Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > ANC en direct > Mutations géopolitiques mondiales, ou, les vraies causes des (...)

Mutations géopolitiques mondiales, ou, les vraies causes des guerres

lundi 18 décembre 2023 par Francis Arzalier (ANC)

Ces dernières années resteront dans l’histoire comme encombrés de conflits meurtriers, en Ukraine, en Palestine, ailleurs, qui menacent d’entraîner le monde dans une troisième Guerre Mondiale exterminatrice, puisqu’elle serait l’affrontement direct entre puissances nucléaires.
On peut ergoter sur les responsabilités des divers protagonistes, qualifier ou non de terrorisme les actions armées de mouvements issus de peuples occupés comme celles du Hamas palestinien, condamner ou justifier l’idéologie et la haine qui explique la cruauté des événements du 7 octobre 2023.
L’essentiel est ailleurs, dans la cause commune à ces convulsions menaçant de devenir embrasements.

Cette cause a un nom, l’Impérialisme, et ses formes multiples, ici économiques ou politiques, pillage des richesses et du travail d’un peuple subjugué, colonisation ou intervention militaire, souvent par le biais de complices locaux, nimbées de racisme et d’hypocrisie « humanitaire ».
Dans tous les cas, il s’agit de cette antique réalité des sociétés humaines, la domination et l’asservissement de peuples entiers par des Pouvoirs venus d’ailleurs, d’un autre peuple, armées, politiciens, capitaux, colons, éléments d’un appareil d’État dominateur et exploiteur. Ces Pouvoirs, on peut les cibler en quelques questions simples, les situer par la géographie et dans le temps.

En Ukraine, la guerre contre la Russie, décidée par les gouvernants états-uniens et leurs alliés-supplétifs européens de l’OTAN, et nourrie par eux depuis 2014 d’armes sophistiquées et aides diverses en milliards de dollars. Cette guerre n’existe que grâce à ces fournitures bellicistes et devrait cesser si elles n’avaient plus cours, comme un brasier s’éteint faute de combustible. Elle ne se poursuit que sur volonté de l’Impérialisme dominant dans le monde depuis et grâce aux deux guerres mondiales du XXème siècle, celui des États Unis d’Amérique.

Ailleurs, au Moyen Orient, c’est le même impérialisme occidental et notamment états-unien, qui, par le biais de son fondé de pouvoir, l’État colonial d’Israël, poursuit depuis plusieurs semaines le massacre des Palestiniens, coupables de vouloir vivre sur leur terre natale.
Une tuerie qui atteint en intensité meurtrière celle subie par les Juifs européens pourchassés par les nazis près du Ghetto de Varsovie en 1943.
Une guerre qui devrait cesser si les oligarques branlants de Washington stoppaient leurs livraisons d’armes…

Un impérialisme occidental en crise

Cet Impérialisme a même pu croire que sa domination serait éternelle en « la fin de l’histoire », après la piteuse auto-destruction de l’URSS et de ses alliés européens. Mais dès le XXIème siècle entamé, un autre rapport de forces s’établit : les progrès fulgurants de la Chine socialiste et autres Vietnam et Corée du Nord, le redressement de pays concurrents National-capitalistes comme Russie, Inde, Iran, Turquie ou Afrique du Sud, mettaient chaque jour plus en cause l’hégémonie impérialiste des USA et de leurs alliés ouest-européens.
Cela ne rendait pas cet Impérialisme mois agressif, au contraire : il a multiplié les guerres destructrices, pour tenter d’éliminer tout État national rétif à ses diktats : l’Irak envahi par les forces US (2003), la Lybie par Sarkozy et l’OTAN en 2011 en firent les frais. Mais cette stratégie de « containment » militaire a révélé très rapidement ses limites, et les états-uniens ont été vaincus sur le terrain en Afghanistan, les Occidentaux mis en échec par la Russie en Syrie, et les troupes d’intervention françaises expulsées du Sahel africain par les nouveaux dirigeants du Mali, du Niger et du Burkina. Et la même offensive anti-russe menée par l’OTAN et les USA depuis 2014 par l’entremise des Nationalistes d’Ukraine piétine.

Parallèlement, les indices se multiplient de l’effritement du leadership des USA sur le plan économique (le roi-dollar est mis en cause dans les échanges mondiaux, les investissements chinois se multiplient en Afrique et Asie, etc.), diplomatique et militaire (des alliés capitalistes séculaires de l’Occident comme l’Arabie Saoudite, la Turquie ou et même l’Inde rechignent à n’être que leurs supplétifs). De plus en plus chaque année, se dessine la possibilité d’un monde futur multipolaire, dans lequel chaque État agira en fonction de ses intérêts propres, face à un Occident (USA plus Europe) réduit à sa minorité démographique, économique et militaire.

