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L’Afrique en gésine : réalités et visions orientées

dimanche 1er octobre 2023 par Francis ARZALIER (ANC)

Depuis quelques mois, nos médias, publics et privés, et notamment ceux audiovisuels préposés à formater l’esprit des plus modestes et les moins diplômés de l’opinion française en ressassant les poncifs de l’idéologie libérale, ont découvert l’Afrique. La foule « d’experts » qui y monopolise l’image et la parole, dont les compétences consistent parfois à savoir parler de tout sans en connaître rien, s’´étonnent à qui mieux mieux de la série de « coups » d’États militaires qui ont imposé leur pouvoir en Afrique dite « francophone », parce qu’elle fut autrefois de l’Empire colonial français.

Ces pays qu’on disait il n’y a pas si longtemps le « Pré-carré » du Quai d’Orsay, Guinée et Centrafrique, puis Mali et Burkina Faso, et enfin Niger et Gabon, se sont extraits de leur « démocratie électorale à l’occidentale » et de l’alliance du parrain français, sous la direction de jeunes officiers de l’armée nationale.

Cacophonies médiatiques

Les qualificatifs les plus divers s’envolent en fouillis de ces vecteurs de manipulation des foules que sont devenus nos petits écrans, une cacophonie telle qu’elle risque de perturber un public-cible, encore largement imprégné de vieilles nostalgies coloniales.
« Épidémie de Putschs », « Contagion » : des termes qui assimilent cette réalité africaine à une pathologie, une maladie de pays qui se détournent de la « Démocratie « rythmée d’élections périodiques comme la France.
Ces Juntes provisoires sont aussi qualifiées de façon péjorative de « Populistes », ce qui revient à leur reconnaître un soutien populaire, tout en les condamnant.
On les dit aussi « Souverainistes », une façon de reconnaître que ces Juntes expriment toutes leur désir d’une véritable indépendance nationale sans tutelle extérieure, tout en la vouant aux gémonies.
Certains même de nos « experts » ont tenté sans grand succès d’attribuer les « Coups d’États » à l’influence russe, parce que quelques manifestants isolés en avaient brandi le drapeau à Bamako ou Niamey. Une thèse qui a fait long feu, trop décalée des réalités d’un pays qui est loin d’être l’URSS d’autrefois, engoncé dans la guerre d’Ukraine.

Les stigmates d’un passé commun

Les pays concernés par cette « épidémie » ont tous fait partie de l’Empire colonial de la France, jusqu’en 1960, et ils en ont subi les contraintes, qui les marquent encore aujourd’hui : sujétion politique en faveur de la « métropole », découpage administratif artificiel sans tenir compte des clivages culturels et des volontés des populations, progrès économiques réduite à la production et l’exportation de matières premières nécessaires aux industries métropolitaines, acculturation « d’élites évoluées » asservies aux autorités coloniales face à un dénuement pérenne de la majorité de la population….
Après l’effondrement de l’Empire français, et l’ère des Indépendances octroyées des années 1960, ce fut le début d’une Afrique « francophone » divisée en petits États largement héritiers du statut colonial précédent légué par la France :

  • - des frontienres artificielles d’origine coloniale, ignorant les volontés populaires et les clivages culturels ;
  • - des États dépourvus de ressources et endettés, assujettis aux volontés de Paris puis de ses alliés Occidentaux par des « accords « léonins, politiques, économiques, militaires et monétaires, symbolisés par le franc-CFA et les bases militaires françaises. ;
  • - des économies sans industries productives, toujours réduites à l’exportation de richesses naturelles, qui génèrent chômage et pauvreté, entraînant une émigration appauvrissante, et nourrissant toutes les délinquances face à des dirigeants corrompus, issus souvent d’élections truquées, voire d’interventions militaires françaises, incarnant un État perclus de concussion et de clientélisme, et surtout incapable d’assurer la sécurité des citoyens et la paix civile.
    Ces tares politiques et sociales, présentes depuis soixante ans, ont explosé quand la France de Sarkozy a détruit en 2011 l’État national libyen, déstabilisant par contrecoup toute la zone sahélienne. C’est alors qu’ont commencé à fleurir les bandes armées aux franges du désert, séparatistes touaregs dans le Nord du Mali et au Niger, djihadistes armés brandissant la Charia, et surtout trafiquants de drogue, de migrants et d’armes, qui recrutent d’autant plus facilement de jeunes désœuvrés qu’ils leur procurent argent et pouvoir d’enrichissement, dans un contexte de délitement de l’État national.

