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Avant que le calme ne pèse comme un couvercle

vendredi 7 juillet 2023 par Olivier Tonneau

Ainsi donc, le calme reviendrait. J’assume un sentiment qui certainement n’appartient pas qu’à moi : cela m’inquiète.

Non que je ne compatisse avec les gens qui ont vu leur voiture brûlée, les petits commerçants qui ne savent pas comment rembourser la vitrine effondrée, les passants pris de peur et les parents des émeutiers qui certainement ont tenté de les garder chez eux avant de craindre jusqu’au matin qu’ils ne soient morts ou estropiés.

Non que je me fasse des illusions sur une révolte qui n’était pas une révolution. Marat écrivait au lendemain du 4 Août que les députés à l’Assemblée nationale avaient décrété l’abolition des privilèges « à la lueur des flammes de leurs châteaux incendiés ». Les paysans de 1789 ne s’en prenaient ni aux écoles, ni aux gymnases, mais bien aux demeures du pouvoir.
Ils exerçaient une scrupuleuse retenue de la violence : les jacqueries qui se propagèrent dans toute la France ne firent que six morts, tous lors de face-à-face avec l’armée royale. Le 20 juin 1792, quand le peuple force l’entrée du Louvre pour vérifier que le roi s’y trouve bien, on ne déplore qu’une seule victime : une femme qui avait dérobé un vase, lynchée par les insurgés qu’elle avait déshonorés.

La retenue de la violence était une marque de dignité. Elle signifiait : nous ne sommes pas des brigands amassant un butin ; nous sommes le peuple qui défend ses droits.
Une nuit, en Normandie, des paysans se présentèrent à la porte du château, armés de piques et de fourches, pour exiger du seigneur ses titres féodaux. Celui-ci les ayant donnés, ils lui remirent un reçu signé : « La Nation ».
La force des paysans résidait dans ce sentiment de leurs droits enraciné dans la conscience qu’ils nourrissaient la nation qui les opprimait. Ils exigeaient la propriété des terres qu’ils cultivaient et la restauration des autorités communales dans lesquelles avaient siégé leurs grands-parents.

Quand les insurgés d’aujourd’hui incendient non seulement des mairies mais des écoles et jusqu’à leurs autobus, on mesure la profondeur du gouffre qui les sépare d’une société dans laquelle ils ne semblent même pas se reconnaître la propriété des biens communs.
En-deçà de la confrontation avec l’État, viscéralement légitime, il manque ce socle social qui devrait être le territoire à reconquérir.

Les révoltes étudiantes commencent par l’occupation des universités, celles des banlieues par la destruction des écoles : un raccourci sans doute, mais dans lequel on voit que les uns luttent de l’intérieur et les autres depuis une position d’extériorité radicale. Effroyable extériorité dont on ne saurait plus s’étonner tant les causes en sont connues.

Rien de tout cela ne m’empêche de ressentir une solidarité profonde avec ceux qui aujourd’hui manifestent leur rage après un crime atroce, étincelle qui met le feu aux poudres accumulées depuis des décennies sinon des siècles. Il serait puéril et lâche de retenir cette solidarité au motif que la pulsion de vie, c’est-à-dire de liberté, prend des formes destructrices : les flammes ont la couleur de ce qui les a fait naître.

Ces jeunes, on les aimerait tellement mieux s’ils étaient anticapitalistes. Mais ils vont piller Séphora ! Séphora ne m’inspire que l’écœurement de l’air conditionné saturé de parfums et la tristesse de jolies vendeuses au visage plâtré de fond de teint. Pillez Séphora, je le veux bien.
Évidemment, j’aurais préféré qu’ils pénètrent à l’Élysée comme leurs ancêtres dans le Louvre.

(Leurs ancêtres, oui, parfaitement. Kateb Yacine le savait déjà quand dans une pièce écrite en hommage à Robespierre, il liait révolution française et guerre d’Algérie, massacres du Champ de Mars et de Charonne.)

J’aurais donc préféré qu’ils entrent à l’Élysée, mais l’Élysée est bien gardé.

J’aurais préféré qu’ils saccagent la BNP. Peut-être l’auraient-ils fait si tous les jours, une main généreuse avait glissé L’Humanité sous leur porte. Mais en fait d’humanité, ils n’ont que la télévision, le culte de l’entrepreneur, de la concurrence dont la récompense est la consommation.
Les bourgeois voudraient les voir trimer sur leur vélo Deliveroo pour amasser humblement de quoi s’acheter un parfum soldé ; en respectant les règles, ils leur rendraient hommage et avoueraient que les riches ont bien mérité.
Ils ne le croient pas, ni moi non plus.
Il n’a jamais été aussi criant que la propriété, c’est le vol. D’où il s’ensuit nécessairement que le vol, c’est la propriété. Chacun tient son bout de la chaîne. Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?