On pourrait dès lors s’étonner du chaos guerrier actuel, confondre la naissance de ce futur « multilatéralisme » avec l’accouchement d’un monde de paix, de tensions apaisées transformées en simples concurrences économiques.

Ce serait pure naïveté de notre part, pour deux raisons au moins :

1/ l’Impérialisme Occidental mis en question ne devient pas moins belliqueux pour autant, au contraire son agressivité s’accroît. Une bonne partie des « élites » bourgeoises aux USA pensent la guerre économique perdue à jamais, et misent sur leur supériorité militaire (près de la moitié du budget mondial en la matière). D’où leur implication dans la guerre contre la Russie en Ukraine, mais aussi dans l’invasion de la bande de Gaza par le biais de leur supplétif au Moyen Orient, l’État israélien colonial, dont la prédominance économique et militaire dans la région est alimentée par eux depuis 1948.

2/ Car dans ce monde multipolaire en gésine, la majorité des États restent ancrés dans le Capitalisme, et cultivent souvent une idéologie nationaliste ou xénophobe, et un comportement de domination à l’encontre des peuples voisins. C’est évidemment le cas de l’État sioniste d’Israël, expansionniste par nature dès sa fondation. Car tout capitalisme porte en lui la possibilité d’un impérialisme, s’il en a un jour les moyens.

La Turquie pour l’instant hésite entre les objectifs guerriers de l’OTAN dont elle est toujours membre, et un rôle de leader musulman au Moyen-Orient. Mais ce pays capitaliste en pleine croissance économique et son régime autoritaire et nationaliste ne manquent pas d’objectifs expansionnistes (contre Grèce et Chypre, dans le Caucase ou en Lybie, contre leur minorité kurde) susceptibles de dégénérer en guerres véritables.

On pourrait affirmer les mêmes craintes à l’encontre de l’Iran, à l’économie capitaliste et son régime à connotation cléricale, de l’Inde, dont le Capitalisme se nourrit d’une exploitation forcenée des salariés et de son milliard et demi d’habitants, et qui pratique un nationalisme-intégrisme hindouiste virulent, ce qui peut donner naissance à de futurs conflits de grande intensité.
Et tout autant de l’Arabie Saoudite, qui reste imprégnée d’un capitalisme brutal et d’un wahhabisme anachronique, malgré son rapprochement récent avec le concurrent chiite de Téhéran.

Il reste que ces quatre États, et bien d’autres dans le monde, dont les dirigeants peuvent être légitimement qualifiés de « bourgeoisies nationales », dans leurs contradictions, doivent pouvoir compter sur notre solidarité chaque fois qu’ils affronteront les volontés de l’Impérialisme.
Cela sans s’aveugler sur leurs contradictions.

Toute « bourgeoisie nationale » peut, suivant le contexte, devenir impérialiste ou complice de l’Impérialisme majeur. La récente élection présidentielle d’Argentine du 19/11 du démagogue ultra-libéral Milei, dont le seul projet cohérent est de dollariser la monnaie et de privatiser l’eau, montre à quel point ce risque de retour à un État soumis à l’Impérialisme États-unien est toujours présent.

Le laboratoire africain

Dans ce monde en plein basculement des rapports de force, le continent africain est à la fois l’illustration parfaite de ces contradictions, et un véritable laboratoire des mutations en cours.
Le passé colonial encore bien présent dans ses héritages économiques (non-industrialisation, chômage et « informel » qui assèche l’État, émigration forcée), politiques (faiblesse d’États endettés et dépourvus de ressources fiscales, frontières artificielles, diversité ethnique et culturelle des pays, corruption et affairisme nées du statut colonial, rendant illusoire tout représentation démocratique du Pouvoir) et sociale (pauvreté massive nourrissant délinquance et djihadisme).
Si ces tares sont visibles dans tout le continent, du Sud au Nord, d’Est en Ouest, c’est au travers de similitudes et d’une grande diversité.