En 2014, toute la zone immense dite des « 3 frontières » (nord du Mali, provinces extérieures du Burkina et du Niger) était aux mains des bandes armées, et des centaines de milliers de réfugiés affluaient vers les villes de Bamako, Niamey ou Ouagadougou pour échapper aux combats et aux exactions xénophobes. Cette situation dramatique a servi en 2014 de justification au déploiement de troupes étrangères (Opex françaises Serval puis Barkhane, et contingents Onusiens Minusma) avec au départ l’assentiment des populations malmenées.

Mais, après plus de huit ans d’ingérences militaires étrangères, parsemées d’exactions, l’insécurité n’a fait qu’empirer, ce qui se traduit par le rejet massif par la majorité des citoyens, et un large soutien aux coups d’État militaires.

Un « dégagisme » en Afrique « francophone «  ?

Des Juntes Souverainistes » peut-être, même si le vocable prête à confusion, parce qu’il se veut péjoratif, alors qu’il est le visage d’un rejet massif dans les jeunes générations africaines du vieil héritage colonial et de ses avatars néo-coloniaux, des élections truquées au profit d’élites de culture française, de la corruption et la servilité du personnel politique, alors même que les problèmes sociaux s’accroissent pour la majorité.
Ceci étant, si les responsabilités de la férule française sont une réalité évidente, durant l’Empire colonial puis de 1960 à nos jours (pillage des richesses naturelles et non-développement assurés par les accords inégaux depuis les Indépendances formelles), cette exigence « souverainiste » ne repose pas toujours sur une analyse historique rationnelle et un projet de société nouvelle indépendante politiquement et économiquement.

C’est ce qui différencie la période des Indépendances au 20éme siècle, où les luttes populaires étaient organisées par des syndicats et partis progressistes structurés, souvent d’inspiration marxiste, comme le Rassemblement Démocratique Africain, et de leaders prestigieux, comme le malien Modibo Keita, le Guinéen Sékou Touré, ou plus tard le Burkinabé Sankarah.
Tous, quels que soient par ailleurs leurs faiblesses, avaient un projet cohérent de nouvelle sociétés panafricaines, indépendante politiquement, militairement, et économiquement, de nations bâties sur l’égalité sociale et la paix entre les peuples, au-delà des différences culturelles. Ils parvinrent parfois à quelques succès notables, en matière d’éducation par exemple, et de construction d’une nation ; à Bamako il y a vingt ans, on se disait Malien, avant de s’affirmer Bambara, Peulh ou Dogon. Il a fallu la vague insurrectionnelle après 2010 pour y voir des milices Dogon combattre par les armes des Peulhs accusés en bloc de sympathies djihadistes, et renouveler ainsi les antiques xénophobies contre la Nation de Modibo Keita.

Les tentations d’intégrisme islamiste ont aussi prospéré sur le vide idéologique lié à la déliquescence des partis progressistes après 1990, perte d’influence et de cohérence politique, au profit de la corruption carriériste et du clientélisme. Dans tout l’Ouest africain, malgré des contextes divers, le tissu des organisations progressistes est en reconstruction, en quête de repères idéologiques en partie détruits après la disparition de l’URSS, et du mouvement communiste qui lui était lié. Une reconstruction d’autant plus laborieuse que la Chine aujourd’hui, malgré son pouvoir attractif en Afrique, ne se pose pas en modèle de société.

Ce qui amène à un diagnostic rarement énoncé par nos médias français, et pourtant évident :

L’impuissance actuelle des partis progressistes dans l’ouest africain, parfois sans influence aucune (le Mali en dénombre près de 200 !) et souvent déliquescents idéologiquement, n’ont laissait d’autre issue à un mécontentement grandissant, que les coups d’état militaires.

