envisagé une invasion militaire du Venezuela [14].

Suite de l’article Ici.

Alexander Main
Directeur de la politique internationale au Center for Economic and Policy Research (CEPR, Centre de recherches sur l’économie et les politiques, Washington).


Voir en ligne : http://www.medelu.org/L-Amerique-la...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[1Ndt. Fondé en 1921 et se définissant comme un Think Tank non partisan ayant pour but d’analyser la politique étrangère des États-Unis et la situation politique mondiale, il est considéré comme l’un des plus influents en politique étrangère. Il regroupe quelque 5000 membres issus des milieux d’affaires, de l’économie et de la politique et publie une revue bimensuelle Foreign Affairs.

[2Julia E. Sweig, Shannon K. O’Neil, Charlene Barshefsky and James T. Hill (ed.), U.S.-Latin America Relations : A New Direction for a New Reality, Washington, DC, Council on Foreign Relations, 2008.

[3Ndt. Le 30 avril 1948, 21 États d’Amérique signaient la Charte de Bogota qui fondait l’OEA, affirmant le respect de chaque nation et l’engagement à coopérer en vue de buts communs. L’OEA regroupe aujourd’hui tous les États d’Amérique et son assemblée générale annuelle réunit les ministres des affaires étrangères du continent. Chargée de défendre les droits de l’homme et de lutter contre la corruption, elle est en pratique dirigée contre la pénétration communiste : elle a exclu Cuba en 1962 du Système interaméricain. Le Forum de São Paulo, qui rassemble les mouvements et partis progressistes d’Amérique latine, l’a qualifiée de « ministère des colonies des États-Unis ». Source : Wikipédia

[4OAS, « At the OAS, Kerry Urges Region to Strengthen Democracies, Invest in Education and Combat Climate Change », Press Release, 18 November 2013.

[5Ndt. C’est en 1823 que le président républicain James Monroe s’adressant au Congrès prononce le discours qui a fondé la « doctrine Monroe », qui exigeait l’arrêt de la colonisation et de toute intervention européenne sur le continent nord et sud-américain et s’engageait en contrepartie à ne pas intervenir dans les affaires européennes, ce qui faisait de facto de l’Amérique latine la chasse gardée des États-Unis. D’après Wikipédia.

[6« Secretary of State Rex Tillerson – On U.S. Engagement in the Western Hemisphere », University of Texas, Austin, 1er février 2018.

[7Alexander Main, « A New Chapter of Engagement : Obama and the Honduran Coup », NACLA Report on the Americas, vol. 43, n° 1, 2010.

[8Jake Johnston and Mark Weisbrot, « Haiti Fatally Flawed Election », CEPR, janvier 2011.

[9Natalia Viana, « USAID’s Dubious Allies in Paraguay », The Nation, 29 avril 2013.

[10Mark Weisbrot, « Kerry’s Meeting with Brazilian Official Shows Support for Illegitimate Government », The Hill, 9 août 2016.

[11Mark Weisbrot, « The United States shows its contempt for Venezuelan democracy », The Guardian, 22 avril 2013.

[12The White House, « FACT SHEET : Venezuela Executive Order », Press Release, 9 mars 2015.

[13Mark Weisbrot, « Trump’s Sanctions Make Venezuela’s Economic Recovery Nearly Impossible », The Nation, 7 septembre 2017.

[14Joshua Goodman, « Trump pressed aides on Venezuela invasion, US official says », Associated Press, 5 juin 2018.

   

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