Des bourgeoisies pro-occidentales

1/ De nombreux États africains sont en 2023 de fidèles émules, alliés plus ou moins soumis, de l’Impérialisme Occidental, dont ils reçoivent en échange quelques faveurs. Dans le cadre de ce qu’on nomme souvent néo-colonialisme, ils sont dirigés par des bourgeoisies autochtones qu’on disait « compradores », d’un terme portugais, pour exprimer leur collaboration à cette sujétion indirecte.
Ainsi, le Royaume du Maroc, monarchie autoritaire plus que parlementaire, qui professe depuis des décennies l’allégeance au Capitalisme occidental, et a rompu avec la cause palestinienne en nouant d’étroites relations avec l’État d’Israël, en échange du soutien des USA et leurs alliés à leur emprise coloniale sur le Sahara Occidental.

La Côte d’Ivoire, dirigée encore aujourd’hui par Ouattara, l’homme lige de la Banque Mondiale, héritier idéologique du défunt Houphouet Boigny, cultive aussi le libéralisme aligné sur Washington plus que Paris, à l’audience de plus en plus réduite en Afrique de l’Ouest, dite « francophone », pour avoir été autrefois l’AOF.

Le Nigéria, trois fois peuplé comme la France, dit anglophone parce qu’il fut autrefois colonie britannique, profite des richesses de son sous-sol pour nourrir un capitalisme rapace plus qu’améliorer le sort de ses citoyens les plus pauvres, et ambitionne même de faire de l’alliance économique libérale OCDE un instrument guerrier contre les États africains qui refusent l’allégeance à l’Occident impérialiste.

Bien d’autres exemples pourraient être cités, à commencer par le Rwanda, mal guéri du génocide des Tutsi de 1994, dont la bourgeoisie dirigeante regroupée autour de Kagamé, a su utiliser les accointances occidentales (USA, Royaume Uni, Israël, France par le biais de la francophonie) pour profiter du pillage meurtrier de l’Est congolais.

Des putschistes souverainistes

2/ A contrario, quelques pays d’Afrique, notamment d’anciennes colonies de la France au Sahel, ont rompu avec fracas leur ancrage précédent avec le « protecteur » occidental, et notamment français. Il s’agit, bien-sûr, du trio Mali, Burkina Faso, Niger, dont les nouveaux dirigeants ont accédé au pouvoir d’État par des insurrections militaires, animées par de jeunes officiers de l’armée nationale, qui sont en fait des éléments spécifiquement africains de la bourgeoisie nationale. Dans ces jeunes États du Sahel, à l’économie déficiente gangrenée par corruption et clientélisme, la promotion sociale vers la bourgeoisie ne peut passer que par une carrière politicienne ou une carrière militaire.

Ce sont les carriéristes politiciens qui dirigeaient il y a quelques années le Mali, le Burkina ou le Niger, avec l’assentiment des sponsors et protecteurs français, leurs successeurs actuels sont issus de l’autre filière de promotion sociale. Mais s’ils ont indéniablement pris le pouvoir par un putsch, ce fut avec l’approbation de la rue, de plus en plus ulcérée de la présence de soldats français (Barkhane) supposés éradiquer les insurgés djihadistes et/ou délinquants, dont l’emprise sur des régions entières n’a cessé de s’étendre.

Donc, n’en déplaise aux porte-paroles de la bourgeoisie qui monopolisent nos médias, cette expulsion de l’impérialisme français du Sahel nous réjouit, et encore plus de voir le dirigeant temporaire du Burkina imiter Sankarah jusque dans ses attitudes, c’est le reflet des sentiments anti-impérialistes parmi les citoyens burkinabés et dans une Afrique en reconstruction.

Mutations géopolitiques

3/ Nous n’avons jamais eu la moindre complaisance pour les dirigeants libéraux et pro-occidentaux, qui, de Dakar à Bamako, de Yaoundé à Brazzaville, de Kinshasa à Djibouti, ont durant plus de 50 ans tiré profit de leur complicité avec « NOS » dirigeants et affairistes, Papamadit et autres Bolloré. Si leur temps est fini, leurs soldats humiliés éconduits par de nouveaux responsables africains « souverainistes », les citoyens français vivant de leur travail ne peuvent qu’y gagner. En ce sens, la reconquête en 2023 de Kidal, ville malienne aux portes du désert, par les autorités nationales maliennes, qui était depuis des années aux mains de séparatistes touareg longtemps couvés par les autorités françaises, est une excellente nouvelle.