Cela se traduit parfois aussi par le rejet de la France en général, alors que par ailleurs on rêve sans espoir d’émigrer vers ce moderne Eldorado, et la méconnaissance d’autres impérialismes que celui incarné par Paris.
Le résultat est un « dégagisme » parfois incohérent, parce qu’il oublie de condamner aussi tous les profiteurs locaux du système néo-colonial : politiciens et affairistes corrompus, civils et militaires, trafiquants locaux de migrants, de drogues et d’armes. Intégristes religieux, tribalistes et séparatistes anti-nationaux.
Le fait d’être un officier de carrière africain, formé souvent par les écoles militaires de France ou des USA, n’est pas une garantie d’intégrité et de refus de la corruption, pas plus aujourd’hui qu’hier. Si les responsabilités des pays impérialistes, y compris de la France sont indéniables, ils ne peuvent servir de boucs émissaires désignés à tout instant.
L’avenir ne pourra être construit qu’en toute lucidité.

Similitudes et diversités africaines

Les États d’Afrique de l’Ouest présentés schématiquement par les médias français comme subissant la même pathologie « golpiste » (comme si la France sur le point de basculer dans la xénophobie sécuritaire était en mesure de donner des leçons de « démocratie ! »), sont en réalité semblables par leur héritage historique, mais aussi profondément différents.
Tous traînent encore le poids des pesanteurs coloniales et impérialistes, qui sont en 2023 toujours actuelles.

Dans un non-développement commun.

Le Niger produit depuis longtemps le minerai d’uranium qui a permis à la France de développer son parc de centrales nucléaires, et donc ses industries et son niveau de vie. Mais sait-on assez que la majorité des citoyens de ce même Niger ne disposent toujours pas de l’électricité à domicile ?

Le Mali, lui, a vécu une histoire heurtée, ponctuée d’ingérences françaises, y compris armées, à commencer par le renversement commandité du premier Président élu, le progressiste Modibo Keita en 1968, et sa mort en détention en 1977. La dictature militaire pro-occidentale a imposé ensuite une chape de plomb durant 23 ans, jusqu’au soulèvement populaire victorieux de 1991, dont le succès fut du en partie au ralliement de l’armée. Le renversement par la junte d’officiers d’une République présidentielle à la française, pervertie en élections fabriquées et corruption massive, pouvait donc apparaître comme du « déjà vu » à Bamako.

Parallèlement, le Burkina Faso a été profondément marqué par l’assassinat programmé du Président progressiste Sankara en 1987 par des acteurs militaires et civils liés à l’Occident. Le personnage du martyr Sankara, devenu une idole progressiste en Afrique, démontre en tout cas que des militaires ont pu à ´l’occasion jouer un rôle important, et ce, dans chacun des camps protagonistes.

Il est clair en tout cas que, dans chacun de ces pays, le non-développement productif, ses conséquences, chômage, pauvreté massive nourrissent le besoin d’émigration, les trafics divers de migrants, de drogue et d’armes, le repli ethnicistes et intégriste, au détriment des constructions nationales, fragilisées par le tracé arbitraire des frontières héritées de l’ex-Empire colonial.

Dans ce contexte général de délitement des États, le Burkina a cependant profité d’une cohésion nationale plus forte que ses voisins, ce qui tient à l’héritage pré-colonial de l’Empire Mossi. Ce qui peut faciliter les discours actuels d’officiers burkinabés plus imprégnés des thèmes anti-impérialistes de type sankariste, notamment devant La Tribune de l’ONU, ou lors de rencontres internationales, en Russie par exemple (selon certaines indiscrétions, le dirigeant burkinabé Traoré aurait sollicité de Poutine une aide d’État pour développer l’industrie nucléaire).

Il reste toutefois que si la majorité des opinions africaines concernées soutiennent pour l’instant le nouveau cours politique, d’autant plus que les sanctions économiques et les menaces militaires impuissantes de la CEDEAO et de Paris fouettent le sentiment national, ce consensus ne se perpétuera que si les nouveaux dirigeants se révèlent capables de reconquérir à la paix civile les zones perdues : ce n’est pas le cas pour l’instant : l’immense Nord malien échappe totalement au contrôle de l’État national, et les exactions contre les villageois par les uns ou les autres protagonistes continuent de plus belle.
L’utilisation de mercenaires étrangers (Wager est présent au Mali) ne résoudra pas plus que d’autres militaires étrangers une crise dont les causes ne sont en rien militaires. Et il ne suffira pas du discours dominant aujourd’hui à Bamako, selon lequel tout fut de la faute des Partis, appelés donc à faire place à l’intégrité des militaires.
On peut se demander jusqu’à quand, quand on sait que Moussa Traoré, dirigeant qui se disait « provisoire » pour quelques mois en 1968, a dirigé ensuite le pays d’une main de fer durant plus de 20 ans….

