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« Respecter les animaux, c’est d’abord respecter leurs différences »

mercredi 21 novembre 2018 par Lucie Fougeron pour l’Huma Dimanche

Véganisme et antispécisme envahissent, parfois avec violence, l’espace public. En éclairant l’évolution de nos rapports aux animaux, l’anthropologue Jean-Pierre Digard pointe les pièges d’un nouvel obscurantisme.
Face à la montée en puissance de l’« antispécisme » – niant les différences entre espèce humaine et animaux qui fonderaient une discrimination à l’origine de la domination des premiers sur les seconds –, l’anthropologue Jean-Pierre Digard, spécialiste des relations hommes-animaux, publie « L’animalisme est un anti-humanisme ».

Passant au crible des connaissances scientifiques ce « nouvel obscurantisme », il analyse ce qui sous-tend l’évolution de nos rapports aux animaux – notamment le rôle de leur domestication dans l’histoire de l’humanité. Car améliorer leur sort – dans le cadre d’un système économique qui maltraite les animaux… comme les humains – implique la prise en compte de l’ensemble de leur réalité, fondant le respect que nous, humains, leur devons. Des enjeux qui dépassent la question du statut des animaux et interrogent notre rapport à notre humanité.

Les actions violentes, notamment contre des boucheries, des abattoirs, menées par des militants qui se revendiquent de l’« antispécisme » font l’actualité. Quelle est cette idéologie ? Et quelle réalité recouvre l’écho considérable donné à ces idées ?

Les militants de la cause animale forment une nébuleuse aux multiples aspects, depuis la compassion jusqu’à l’activisme radical et sectaire. Plus précisément, il faut distinguer les végétariens, qui s’abstiennent de consommer de la viande, les végétaliens, qui refusent toute consommation de produits animaux, non seulement viande, mais aussi lait, œufs, miel, etc., et enfin les véganiens (de préférence à « vegans », pour parler français), qui combattent toute possession et utilisation d’animaux de quelque manière que ce soit.

Il est important de préciser qu’il s’agit là de mouvements ultraminoritaires puisqu’ils ne représentent respectivement que 2 %, 1 % et 0,5 % de la population française. Les véganiens ont donc besoin d’actions spectaculaires, comme ces attaques d’abattoirs et de boucheries, pour faire parler d’eux, ce à quoi ils parviennent parfaitement, la grande presse étant toujours avide de scoops.

Le véganisme se donne pour objectif la « libération animale » au nom de l’« antispécisme ». Selon ce dernier principe, quiconque est, par exemple, opposé à la peine de mort pour les humains se devrait de refuser également l’abattage des animaux de boucherie, la chasse, la pêche, l’élimination des prédateurs, des parasites, etc.

Le mot est calqué sur celui d’« antiracisme » pour l’espèce humaine. Or les deux notions n’ont rien de comparable : alors que l’absurdité du racisme tient à l’inexistence des races dans l’espèce humaine, l’antispécisme est absurde, à l’inverse, parce que les espèces existent bel et bien, et qu’elles ont un contenu biologique qui dresse entre elles des barrières génétiques infranchissables, sauf rares cas d’hybridation.

Par ailleurs, il suffit d’indiquer qu’il existe quelque dix millions d’espèces animales, qui vont des invertébrés aux primates, pour faire comprendre qu’il s’agit là d’un objectif totalement irréaliste. Peut-on réserver un traitement identique à son enfant et à son chien, à son chien et à une tique ?

À l’arrière-plan de ces coups d’éclat, on constate que le sujet de la condition animale est devenu sensible dans la société française. Comment expliquez-vous le développement de cette sensibilité ?

Cette évolution des idées s’explique par l’évolution de notre société. Aujourd’hui, une immense majorité des Occidentaux sont des urbains qui ont perdu tout contact avec leurs lointaines racines paysannes et avec la culture animalière correspondante. La seule référence animale de la plupart d’entre eux est celle des animaux de compagnie, chats ou chiens, à l’image desquels ils ont tendance à voir tous les autres animaux, animaux domestiques comme les bovins et même animaux sauvages.

Comparé au sort des animaux de compagnie anthropomorphisés à l’extrême, surprotégés et considérés comme des membres de la famille, le sort des animaux de rente, élevés pour être abattus et mangés, apparaît à nombre de gens comme choquant. La complaisance montrée par une certaine presse envers les animalistes contribue à accentuer encore ce phénomène. Cela n’empêche pas 98 % des Français de manger peu ou prou de la viande. De fait, le sort des animaux de rente ne fait pas partie des préoccupations principales des Français que sont le pouvoir d’achat, l’emploi, le logement, la sécurité, etc.

Ces préoccupations et ces débats sont-ils propres aux sociétés occidentales ?

Oui, ils le sont ! La plupart des sociétés d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud ont bien d’autres soucis. Elles considèrent même notre compassion envers les animaux comme une préoccupation quelque peu risible.

La prise en compte du bien-être animal est au cœur de ces débats. Que recouvre cette notion et en quoi pose-t-elle problème ?