Évidemment on aimerait que ces jeunes, plutôt que de lutter avec les riches pour la possession des mêmes objets, rompent avec eux pour tendre à d’autres idéaux. On voudrait que l’émeute ait une visée politique.
Qu’on se rassure : c’est le cas. Mais elle n’y tend pas comme on voudrait.

L’attaque de la maison du maire de L’Haÿ-les-Roses fait froid dans le dos. Mais elle est politique, n’en déplaise au gouvernement qui feint de n’y voir que le fait de brigands mécontents qu’on entrave leur pillage. La violence des assauts ne signifie pas que leurs cibles ne sont pas choisies.
L’extrême-droite attaque un maire qui veut accueillir des migrants, elle n’attaque pas des maires d’extrême-droite ; que je sache, les émeutiers n’ont pas attaqué des maires de gauche mais uniquement le porte-parole des Républicains.
Les Républicains qui crient sur tous les tons que la police fait bien de décimer la racaille des cités. Non que j’approuve cette agression. S’en prendre aux élus, ce n’est plus la politique, c’est la guerre ; s’en prendre aux familles et aux enfants, c’est la guerre sans merci.

Faut-il alors rappeler aux agresseurs qu’en politique, on a des adversaires mais non pas des ennemis ?
Mais comment le faire quand les Républicains eux-mêmes ont fait de cette jeunesse leur ennemie ?
Durant leur primaire, alors qu’Eric Zemmour avait le vent en poupe et qu’ils cherchaient à prendre son sillage, aucun des quatre candidats n’a osé dire que le grand remplacement était une élucubration raciste.
Depuis qu’Eric Ciotti a pris la tête du parti, il n’a de cesse de renchérir sur l’extrême-droite avec le soutien zélé de son porte-parole. On peut condamner l’agression et rappeler qu’au fondement de la distinction entre l’ennemi et l’adversaire, il y a le respect par l’adversaire du principe fondamental de la République : l’égalité sans distinction d’origine, de couleur ou de religion.

On ne peut y manquer et s’étonner de s’entendre répondre, comme Merteuil à Valmont : « Eh bien ! la guerre. »

Mais ils ne s’en étonnent pas – ils jubilent.
Cette guerre est le plus grand désir des Zemmour et des Bardella, des Darmanin et des Ciotti. On est saisi d’effroi en les entendant dérouler, avec une efficacité d’autant plus implacable qu’aucune contradiction ne leur est opposée, leur discours de lutte des civilisations, leurs appels à la répression, l’emprisonnement et la déportation.

Nul besoin d’être sociologue pour savoir qu’il n’y a rien de sensé, rien d’applicable dans cette exaltation martiale et qu’on pourrait déployer tanks, charters et matons sans rien changer à la situation. Nul besoin d’être psychologue non plus pour deviner, quand le pays bout d’une indignation qui doit autant aux émeutes qu’à la télévision, la séduction de ces postures qui n’ont d’autre visée que d’être au diapason des émotions.

L’extrême-droite est le camp de la haine assumée.
Le macronisme n’a pas la même franchise.

« Le chef de l’état pourrait tenter de renouer avec la jeunesse », écrit très sérieusement Le Monde, en faisant montre « d’empathie ». On lui souhaite bien du courage. Il n’est pas sûr que la qualifier de rejetons décivilisés de parents irresponsables soit très « agile ».
Pour qui ne le saurait pas, Agile est méthode managériale (prononcer « adjaïle »). Il est terrible de voir des êtres déshumanisés par leur idéologie mercantile singer les émotions du commun des mortels en appliquant des techniques trouvées dans des manuels.

Les vrais décivilisés ne sont pas ceux qu’on pense et je crains que la jeunesse n’emmerde le Front managérial. Le président le sait bien car il se moque de la jeunesse : il ne chercher qu’à rallier autour de lui ce qu’il reste dans ce pays de conservateurs dans le déni de la haine qui les ronge. Il est apparemment plus confortable de réprimer des gens dont on s’est convaincu qu’on les a tant aimés.

Pendant ce temps, la gauche appelle au calme, on ne sait pas pourquoi. Avec une candeur merveilleuse, Fabien Roussel répondait à un journaliste qui lui demandait s’il pensait que sa voix serait entendue : « Franchement, je ne pense pas. » Comment mieux dire que l’appel au calme ne s’adresse pas aux jeunes et n’a d’autre fonction que de montrer patte blanche aux bourgeois.