Les militants anti-impérialistes de France et l’avenir de l’Afrique

La nouvelle Afrique est en gésine, et notre devoir est de perpétuer la solidarité avec les peuples africains, comme nous l’avons fait durant la période coloniale, et il y a déjà quelques années en clamant « plus un seul soldat français en Afrique ! »

Il s’agit d’abord et avant tout de débarrasser l’opinion française des antiques mentalités coloniales, faites de clichés simplificateurs, nourries d’outrances racistes. qui continuent de polluer les mentalités dans notre pays. Ces clichés simplificateurs imprègnent nos médias, et pas seulement les xénophobes avérés de C News.

Non, les Africains ne sont pas voués à la pauvreté par leur nature paresseuse, à la corruption de leurs dirigeants par leurs gènes, et ils ont totalement raison de vouloir se débarrasser de tous les héritages politiques, économiques, et mentaux nés de la colonisation et de l’Impérialisme.
Nous partageons avec les progressistes du Sahel et des autres États d’Afrique ce grand espoir d’une deuxième vague d’Indépendances réelles, qui reste à accomplir, dans le cadre d’un monde où les dominations occidentales sont enfin mises en question, où les BRICS, et la rencontre G77 de La Havane, représentative de l’immense majorité de la population mondiale, laissent espérer une communauté mondiale multilatérale, libérée enfin de l’emprise de l’Occident impérialiste sur ses périphéries méprisées.
L’objectif lointain est clair, même si le chemin est parsemé d’embûches et de contradictions.

Nous jugerons des « putschistes » du Sahel au cas par cas en fonction de leurs actes, en dénonçant sans complaisance toute ingérence-sanction-menace, qu’elle soit d’ordre militaire, politique ou économique. À ce propos, on ne peut que se féliciter de la levée de boucliers en France et ailleurs contre les interdictions aberrantes faites aux artistes maliens ou burkinabés de venir se produire dans notre pays. Rappelons toutefois que plus grave encore est la mise en cause par une circulaire ministérielle des liens de coopération décentralisée noués depuis des décennies entre des collectivités locales françaises (Régions, Municipalités) et des villes, villages ou régions africaines, par l’entremise d’ONG sahéliennes.

Ainsi, depuis 1995, l’AMSCID, avec sa dizaine de salariés et une centaine de bénévoles maliens, grâce au soutien financier de Collectivités françaises, a pu contribuer à la création de centaines de dispensaires, salles de classe, coopératives agricoles, etc. Les Collectivités françaises ont été mises en demeure de rompre ces liens, créateurs d’emplois et de mieux-vivre dans des villages de la région de Kayes, particulièrement touchée par l’émigration. Il est désolant de constater le mutisme de la Gauche française, y compris le PCF, à propos de cet abus de pouvoir du ministère des Affaires étrangères, alors même que se déploie une campagne insidieuse contre les immigrés africains.
C’est d’autant plus regrettable que ce discours hypocrite anti-immigrés est aujourd’hui la matrice d’un accord possible en France entre l’ultra-Centre de Macron et Darmanin, la Droite et l’Extrême-Droite.

En tout état de cause, seuls les peuples d’Afrique sont habilités à juger les actes de leurs responsables politiques, et à les guider, en aucun cas les « experts » auto-proclamés des rédactions parisiennes…

Aujourd’hui 30 septembre 2023, la population de Niamey manifeste sa joie du départ annoncé du contingent de soldats français présents au Niger, et le chœur des pleureuses peuple nos télévisions à ce sujet.
Alors, disons le crûment : Toute défaite, même partielle, de l’Impérialisme français et occidental, est bonne à prendre, en attendant les suivantes (la base US y est toujours…)

Les espoirs africains de relations égalitaires entre les peuples sont aussi les nôtres.

30/09/2023

   

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