Le problème est que cette notion reste floue : à moins de devenir soi-même chien, vache ou porc, personne ne saura jamais exactement ce qu’est le « bien-être animal ». Du fait de cette imprécision, le bien-être animal est devenu le cheval de Troie des animalistes, qui s’en servent pour en réclamer toujours plus, à commencer par la mise au vert de tous les animaux – au mépris des risques sanitaires que cela implique, comme la grippe aviaire apportée par les oiseaux migrateurs –, en attendant leur « libération »…

Les filières professionnelles liées à l’élevage et les éleveurs en particulier sont les grands accusés d’un procès qui va de la maltraitance à la mise en cause de la domestication comme forme de domination. Selon vous, cela ne correspond pas à la réalité…

Le grand mensonge des animalistes est de présenter les quelques cas de maltraitance animale manifeste qui ont été dénoncés par l’association L214 à grand renfort de télévision comme étant la généralité. Il s’agit au contraire de cas isolés. Les éleveurs et les employés des abattoirs sont des professionnels qui effectuent correctement un travail particulièrement difficile, le plus souvent sans rémunération correcte. Les présenter en plus comme des bourreaux d’animaux est inacceptable.

Les cas, encore une fois exceptionnels, de maltraitance animale s’observent dans des situations de grande détresse économique et/ou psychologique. Les éleveurs sont la catégorie socioprofessionnelle qui présente le plus fort taux de suicide : un tous les deux ou trois jours. La meilleure façon d’améliorer le sort des animaux consisterait donc à commencer par améliorer celui des hommes qui travaillent avec eux.

Dans le cadre de l’élevage intensif, sous pression de la concurrence internationale et de la recherche du profit au plus bas coût, vous dénoncez la surexploitation à la fois des humains et des animaux… N’est-ce pas alors le système économique à l’origine de cette situation qui doit être mis en question ?

Sans aucun doute, la recherche du rendement dans les abattoirs est en cause, de même que la politique des prix bas. Cela dit, il faut bien se rendre compte que, dans le contexte actuel d’augmentation de la population humaine, d’une part, et de diminution des surfaces de terres et de la main-d’œuvre agricoles, d’autre part, l’intensification de l’élevage est inéluctable.

La seule problématique qui vaille est donc de chercher à ce que cette intensification ne nuise pas au respect que nous devons aux animaux. Car, autant la notion de « droits » des animaux ne tient pas – il ne saurait se concevoir de droits qui ne s’accompagneraient pas de devoirs : veut-on revenir aux procès d’animaux comme il s’en tenait au Moyen Âge ? –, autant celle de devoirs des humains envers les animaux devrait s’imposer. Et le premier de ces devoirs est un devoir de respect.

Or respecter les animaux, c’est respecter leurs différences : on ne saurait traiter les poules, les porcs, les chevaux, les chiens (et les enfants) de la même manière, sauf à les mal-traiter. Bref, le respect des animaux, c’est le spécisme, pas l’antispécisme !

Prétendre que le droit français considère les animaux comme des choses est un autre des mensonges de l’animalisme, écrivez-vous. Qu’en est-il exactement ?

Le Code civil stipule que les animaux appartiennent à la catégorie des biens meubles puisque, à la différence des biens immeubles, ils peuvent se déplacer ou être déplacés. Cela ne veut nullement dire, comme le prétendent les animalistes, par ignorance ou par mauvaise foi, que les animaux sont assimilés à des tables ou des chaises ! Quant à les reconnaître comme des « êtres vivants doués de sensibilité », c’est une évidence qui est déjà inscrite depuis belle lurette dans le Code rural.

Alors que les animalistes affirment se battre pour l’amélioration du sort des animaux, vous écrivez qu’ils « ne les aiment pas vraiment » et même « détestent encore plus les humains »…

Ce n’est ni aimer les animaux ni aimer les humains que d’exiger la « libération » de milliards d’animaux domestiques qui appartiennent à des espèces dont le sort est lié à celui des humains depuis plus de dix millénaires.

Au-delà des polémiques qui agitent le débat public, quelles conséquences peut entraîner l’activisme des mouvements animalistes ?

Le risque est de sinistrer l’élevage et les activités dérivées, avec de graves conséquences sur l’alimentation humaine, comme des carences en vitamine B12, etc., l’entretien des paysages et des écosystèmes – les pâturages sont d’excellents capteurs du dioxyde de carbone… Mais, pour parler franchement, je n’arrive pas à être vraiment inquiet : les revendications des animalistes sont tellement irréalistes, « hors-sol », que je doute qu’elles réussissent un jour, même lointain, à s’inscrire dans la réalité.

Face à cela, vous appelez à recentrer le raisonnement « sur l’homme, sur ses intérêts et sur ses devoirs »…

Certes, l’homme a beaucoup détruit, ne serait-ce que par sa seule progression démographique. Mais il a aussi beaucoup protégé, en instaurant des réserves naturelles, en instituant des espèces protégées, etc. Il a même produit de la biodiversité en créant de multiples races de bovins, d’ovins, d’équidés…

Mais, à force de charger l’homme de tous les maux, l’antispécisme des animalistes les a conduits à pratiquer un spécisme anti-humain, d’où le titre de mon livre : « L’animalisme est un anti-humanisme ». Or, quoi qu’en disent les animalistes, ce sont les humains qui gouvernent et continueront à gouverner le monde, tant bien que mal. Et je ne pense pas qu’ils laisseront s’installer des pratiques aussi évidemment contraires à leurs intérêts spécifiques. Non, décidément, le spécisme anti-humain des antispécistes ne passera pas !


Voir en ligne : https://www.humanite.fr/respecter-l...

   

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