Eh bien moi, je n’appelle pas au calme. Malgré tous les travers de l’émeute. Car je sais qu’avec le calme, les jours reprendront leur cours ordinaire, de contrôles au faciès en tirs de LBD, de nasses en détentions abusives, de fichages en jeunes assassinés – on finirait par l’oublier mais c’est par là que tout a commencé.
J’aimerais bien sûr que les émeutiers deviennent révolutionnaires, qu’ils choisissent leurs cibles, qu’ils exercent la retenue de la violence qui s’accorde si bien avec la dignité. Mais je ne vois pas de quel droit je leur dirais qu’ils doivent tout benoîtement rentrer dans leurs foyers et souffrir en silence.

« Pas de justice, pas de paix » n’est pas qu’un slogan militant.
C’est également un axiome du droit romain : Ubi societas, ibi ius. Où il y a société, il y a justice, car c’est elle qui en fait la cohésion - qui en fait une res publica.
L’Etat ne décrète pas la justice, il doit au contraire s’y conformer, ce qui suppose qu’il sache l’entendre dans le cri de l’opprimé. Prétendre que ce cri ne signifie rien est le comble de l’hypocrisie quand chacun sait ce qu’il faut faire.

Qui doute que si le gouvernement annonçait demain la dissolution de l’IGPN, le récépissé de contrôle au faciès, l’abrogation des lois donnant aux policiers permis de tuer, des peines d’une exemplaire sévérité envers tout policier manquant à son devoir - car il est absurde que l’injure soit aggravée quand elle vise un dépositaire de l’autorité publique mais non quand elle est commise par lui - l’émeute s’apaiserait ?

Jean-Luc Mélenchon affirmait hier ces évidences, face à un missionnaire de la réaction déchaînée, avec la force et la gravité dont lui seul est aujourd’hui capable - non seulement grâce à ses talents d’orateur mais surtout grâce à son courage.
Il faudrait être sourd au sentiment de l’urgence qui l’anime pour le croire motivé par l’électoralisme, a fortiori quand ceux qu’il défend lui sont déjà acquis. Il a tout à perdre en affirmant la profondeur du mal de la police et en appelant à un comité « Justice et vérité ». Il le fait néanmoins pour sauver, s’il se peut, un pays gangrené par la haine. Mais il a fort à faire face au concert de calomnies orchestré par ceux qui cachent leurs chemises brunes sous leurs beaux costumes bleus.

Le mot « fascisme » est tellement galvaudé que quiconque l’utilise est accusé d’exagérer. Je ne l’emploie pas à la légère. Le fascisme est parfaitement compatible avec le suffrage universel, pourvu que celui-ci n’ait d’autre fonction que plébiscitaire.
La différence entre la démocratie et le fascisme est que la première est fondée sur la représentation et le second sur l’incarnation. En démocratie, le citoyen contrôle celui qui le représente et vérifie qu’il accomplit sa volonté. En régime fasciste, l’individu se soumet au guide et à sa volonté. Qui ne le fait pas sera déclaré traître et pourchassé.
Ceci posé, comment qualifier un régime hyper-vertical qui méprise la représentation parlementaire, les corps intermédiaires, les associations, les militants, déchaîne sur eux une répression féroce adossée à des moyens de surveillance toujours plus étendus au détriment des libertés publiques, et qui justifie sa conduite en exigeant de chacun l’adhésion à son idéologie ?

Que la France ne soit pas un état fasciste en droit ne doit pas masquer qu’elle l’est presque déjà de fait.

Qu’il y ait des échéances électorales ne rassurera que ceux qui n’ont pas encore compris qu’elles seront précisément la voie par laquelle le fascisme arrivera au pouvoir sans qu’on puisse rien lui reprocher. Toutes les réserves qu’a pu ces derniers mois m’inspirer la France insoumise ne changeront rien à la gratitude que je lui voue pour sa résistance opiniâtre. Cette gratitude va tout d’abord à son chef pour avoir su parler pour les pauvres, les opprimés et pour moi.

Si comme on peut le craindre, sa parole ne suffit pas, le temps d’autres révoltes viendra dont nul ne peut prédire ni la forme, ni l’issue. Quand une société a détruit la justice qui la fonde, la relation entre la justice et la paix prend un nouveau sens, énoncé au XVIe siècle par le juriste Johannes Jacobus : Fiat iustitia, et pereat mundus – que justice soit faite, même si le monde doit périr.

Pour les curieux l’intervention de Mélenchon :

Le calme, ça se construit

https://www.youtube.com/watch?v=7t78tiuYplg&t=164s


Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/olivier-...

   

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