Même si pour cela les officiers qui dirigent à Bamako ont demandé l’aide militaire de Wagner, cette troupe privée de mercenaires russes que l’État moscovite a su reprendre en main. Tous les États nationaux africains sont bravés depuis 2011 par des groupes armés, quels que soient leurs prétextes, djihadisme, islamiste, trafic d’armes, de migrants ou de drogues, forçant des millions de Sahéliens à quitter leurs villages pour sauver leurs vies.
Mais il faut bien constater que ce basculement des rapports de forces internationaux en Afrique s’accélère à tel point que l’avenir à moyen terme en est imprévisible, d’autant qu’il est contradictoire à bien des égards.
D’un côté, l’effondrement de l’influence de la France, qui servit si longtemps de sous-traitant à l’impérialisme des USA en Afrique, et ne peut même plus prétendre à ce rôle second.
Parallèlement, de nombreux États du Sud, sans devenir pour cela des farouches révolutionnaires anti-impérialistes, font de leur mieux pour échapper à la dominance de l’hégémonie US, du dollar omnipotent, en utilisant les investissements chinois pour développer des infrastructures industrielles, et le soutien financier des BRICS contre les requins de la Banque mondiale.

Dans cette genèse d’une nouvelle géopolitique africaine, on ne saurait sous-estimer le fait que certains de ces BRICS sont à la fois des champions du Capitalisme et du Nationalistes comme l’Inde de Modi, et que certains récipiendaires des investisseurs chinois ont un rôle régional profondément réactionnaire, comme les dirigeants du Nigéria et leurs alliés de la CEDEAO.

Une autre inconnue est le rôle croissant du militarisme dans les pays d’Afrique, qui peut s’incarner en diverses orientations politiques : un souverainisme de type « sankariste » à Ouagadougou, plus ambigu à Niamey, où les actes anti-français s’accompagnent de complaisances vis à vis du parrain US. Mais c’est aussi la prolifération des guerres civiles entre milices concurrentes, en Lybie et surtout au Soudan, parsemé de cadavres et de réfugiés semés par l’ethnisme ou l’intégrisme islamiste : les officiers dirigeant à Khartoum avaient rejoint les Émirats pétroliers et Saoudiens dans le rapprochement avec l’État d’Israël. Cette diversité des pouvoirs militaires africains, dont la seule constante est la primauté politique de la bourgeoisie « en uniforme », ne doit être jugée que par ses actes.

Les uns sont d’essence anti-impérialiste et progressiste, même s’ils ressortent parfois plus de l’invocation volontariste que du projet rationnel. Ainsi, comment ne pas approuver la volonté affirmée lors des rencontres en Russie de développer au Sahel une industrie nucléaire nationale, grâce à l’aide technologique russe, et au minerai d’uranium du Niger, jusqu’ici destiné exclusivement aux centrales nucléaires de France. Même si le projet est peu réalisable par l’État moscovite tant que le brasier ukrainien flambe, il n’en est pas mois la preuve d’une aspiration à l’indépendance industrielle indispensable à la reconstruction d’un État national fort, capable enfin d’éradiquer les subversions délinquantes et djihadistes, d’assurer enfin la sécurité et l’emploi des citoyens.

Nous ne pouvons qu’espérer leur mise en œuvre, qui relève des seuls peuples africains. Cet objectif industriel, s’il se concrétise, fera plus pour la reconstruction de la Nation qu’un blanc-seing donné aux mercenaires de Wagner, bien incapables de solutionner un faisceau de problèmes qui dépasse largement le seul domaine militaire.

Parallèlement, on ne peut qu’être attentif à tout ce qui peut freiner cet objectif de reconstruction nationale, les tentations d’autoritarisme militaire qui font trainer de mois en mois la fin de la « Transition », la volonté de mise en quarantaine des organisations civiles démocratiques, partis et syndicats, accusées de tous les maux, voire comme à Ouagadougou récemment, la mobilisation forcée de militants qui osent s’exprimer.

Dans le laboratoire africain actuel, se mêlent le pire et le meilleur, des éléments disparates qui peuvent contribuer à la « deuxième vague des indépendances nationales », et d’autres qui l’engluent dans un passé réactionnaire repeint aux couleurs libérales et autoritaires.
Seules les luttes des peuples africains en détermineront l’issue et notre solidarité contre l’impérialisme.

Une solidarité d’autant plus nécessaire que le boycott systématiquement organisé par l’État français contre les peuples africains continue ; les directives ministérielles ont ainsi réussi à mettre en difficulté diverses actions de coopération décentralisée entre la France et le Mali, sans entraîner malheureusement les protestations nécessaires des ONG de notre pays, trop engluées dans le financement d’État.

18/12/2023

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?